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Création numérique

Le studio u2p050 revient de la résidence Villa Formose Immersive à Taïwan

Sous des formes extrêmement diverses, nous explorons une perspective où la machine n’est plus considérée comme un outil à asservir, mais une lunette pour visualiser des mondes nouveaux.

u2p050 est un studio de création à l'intersection de la philosophie, de l'art et de la technologie. À travers ses créations numériques, le studio questionne notre monde contemporain, notamment sa numérisation croissante. Lauréat de la Villa Formose Immersive – Taiwan XR Prototyping Residency, portée par le Forum des images en partenariat avec le CNC, TAICCA, Kaohsiung Film Archive, le Bureau Français de Taipei et l’Institut français, u2p050 revient d’une résidence à Kaohsiung pour développer sa nouvelle expérience immersive Deep Ecology. C’est à cette occasion que nous avons échangé avec les membres du collectif. 

Mis à jour le 03/01/2024

10 min

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Vue de l’installation On ne peut empêcher les oiseaux…, 2022. u2p050 & Amalia Jaulin - Techniques mixtes.
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Vue de l’installation On ne peut empêcher les oiseaux…, 2022. u2p050 & Amalia Jaulin - Techniques mixtes.
© Romain Protin & Octobre Numérique

Quelle est la signification du nom de votre studio, u2p050, que vous avez défini comme une « machine de création » ? 

u2p050 est un nom indéterminé, qui n’est pas associé à un individu et qui renvoie à un composant électronique d’une des machines que nous utilisons. Il a été choisi au hasard par un algorithme. C’est aussi le mot de passe de notre wifi : c’est un mot qui suggère un brouillage entre l’humain et le non-humain, le machinique et le vivant. Sous des formes extrêmement diverses — expositions immersives, installations, textes ou productions audiovisuelles —, nous explorons une perspective où la machine n’est plus considérée comme un outil à asservir, mais une lunette pour visualiser des mondes nouveaux. 

 

Pourriez-vous nous expliquer comment vous fonctionnez collectivement ? 

Aujourd’hui, u2p050 est un studio de recherche et de création qui intègre des compétences qui sont habituellement disjointes dans le monde de l’art : curation, recherche conceptuelle et philosophique, création sonore et développement informatique. A travers nos créations numériques, nous essayons d’interroger les conditions de la production artistique. Nous essayons d’opérer de manière circulaire, en tenant compte des retours continus des différents corps de métier qui composent le collectif, plutôt que de travailler à la façon d’une chaîne de montage linéaire. Le texte, le son et l’image de nos expériences sont ainsi le fruit d’une discussion continue entre ces différentes parties prenantes et sont conçus en même temps. Il est important pour nous que ces différents aspects d’une création soient pensés dans la même temporalité. 

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Studio u2p050
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Le Studio u2p050
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A travers nos créations numériques, nous essayons d’interroger les conditions de la production artistique.

Vous expérimentez avec l’Intelligence Artificielle (IA) depuis ses débuts, récemment avec votre exposition SMACK DAT à l’Avant Galerie Vossen à Paris. Quelle est votre perception de ce médium ? Quelles autres technologies suscitent actuellement votre intérêt, voire votre défiance ? 

Au sein d’u2p050, nous travaillons notamment avec le son, la blockchain, mais aussi l’IA, appliquée au son, à l’image et au texte. Quand on travaille avec ces innovations, on se rend vite compte qu’elles évoluent lentement. Par exemple, dans le cas des plugins audio (nouvelles fonctionnalités sur un logiciel de son), des game engines(composantes d’un logiciel de jeu) utilisés pour les métaverses, ou encore de la blockchain, il y a une grande différence entre le rapport médiatique à ces technologies, et le rapport que nous entretenons avec elles à travers notre travail quotidien, qui se situe sur des temporalités beaucoup plus lentes. Aujourd’hui, on parle beaucoup de l’IA générative, c’est-à-dire capable de créer, comme d’une révolution, pourtant cette technologie existe déjà depuis de nombreuses années.

Notre approche de création est avant tout liée aux sciences humaines, elle est documentaire, anthropologique, sociologique. C’est donc la thématique - automatisation des machines à traire, transformations d’une réserve d’oiseaux dans le sud de la France, géopolitique du futur - qui va d’abord déclencher une phase de recherche et ensuite, seulement à partir des matériaux récoltés, un choix technologique, qui s’opère en fonction de ce qui nous semble le plus approprié pour traiter de ce sujet. Notre démarche est donc d’abord philosophique. Au départ, il y a souvent un livre qui est disséqué, analysé, avant que nous nous intéressions à des sites spécifiques. Pour les Salins de Hyères (référence à la création On ne peut empêcher les oiseaux... du Collectif, N.D.L.R), par exemple, la pensée de l’anthropologue brésilien Eduardo Viveiros de Castro sur le multi perspectivisme nous a beaucoup inspiré. 

