Les Harmoniques du Néon : Anne-Julie Rollet et Anne-Laure Pigache, en collaboration avec Carole Rieussec
Anne-Julie Rollet et la compositrice de musique électroacoustique Carole Rieussec, moitié du duo Kristoff K.ROLL avec J-Kristoff Camps, ont imaginé la performance Place, Plaça. Un travail autour de récits sonores sur la notion de place publique et qui s’exporte désormais hors des frontières hexagonales. Cette pièce est mise en place par les Harmoniques du Néon dont Anne-Julie Rollet et Anne-Laure Pigache sont les artistes associées. Après deux résidences en juin et en novembre 2021 à Barcelone, elles présenteront Place, Plaça à Grenoble en février 2022, et reviendront en mars à Barcelone.
Mis à jour le 21/01/2022
5 min
Anne-Julie Rollet, vous êtes compositrice et improvisatrice de musiques électroacoustiques. Anne-Laure Pigache, vous êtes vocaliste et performeuse. Comment abordez-vous votre pratique artistique ?
Anne-Julie Rollet : J’ai une attirance pour le dispositif live. J’aime jouer avec des sons enregistrés ou créés en direct, avec des haut-parleurs que j’utilise comme des instruments de musique. Je fais ce que l’on appelle des « traitements », je retraite en direct le son généré par des instrumentistes ou des vocalistes.
Anne-Laure Pigache : Je m’inscris dans le champ de la poésie sonore. Je ne travaille pas à partir de textes, mais à partir de la parole, qui peut être quotidienne, banale ou encore conversationnelle. J’essaye de sentir ce qui se joue sonorement et musicalement. Comment en perturbant le langage, on vient perturber la pensée. Je suis autodidacte, je suis passée par le théâtre, la musique improvisée, la danse, etc. C’est la musique concrète et l’écoute de la musique expérimentale qui m’ont donnée accès au son et à la musique. Je me suis amusée à explorer la voix et toutes les possibilités vocales avec cet angle d’approche.
Comment est né le projet Place, Plaça ?
A-JR : C’est un projet que j’ai d’abord réalisé avec la compositrice de musique électroacoustique Carole Rieussec. À l’époque, place de la République, il y avait le mouvement Nuit debout (un ensemble de manifestations en 2016 se déroulant sur des places publiques suite à la proposition de Loi Travail, ndlr). Nous avons été frappé par la manière dont la parole s’organisait sur cette place publique, et à quel point elle était éclatée et libre. Dans un monde où les villes se gentrifient de manière très accélérée, c’était comme une réappropriation de l’espace public par la parole. La place n’est plus seulement fonctionnelle, elle redevient un espace de vie.
Par le passé, vous avez réalisé des installations, des concerts, des performances, à quoi ressemblera Place, Plaça ?
A-LP : Il y a d’abord une première étape pendant laquelle nous récoltons les sons en immersion sur une place choisie en extérieur. Après ce temps, il y a un travail de composition et d’écriture à partir de tous les matériaux récoltés. La performance a lieu en intérieur, le public est assis dans un ovale. Nous sommes situées à plusieurs endroits de cet ovale, et au centre, il y a un espace vide. Les personnes assises écoutent les paroles de personnes absentes, tout en regardant d’autres. Des individus qui pourraient être eux-mêmes des passants de cette place. Il y a alors une superposition des présences qui se créé et qui est soulignée par la lumière et la scénographie de Christophe Cardoen. C’est une lumière suggestive qui a été créée pour mettre à l’écoute. Autour de cet ovale, quatre enceintes permettent l’immersion sonore, et en bordure, il y a une dizaine de radios qui sont des points plus précis.
La place est un endroit où l’on crie, où l’on chuchote, où se rencontre… C’est un endroit éminemment politique, à la fois social et intime. Qu’évoque pour vous cette notion de “place publique” ? Et quel lien existe-t-il pour vous entre « la parole » et la place ?
A-JR : La parole transmet des images sonores de la place. Les personnes étaient captées par différentes manières : on leur demandait de décrire des photos, on les questionnait sur l’usage qu’ils ont de la place, on pouvait également les enregistrer de manière totalement spontanée. Quand quelqu’un décrit sa place, on a une image qui se forme. Et la place est aussi un lieu d’existence sociale. Plus les espaces publics disparaissent plus les inégalités se forment. Sans elles, seules les personnes qui ont une assise sociale peuvent exister.
A-LP : Il y a différents types d’occupations, pour certains, la place est une véritable extension de leur espace de vie. On retrouve ses amis pour boire un verre, on joue à la balle… En restant une semaine à observer ces places, des calques de présences se superposent. L’enchevêtrement de toutes ces manières de parler raconte aussi la multiplicité des présences sur une place.
Pourquoi avoir choisi de présenter un spectacle différent dans chaque ville, et de faire participer des artistes locaux aux horizons différents (cinéma, danse, art) ?
A-JR : On avait envie d’explorer d’autres endroits, et de nous confronter à d’autres façons de vivre l’espace public. Cela nous intéresse d’explorer des lieux que l’on connaît moins, qui ne sont pas de notre culture, pour mieux les rencontrer. Le fait d’être ailleurs, de côtoyer une autre langue, c’est approcher une autre musicalité. Nous sommes particulièrement sensibles avec Carole à la musicalité de la parole. La parole fait sens, mais fait aussi son, quand on est avec des personnes dont on ne comprend pas la parole en termes de sens, on écoute beaucoup plus leur musicalité.
En février 2022 Place, Plaça fera étape à Barcelone, avec le soutien de la Ville de Grenoble et de l’Institut français. Vous êtes entourée d’Eduardo Filippi, architecte, interprète et cinéaste et de Núria Martínez-Vernis, poétesse et traductrice. Comment votre travail s’est-il nourri de leur sensibilité ?
A-JR : On trouvait intéressant d’être en contact avec des personnes qui connaissent l’espace et sa pratique, qui ont une traduction de cet espace. Afin d’en proposer une rencontre plus en profondeur. La rencontre de l’espace aurait été moins riche sans elles. Pour le côté pluridisciplinaire, on trouve qu’il y a des liens entre le corps, l’image et le son qui sont intéressants à faire exister. Avec Carole, nous avons écrit une partition avec des intentions précises. Ensuite, chacun l’interprète avec sa pratique. Il y a également une part d’improvisation. Eduardo Filippi utilise des films et des projecteurs, Núria, sa voix et des hauts parleurs. Chacun travaille avec sa pratique à la rencontre de l’autre.
A-LP : Parfois dans le spectacle vivant, le son est au service de ce qui se regarde. Ici, c’est l’inverse. Le personnage principal, c’est le son. Les autres formes artistiques viennent soutenir le son et l’imaginaire qui se déploie. Différentes langues se côtoient. Dans la performance, Núria parle castillan et catalan, et je parle français. Nous ne disons pas nécessairement la même chose. Nous avons eu envie de multiplier les suggestions aux auditeurs pour qu’ils aillent eux-mêmes chercher dans leur souvenir de places, dans leur propre évocation d’espace. L’idée c’est de venir, à partir d’un ancrage précis et concret pour nous, évoquer les ancrages qui nous échappent et qui sont ceux de l’intimité de chaque spectateur.
Le projet Place, Plaça est soutenu par le partenariat entre l'Institut français et la Ville de Grenoble.