Les designers Cédric Breisacher et Marion Gouez exposent au JAD
Lauréats du programme MIRA (Mobilité Internationale de Recherche Artistique) de l’Institut français, les designers Cédric Breisacher et Marion Gouez ont réalisé une résidence de six semaines en Suède à la découverte des savoir-faire locaux. Alors que leur travail est présenté dans l’exposition Chroniques de la création, dans les coulisses du JAD jusqu’au 16 février 2025, ils dévoilent les coulisses de ce projet et de leur collaboration.
Mis à jour le 28/01/2025
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Comment se sont déroulés vos parcours respectifs ? Quel a été votre déclic, votre envie, au moment de devenir designers ?
Marion Gouez : Quand j’étais petite, je voulais être styliste de mode, mais je me suis rendue compte, en visitant l’exposition sur Elsa Schiaparelli qui avait lieu aux Arts Décoratifs en 2004, que les savoir-faire me plaisaient plus que la forme du vêtement. Je suis passée par l’école Boulle, où j’ai suivi une formation sur le design, ainsi qu'à LISAA où je me suis formée au stylisme de mode, puis d’expérience en expérience, notamment dans une entreprise de prêt-à-porter, je me suis aperçue que je n’étais pas à ma place et j’ai décidé de partir faire des résidences artistiques en Islande, ainsi qu’au Groenland. J’ai ensuite pris du temps pour réfléchir durant le Covid avant de me rapprocher des métiers d’art et d’ajouter des techniques comme la broderie et la plumasserie à ma pratique.
Cédric Breisacher : J’ai entendu parler, pour la première fois, du métier à mes dix ans, lorsqu’un copain de classe s’est mis à dire qu’il voulait devenir designer et dessiner des brosses à dents. C’est resté dans un coin de ma mémoire et, en troisième, j’ai choisi de suivre mon attrait pour les arts appliqués et plastiques. Après un bac en arts appliqués, je me suis spécialisé dans le dessin d’objet en intégrant l’ISD Rubika à Valenciennes pour des études de design industriel. J’ai rapidement compris que je n’avais pas envie de dessiner des objets qui allaient être fabriqués à des milliers d’exemplaires : très jeune, je voulais dessiner des objets écologiques qui n'abîment pas la planète. J’ai donc décidé de passer mon diplôme sur la production locale d’objets et d’ouvrir mon atelier après mes études en 2015. J’ai ainsi pu me lancer dans la fabrication de mobiliers en bois massif pour créer des objets en circuit court. En 2021, j’ai poursuivi ce processus avec une année supplémentaire à l’ENSCI, où j’ai développé le projet Agglomera pour revaloriser mes copeaux de bois et concevoir un atelier circulaire afin de réduire l’impact de mes créations.
De quelle manière s’est tissée votre collaboration ?
Cédric Breisacher : Elle a démarré assez vite et on s’est rapidement dit que l’on voulait collaborer. C’est lors d’une exposition au musée des Arts Décoratifs sur les années 80 que nous avons eu l’idée d’imaginer une collaboration motifs sur du mobilier afin de jouer sur la perception. Nous avons commencé par aller nous balader en forêt, à récolter des éléments, des écorces, des lichens et des feuilles. En regardant de plus près ces écorces, nous avons vu qu’il y avait de la mousse, plusieurs textures, plusieurs motifs, plusieurs couleurs et nous nous sommes demandé comment retranscrire cette émulsion de motifs, de formes et de couleurs sur du papier.
Marion Gouez : Il faut savoir que le motif représente vraiment le cœur de ma pratique. Je dessine des motifs pour le prêt-à-porter de luxe, c’est pour ça que la résonance avec le motif était forte et, effectivement, ça a été une entente amicale avant d’être une collaboration professionnelle. Nous avons, tout d’abord, commencé par expérimenter : j’avais un grand rouleau de papier et on l’a juste déroulé par terre dans l’atelier de Cédric sans savoir ce que l’on allait faire. Comme il y avait des petits tas de copeaux de bois, on s’est dit “et si on essayait [de peindre avec] ?” on a également raclé de la peinture, puis peu à peu on a affiné, le dessin en terminant par l'utilisation de pastels et d'encre de Chine. On avait un dessin très plastique, détaillé, on sentait la texture végétale alors qu’il n’y avait pas de début, pas de fin. On s’est ensuite demandé comment retranscrire ce motif en textile avant de se dire que le jacquard était peut-être une bonne idée.
Lauréats du programme MIRA (Mobilité Internationale de Recherche Artistique) de l’Institut français, vous avez été soutenu pour une mobilité en Suède au printemps dernier. Pouvez-vous nous parler du projet Végétamorphe, autour duquel se sont organisées vos recherches ?
Cédric Breisacher : Nos recherches sur place se sont faites sur le fil du trajet. Nous avons obtenu la bourse quelques jours avant de partir : notre seul véritable but était d’aller au nord de la Suède en train et de visiter un maximum de parcs nationaux. Tout le trajet se faisait au jour le jour, ce qui nous permettait de rester une nuit en plus quelque part si on découvrait quelque chose d’intéressant qu’il fallait aller voir. C’est comme ça que nous avons, par exemple, connu le Vandalorum Museum. Toute la résidence s’est construite en fonction de nos envies et le voyage nous a emmené en résidence chez Anders et Ann-Marie, où nous sommes restés trois semaines.
Marion Gouez : Nous avons trouvé le dispositif MIRA sur le site de l’Institut français. Nous avons passé dix à quinze jours en itinérance, trois semaines en résidence, puis, à nouveau, dix à quinze jours en itinérance avant de rentrer à Paris. Lorsque nous sommes partis, Végétamorphe était au point mort : toute cette énergie créatrice et cette instinctivité que nous avions eu au début s’étaient plus ou moins dispersées. Nous avions besoin d’avoir un espace et du temps pour être sur le projet, visiter, travailler ou juste se laisser porter. C’était passionnant d’avoir ces deux parties, l’itinérance avec le voyage en train et ce temps plus posé dans la résidence d'Ann-Marie : en traversant l’intégralité de la Suède, nous avons pu nous approprier les paysages et nourrir notre imaginaire.

