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Laurent Meheust

Il est indispensable de nourrir notre capacité à nous étonner, à imaginer et à rêver ensemble.

Président d'EDN (European Dancehouse Network) et directeur adjoint de KLAP, la Maison pour la Danse de Marseille, Laurent Meheust raconte avec passion son travail d'accompagnement des artistes et ses espoirs pour l'art chorégraphique.

Mis à jour le 26/05/2021

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Laurent Meheust
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Depuis 2019, vous êtes président d'EDN (European Dancehouse Network), un réseau de Maisons de la Danse européennes qui s'engage dans le développement de l'art chorégraphique. Pouvez-vous revenir sur votre carrière avant votre arrivée à ce poste ?

J'ai démarré ma carrière dans les relations publiques avant de devenir administrateur, puis coordinateur général. Je suis aujourd’hui directeur adjoint de KLAP, Maison pour la danse à Marseille, aux côtés du chorégraphe Michel Kelemenis. Concernant EDN, ma nomination comme président est bénévole : le réseau s'est construit au début des années 2000 et dès l'ouverture de KLAP en 2011, nous avons été affiliés à nos partenaires européens. J'ai toujours collaboré avec des artistes, que ce soit des metteurs en scène, un chef d'orchestre, une pianiste, et désormais, un chorégraphe. Chacun d'entre eux est engagé dans une double dimension, celle de piloter une institution et de déployer leur propre trait artistique au sein de leur compagnie. J'ai beaucoup appris à leurs côtés et cela enrichit encore les échanges que je peux avoir avec les nombreux artistes que nous accompagnons.

 

Dans la richesse de ces échanges européens, comment envisagez-vous l'accompagnement des artistes ? De quelle façon s'organise votre travail avec eux ?

Pour moi, la richesse de cette maison, et des maisons d'artistes en général, est de partager la matière de leurs démarches créatives. En travaillant avec eux, j'établis, d'abord, une radiographie à froid de leur projet. Je n'évoque pas exclusivement les intentions artistiques mais j'observe aussi la viabilité de leur production, leur structure et leur cercle de partenaires. Ont-ils envisagé la bonne temporalité ? Le projet est-il trop ambitieux ou, au contraire, volontairement autocensuré ? Nous pouvons alors être présents aux différentes phases d'un processus de création, dans un début de recherche comme dans une finalisation technique. Nous ne faisons pas que donner de l'argent, nous opérons une véritable mise en réseau.

 

Vous avez notamment eu l'occasion de collaborer avec des créateurs pour le théâtre ou encore la musique. Quelle est votre vision de la danse par rapport à ces autres disciplines artistiques ? Pourquoi avez-vous choisi de vous consacrer précisément à cet art ?

J'ai toujours voulu me consacrer à la danse mais mon parcours m'a amené à démarrer par le théâtre et la musique. La danse est un domaine moins doté, historiquement plus jeune et plus fragile. On dit, d'ailleurs, qu'il est le parent pauvre du spectacle vivant et, pour pouvoir vivre, il a besoin de s'exporter. Personnellement, j'ai été attiré par la dynamique internationale et la dimension politique spécifique à cet art. C'est ma manière de trouver ma place dans la société et d’agir. La danse est politique parce qu'elle s'inscrit dans la variété des corps et qu'elle permet de connecter les populations entre elles. C'est un medium qui pourrait également amener à tester de nouvelles modalités de gouvernance et établir un autre type de collaboration avec nos décideurs politiques.

La danse a collaboré avec toutes les autres formes d'art. Il faut s'enlever de la tête que la danse est compliquée à aborder, et accepter d’être intuitif.

Quelle place occupe la danse aujourd’hui dans les programmations des théâtres et lieux culturels ? Comment sensibiliser les programmateurs ? Initier les publics ?

Je dirais qu'il n'y a jamais assez de danse et je milite pour cet art. Face à la durée de vie d'une œuvre chorégraphique et à la démultiplication des structures coproduisant la danse, il faut travailler différemment à notre échelle, étendre les résidences dans un même lieu et non les démultiplier, pour établir un ancrage territorial fort, et ensuite diffuser largement les pièces avec l’ensemble du réseau. Quant à l'approche des publics, elle est simple et directe. Nous avons tous une danse en nous qui fait, culturellement, partie de notre histoire : ce médium nous est naturel. Par essence, la danse a collaboré avec toutes les autres formes d'art. Il faut s'enlever de la tête que la danse est compliquée à aborder, et accepter d’être intuitif.

 

Vous êtes également directeur adjoint de KLAP, la Maison pour la Danse de Marseille. En pleine crise sanitaire, comment s'est créée la programmation pour la saison 2021 ?