 

u2p050 est lauréat de Villa Formose Immersive – Taiwan XR Prototyping Residency, portée par le Forum des images en partenariat avec le CNC, TAICCA, Kaohsiung Film Archive, le Bureau Français de Taipei et l’Institut français. Vous revenez d’une résidence à Kaohsiung, où vous avez développé avec les autres membres du studio le projet d’exposition immersive Deep Ecology. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

Deep Ecology est une nouvelle expérience immersive en cours de développement, pour laquelle nous avons reçu une aide à l’écriture du CNC, et le soutien de différents acteurs qui nous ont permis de nous rendre à Kaohsiung. Cette expérience documentaire traite des conséquences géopolitiques de ce que nous appelons la computation planétaire, c'est-à-dire notre capacité à monitorer l’ensemble de notre planète en temps réel. Comment est-ce que cela va redessiner nos frontières, les rapports entre pays et aussi entre individus ? Qu’est-ce que cela veut dire quand Taïwan se cyber-industrialise, quand des mineurs de crypto-monnaies apparaissent au Kazakhstan et vont de barrage en barrage, ou quand on commence à équiper la nature avec de l’IA et de l’AR (réalité augmentée) ? Nous essayons donc d’imaginer ce futur, où la politique se jouera dans le cloud. Le point de départ de notre réflexion, cette fois-ci, est l’ouvrage d’un philosophe qui s’appelle Benjamin Bratton, qui analyse cette technostructure en différentes couches verticales et horizontales. A partir de ce livre, nous allons proposer une narration, qui est actuellement en cours d’écriture, pour faire naviguer le spectateur dans ces différentes couches, depuis la couche terrestre, avec l’extraction des minéraux, jusqu’au cloud. Le but étant de conserver le côté spectaculaire d’une exposition immersive, tout en traitant d’un sujet assez complexe, en lui donnant une vraie profondeur conceptuelle. 

"Deep Ecology" est une expérience documentaire qui traite des conséquences géopolitiques de ce que nous appelons la computation planétaire, c'est-à-dire notre capacité à monitorer l’ensemble de notre planète en temps réel.

Comment s’est passée la collaboration avec les artistes et les professionnels locaux ? Pourquoi avoir choisi Taïwan comme lieu de résidence ? 

Taïwan était un territoire extrêmement pertinent par rapport à notre sujet de recherche. C’est un centre majeur de production de semi-conducteurs, de puces électroniques et d’expérimentations technologiques en général. Sur place, nous nous sommes rendu compte que ce que nous voulions étudier, la production de microprocesseurs à Taïwan, tombait beaucoup sous le sceau du secret défense. Nous avons donc dû utiliser des moyens détournés, comme une enquête sur Google Earth qui nous a permis de cartographier des usines et des mines au Chili, ou sur les data-centers d’Amazon et de Google. Nous avons également pu réaliser plusieurs entretiens sur place, avec la Commission nationale des communications ou encore le Good Idea studio, qui pratique le civic hacking (usage du hacking dans le but de renforcer le fonctionnement démocratique des sociétés), en se positionnant sur des problèmes sociétaux, et qui en parallèle forme le public au code. Mais aussi avec un laboratoire de recherche en optique quantique, qui travaille également entre arts et science. En parallèle, nous avons été très bien accueillis par le Kaohsiung Film Festival et avons pu mesurer l’ampleur du milieu immersif à Taïwan, avec une diversité de production, notamment en VR (réalité virtuelle), qui nous a beaucoup impressionnés. 

 

Où en est le projet désormais ? Avez-vous d’autres projets dont vous souhaiteriez nous parler ? 

Nous allons maintenant passer en phase de production pour Deep Ecology, et discutons avec de potentiels partenaires et coproducteurs. Le projet sera pensé et optimisé pour être distribué dans les salles de projection grand format à 360 degrés. Nous espérons ensuite pouvoir décliner l’expérience dans des versions en réalité augmentée et en réalité virtuelle, voire de les faire cohabiter avec la multi-projection. La continuité et la modularité entre les différents dispositifs immersifs nous tient vraiment à cœur et reste le principe clé de développement de Deep Ecology. 

Pour les autres sorties, nous venons tout juste de finir la production du projet You’re Very SpecialYou're Very Special est une exposition documentaire immersive constituée d'une collection d'archives, produites par intelligence artificielle, de l'attaque du Capitole, à Washington, le 6 janvier 2021. Basée sur une cartographie sémantique et sonore de l'attaque du Capitole, les techniques d'IA du texte vers l’image et du son vers l’image nous permettent de générer des archives imaginaires de l'événement. En promptant (le prompt est un texte destiné à diriger la création de l’IA) des tweets de Trump, des conversations de policiers émises via des talkies-walkies, des extraits de la chaîne Fox News ou encore des phrases des membres de la commission d’enquête ayant travaillé sur l'événement, la machine propose une nouvelle archive synthétique visuelle et sonore de l’événement. À l'approche de la nouvelle élection présidentielle américaine, le projet invite le public à s'interroger sur l'authenticité des images qu'il rencontre aujourd’hui. 

L'Institut français

Acteur essentiel de la politique culturelle extérieure de la France, l’Institut français est placé sous la double tutelle du ministère de l’Europe et des affaires étrangères et du ministère de la Culture. Il assure deux missions fondamentales : 

  • Promouvoir la culture et la langue françaises dans le monde ; 
  • Œuvrer à la diversité culturelle dans le monde ; 

Pour cela, il travaille très étroitement avec le réseau culturel français à l’étranger dont il vise notamment à amplifier l’action. 

L'institut français, LAB