de rencontres
Rencontre
Création numérique

Laurence Bagot

Le numérique permet de présenter des œuvres augmentées

Journaliste pendant 15 ans, Laurence Bagot co-fonde en 2008 narrative, société de production pour les nouveaux médias. Partant du constat que le numérique est partout dans nos vies, elle a à cœur de l’intégrer à la culture muséale. Elle dirige depuis 2018 le collège Expo de l’association PXN, qui rassemble des producteurs d’œuvres numériques « in situ ».

Mis à jour le 03/12/2019

5 min

Image
Laurence Bagot
Crédits
© DR

Qu’est-ce que la médiation numérique ?

La médiation numérique est la rencontre entre la technique – c’est-à-dire l’industrie informatique et numérique, l’industrie de l’image – et les institutions culturelles, musées, expos, lieux de patrimoine. Elle permet d’amener le public vers les œuvres, et de les donner à voir avec un autre regard. Car le numérique a changé le rapport à la création artistique : il permet de raconter autrement. La technologie est mise au service d’une expérience.

 

Quels sont les bénéfices de la médiation numérique pour les musées ?

Le numérique permet aux musées de faire découvrir, ou redécouvrir, des œuvres en les enrichissant d’une expérience, d’une narration. Regarder une œuvre à travers un casque de réalité virtuelle crée, par exemple, des émotions et une perception qui ne sont pas celles de l’œuvre originale. Le numérique permet aussi de montrer des choses qui n’existent plus, comme des sites historiques détruits reconstitués numériquement dans le cadre de l’exposition « Cités Millénaires », présentée à l’Institut du Monde Arabe, en 2018-2019. Au sein même d’un parcours permanent, le numérique peut compenser l’absence de certaines œuvres, ou de certaines pièces : grâce au numérique, elles peuvent être recréées pour que le visiteur y ait accès, de façon temporaire ou pérenne.

 

Comment les dispositifs numériques sont-ils accueillis par le public ?

L’un des enjeux du numérique dans les musées est d’attirer un nouveau public, sans distinction d’âge nécessairement. Même si les jeunes générations sont souvent plus à l’aise avec les écrans tactiles, nous n’observons pas de fracture générationnelle. Car nous faisons tout pour la technologie ne soit pas un obstacle mais au contraire qu’elle « s’efface » au profit de l’histoire ou de l’expérience souhaitée. Elle est un émulateur et non une fin en soi.  

 

Le numérique ne risque-t-il pas de faire concurrence aux œuvres ?

Le numérique ne fera jamais disparaître les œuvres, car rien ne remplace le rapport à l’original ! Je me souviens de mon face-à-face avec La Danse de Matisse : j’ai été saisie par la taille du tableau et ses couleurs – et c’était sans commune mesure avec la confrontation avec des reproductions, quelles qu’elles soient. Le numérique ne fait pas concurrence aux œuvres ; il s’inscrit dans le parcours muséal pour ajouter des informations, du contenu, et enrichir la perception de l’œuvre. Il permet, en quelque sorte, de présenter des œuvres « augmentées ». Il faut toujours commencer par se demander s’il y a un réel besoin de médiation numérique. Si elle présente un intérêt pédagogique ou expérientiel, alors oui, la médiation numérique a une raison d’être.

Le numérique ne fait pas concurrence aux œuvres ; il s’inscrit dans le parcours muséal pour ajouter des informations, du contenu, et enrichir la perception de l’œuvre.

Quelles sont les expériences numériques qui vous ont particulièrement marquées récemment ?

Je citerais Terre Urbaine, une expérience immersive spectaculaire produite par Escalenta et fondée sur un procédé inédit de datavisualisation animée capable de transformer des séries de données en animation graphique. C’est à la fois une expérience cognitive – elle nous apprend de nouvelles choses – et un spectacle expérientiel. Présentée à Paris, à la Cité des Sciences, en 2016 et 2017, elle a d’ailleurs reçu le prix Kantar de la Meilleure œuvre de datavisualisation en langue non anglaise, en 2016.

Chez narrative, nous avons lancé début 2019 des parcours sonores immersifs pour la visite du château de Vaux le Vicomte. Grâce à son casque et un narrativePod qui diffuse des contenus en son binaural, le visiteur est accueilli par les protagonistes de l’époque, La Fontaine, Molière, Vatel, Fouquet. Il rencontre même Louis XIV qui est venu une fois à Vaux et est reparti fou de jalousie. La mise en son transforme les pièces du château en lieux habités, vivants, incarnés. Le visiteur est au cœur de la grande Histoire. La technologie permet de révéler le patrimoine immatériel – l’histoire du château – sans toucher au cadre patrimonial.

 

 

En 2018, vous décidez de créer le collège Expo au sein de l’Association des Producteurs Numériques PXN. Vous coordonnez une réflexion commune autour de la création numérique dans les musées et les lieux d’expositions. Quel est son rôle ?

 

L’association des Producteurs d’Expériences Numérique, PXN, a été créée en 2015 avec, au départ, une quinzaine de producteurs, œuvrant dans les « nouvelles écritures audiovisuelles ». Nous sommes aujourd’hui plus de 70 ! Le collège PXN Expo regroupe une vingtaine de ces producteurs, ceux qui produisent des œuvres physiquement montrées dans des espaces (musées, expos, lieux culturels), et pas seulement sur le web ou à travers des applis. L’idée est d’être un groupe de réflexion et de prospective, et de créer des synergies, pour, par exemple, répondre ensemble à des appels d’offres, d’être un interlocuteur pour l’écosystème. Nous travaillions auparavant chacun de notre côté, alors que nous faisons en réalité face aux mêmes problématiques. Nous voulons être force de propositions.

 

Comment, selon vous, promouvoir davantage la création numérique en France ?

La France est à la pointe de tous ces nouveaux formats numériques, grâce à l’importance de trois acteurs très dynamiques : l’industrie de l’image, l’industrie informatique et numérique, et l’ industrie culturelle. Nous avons à la fois des professionnels qui réfléchissent, qui innovent, et un écosystème, souvent lié à l’État qui permettent la mise en place d’un véritable dialogue et d’une économie. La médiation numérique est la conjonction et le point de rencontre entre ces trois secteurs.

Promouvoir davantage la création numérique est un enjeu d’avenir. Il existe actuellement peu de lieux de monstration de la création numérique. Une façon de répondre à ce besoin serait de réfléchir à un projet d’itinérance des œuvres, pour les présenter dans des médiathèques, des centres d’arts… Pourquoi pas imaginer créer des pop-up éphémères, pour donner à voir ces œuvres numériques et faire vivre ces nouvelles expériences au plus grand nombre.

Interview of Laurence Bagot
L'Institut français et le projet

Laurence Bagot a participé en juin 2019 au Focus médiation numérique organisé par l’Institut français qui vise à favoriser l’export des expertises françaises à l’international. 

 

En savoir + sur le Focus médiation numérique.

L'institut français, LAB