Je ne vous cache pas que la saison 2021/2022 est un véritable casse-tête. Grâce à KLAP, nous avons toujours été présents auprès des artistes basés dans notre région et ils seront programmés à l'automne. Les dimensions internationales sont, par sécurité, repoussées en décembre et couvre le premier semestre 2022. C'est une nouvelle manière de concevoir une saison mais le problème ne vient pas seulement des reports. Ce sont les calendriers des interprètes qui deviennent une catastrophe lorsque, par envie et par nécessité, ils doivent collaborer sur plusieurs projets sans pouvoir figer leurs agendas. Nous avons donc décidé de décaler la parution de notre plaquette à la rentrée et il nous reste encore un tiers de la saison à définir.

 

Dans un monde en perpétuelle mutation, quel regard portez-vous sur la nouvelle génération de danseurs et de chorégraphes ? Quels sont les détails, les démarches qui vous marquent et vous touchent en tant que spectateur ?

J'ai le sentiment que nous sommes à la fin de l'hégémonie de l'artiste qui signe exclusivement son œuvre. Chez la nouvelle génération, les démarches qui émergent sont plus collectives et inclusives avec les différents métiers qui gravitent autour de l'acte de création. Alors que la danse avait, en France, mis à distance la question de la dramaturgie, elle se nourrit désormais des expériences de l'Europe du Nord. En tant que spectateur, j'aimerais rester naïf mais par mon métier c'est difficile de l'être. J'ai envie de voir où est la parole singulière, et comprendre ce qui relie l'artiste à ce dont il veut parler. Plus intimement, les projets qui questionnent notre rapport à l'identité, notre place dans la société et à ce qui nous définit m'interpellent beaucoup.

Le public est toujours là, il s'adapte, comme nous, depuis le début de la pandémie, et nous n'avons jamais cessé de danser.

Entre novembre 2020 et février 2021, le réseau EDN, en partenariat avec KLAP, a proposé des cours de danse en ligne, dispensés par des artistes associés. Que pensez-vous de l'émergence du numérique au service du secteur culturel ?

Si l'on réfléchit à l'annulation d'un spectacle remplacé par une captation, je ne peux qu'être critique. Placer le numérique sur une dynamique de remplacement du vivant ne fonctionne pas. Il faut que l'on recrée nos cadres de rencontres et la manière dont on veut se relier. Le plus intéressant avec le numérique reste de le concevoir comme un espace à part entière. Il pourrait permettre de développer de nouvelles pratiques, de nouvelles façons de filmer, notamment un spectacle. Actuellement, avec EDN nous participons à une étude – Perform Europe - lancée par la commission européenne avec une bourse de 2,25 millions d'euros pour imaginer un futur programme de soutien aux tournées transfrontalières et à la distribution numérique des arts de la scène.

 

Comment percevez-vous votre relation avec l’Institut français et quelles sont les perspectives de collaboration à venir ?

C'est une relation avérée qui doit rester dans l'invention. Nous souhaitons poursuivre dans une dynamique de projets. Pour EDN, il s'agit de penser à l'échelle de l'écosystème : ici, nous voulons représenter notre capacité à être en dialogue. Une Maison permet de sécuriser le travail des artistes en accompagnant et en tissant des collaborations. Dans cette relation avec l'Institut Français, nous ouvrons ces perspectives pour échanger sur le réseau des Maisons de la Danse. En privilégiant le « translocal », je souhaite que nous agissions ensemble dans cette urgence écologique.

 

Quelles sont désormais vos perspectives à venir alors que la crise s'installe dans la durée ? Avez-vous d'autres idées en tête afin de conserver un lien avec le public ?

Dans ce contexte qui, au-delà d'une crise sanitaire est sociale et économique, il faut retrouver ce que nous perdons et ce qui nous fonde tous. Il est indispensable de nourrir notre capacité à nous étonner, à imaginer et à rêver ensemble. À la sortie du premier confinement, nous avons décidé de passer commande à des artistes pour qu'ils puissent déployer une danse dans 4m². Imaginé par le chorégraphe Michel Kelemenis, la danse a existé sur des places, dans des rues, dans des cours d'écoles. Après 250 représentations, nous avons inventé un format qui a recréé de l'emploi artistique en maintenant le lien avec les populations. Le public est toujours là, il s'adapte, comme nous, depuis le début de la pandémie, et nous n'avons jamais cessé de danser.

L'Institut français et Laurent Meheust

L'Institut français travaille régulièrement avec le réseau EDN mais aussi avec KLAP Maison pour la danse de Marseille, notamment en soutenant deux projets portés par KLAP via La Collection 2021: 8m3, un projet imaginé par Michel Kelemenis et Emprise, un solo de Maxime Cozic. 

 

La Collection est un dispositif de l'Institut français qui rassemble pour le réseau culturel français à l'étranger 135 propositions clés en main, légères en diffusion et modulables, dans les domaines des arts de la scène, des arts visuels et de l’architecture, de l’urbanisme et du paysage.

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L'institut français, LAB