Quel a été l’impact de cette résidence sur vos projets ? Vous a-t-elle permis d’élargir votre pratique, de mettre en place d’autres opportunités de collaboration ?
Marion Gouez : Pour le projet, c’était une étape charnière car nous sommes rentrés avec des carnets de croquis pleins. Cédric a également pu travailler sur des 3D de mobiliers et, lorsque nous sommes revenus, pour préparer cette exposition [Chroniques de la création au JAD], nous avons créé une chaise entièrement en bois cintré. Il s’agit d’une technique que nous avons beaucoup observé sur place : tous les musées ont les mêmes chaises, mais avec du bois cintré. Pour notre collection et notre projet, ce voyage a été un énorme apport car cela nous a permis de le redéfinir, de savoir comment dessiner de nouveaux éléments, comment s’y prendre et quelle est la bonne méthodologie.
Cédric Breisacher : Sur place nous avons écrit un manifeste Végétamorphe, qui nous aide beaucoup à nous dire ce qui est dans le projet et ce qui ne l’est pas. Nous avons remarqué que ce projet démarre toujours par une balade en forêt, c’est réellement son essence. À chaque fois que nous sortions d’un parc naturel, nous avions quatre ou cinq idées qui apparaissaient et c’est vraiment le milieu forestier qui est notre source d’inspiration et qui construit l’imaginaire du projet. Ça m'a aussi donné l’envie de partir en résidence dans ma forêt familiale. Il fallait absolument que j’exploite ce terrain car cette forêt est vieillissante et j’ai sauté le pas cette année.

Depuis le 23 octobre, vous présentez votre travail dans l’exposition « Chroniques de la création, dans les coulisses du JAD », qui se déroule jusqu’au 16 février 2025. Quels sont les éléments de votre pratique mis en lumière durant cet événement ?
Cédric Breisacher : C’est une grande table où chacun présente des échantillons et des produits finis autour d'un projet. Nous partons du premier motif, des médiums qui nous ont permis de dessiner et nous avançons au fur et à mesure de la lecture de cette table jusqu’à la chaise qu’on a réalisée après notre résidence en Suède. Autour de cette chaise, il y a des éléments collectés qui sont mis dans des petites fioles, conservées comme pour un herbier, nos croquis, ainsi que le textile jacquard qui est présenté. Il y a vraiment un bel échantillon de l’ensemble du projet.
Marion Gouez : Le textile sert aussi à l’assise de cette chaise que nous avons réalisée.
Quels sont vos prochains projets ? Avez-vous le souhait de poursuivre votre collaboration ?
Cédric Breisacher : Le projet va continuer après, avec une présentation à Milan en compagnie du JAD. Pour l’instant, on se concentre vraiment sur ce projet-là, qui est important dans notre collaboration.
Marion Gouez : C’est un projet que l’on a pensé multi-supports avec une première pièce, qui était un kimono en tissu. Il y a tellement à faire car une balade en forêt peut donner lieu à plein de choses et je pense qu’il y a suffisamment à faire pour déjà produire de nombreuses choses, explorer et s’amuser. Nous allons parallèlement répondre à l’appel à achats du mobilier national.

MIRA - Mobilité Internationale de Recherche Artistique, appuie les artistes dans leurs démarches de recherche à l’international.