Luz Moreno & Anaïs Silvestro
Les artistes Luz Moreno et Anaïs Silvestro travaillent avec les aliments pour en déployer les multiples histoires. En résidence à la Villa Kujoyama, au Japon, elles ont mis au point une cérémonie de l’olivier qu’elles comptent à présent développer en post-résidence à l’Abbaye de Maubuisson.
Mis à jour le 20/12/2021
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Revenons sur vos parcours respectifs. Comment en êtes-vous arrivées à l'art culinaire ?
Luz : Je suis espagnole, et je suis arrivée à Paris à 18 ans pour intégrer les Arts Décoratifs, où j’ai étudié pendant cinq ans la scénographie. J’ai aussi commencé à travailler dans le théâtre, où j’ai eu l’impression que le rôle des cinq sens n’était pas assez pris en compte dans les interactions avec le public. J’ai donc voulu intégrer l’odorat et le goût dans mon travail, et c’est pour cela que j’ai postulé au post-diplôme de design culinaire de l’ESAD (Ecole supérieure d’art et de design), à Reims. L’idée était d’allier l’art, le design et la cuisine, et c’est là que j’ai rencontré Anaïs.
Anaïs : Pour ma part, j’ai découvert le design culinaire au lycée, en arts appliqués. Après des études en design de mode, je me suis rendu compte que je m’intéressais surtout à la transformation du corps, que ce soit par le vêtement ou par d’autres moyens. J’ai donc développé un projet sur la digestion lorsque j’ai intégré le post-diplôme de l’ESAD où j’ai rencontré Luz.
Suite à votre rencontre à l’ESAD, à Reims, quel a été le déclic qui vous a donné envie de travailler ensemble ?
Luz : Dans la promotion de ce post-diplôme, qui n’existe plus aujourd’hui, nous n’étions que trois. Avec Anaïs, on s’est tout de suite contactées pour prendre un logement à Reims, et on a rapidement habité ensemble. A partir de là, il était assez naturel pour nous de collaborer ensemble.
Anaïs : Nous avons rapidement développé des projets, dont un autour du beurre qui nous a mené au salon Big Food, au Matadero, à Madrid. En Espagne, le beurre est un ingrédient peu utilisé, on avait donc choisi de le mettre en scène et de le proposer à la dégustation de différentes façons.
Comment définiriez-vous votre pratique, à la croisée de l’art et de la cuisine ?
Anaïs : Des designers culinaires en tant que tels, il n’y en a pas tant que ça en France. On s’est donc toujours dit qu’il y avait autant de définitions du design culinaire que de designers culinaires. En tout cas, il y a l’idée d’explorer un champ ludique, qui décloisonne l’héritage de la gastronomie française. Ce qui nous intéresse c’est vraiment de valoriser la nourriture et l’histoire des personnes qui travaillent les ingrédients que l’on utilise tous pour cuisiner, comme le beurre ou l'huile d’olive, auxquels on ne prête pas beaucoup attention. Finalement, notre but est de raconter des histoires. Par exemple, si l'on raconte l’histoire du mimosa, de la carotte ou de l’olivier, nous les traitons comme des personnages. La dimension sensorielle est également extrêmement importante, ce qui nous amène aussi à collaborer avec le spectacle vivant.
Vous avez réalisé une résidence à la Villa Kujoyama, à Kyoto, en 2019. Quel projet y avez-vous développé ?
Luz : A l’origine, on pourrait le relier à notre tout premier projet sur le beurre, celui que nous avions développé en Espagne. Je suis espagnole, et j’ai l’habitude de dire que j’ai de l’huile d’olive dans les veines. Anaïs vient du sud de la France, c’est donc un peu pareil pour elle. En travaillant sur l’huile d’olive, on a découvert que le Japon produisait aussi de l’huile d’olive. Et qu’elle était considérée comme l’une des meilleures du monde, ce qui nous a plutôt étonnées. Nous avons passé un mois chez un oléiculteur, ce qui nous a permis de constater qu’ils travaillent de façon très différente. Ils cueillent chaque olive à la main, parce qu’ils ne veulent pas faire souffrir l’arbre, ce qui donne lieu à une chorégraphie incroyable et à un produit exceptionnel.
Qu’est-ce que le Japon vous a apporté ?
Luz : Le respect du vivant est incroyable dans cette culture. La découverte de cette philosophie nous a poussées à vouloir développer une cérémonie pour honorer l’olivier. La résidence nous a permis de rencontrer plusieurs artisans, qui nous ont beaucoup influencées. Tous les bols utilisés pendant cette cérémonie ont ainsi été fabriqués avec de la terre que nous avons récoltée près de Kyoto, et grâce à une technique japonaise qui consiste à créer de l’émail à partir de cendres d’olivier. Certains outils ont également été créés avec du bois d’olivier. Le but était vraiment de célébrer cet arbre incroyable dans toutes ses dimensions.
Anaïs : C’était ma première expérience au Japon, et j’ai été frappée de l’existence d’un véritable art sensoriel. L’appréhension de l’environnement y est très différente, même dans le quotidien. Par exemple à Tokyo, l’une des villes les plus denses au monde, j’ai été frappée par le silence. La première fois que j’ai découvert une cérémonie du thé, j’ai voulu que nous nous inspirions de ces rituels. Nous avons aussi assisté à une cérémonie du kōdō (une cérémonie de l’odeur), grâce à un autre résident de la Villa Kujoyama, Daniel Pescio, artiste olfactif et parfumeur, que nous avons invité à notre post-résidence à l’Abbaye de Maubuisson.
Vous effectuez désormais une post-résidence à l'Abbaye de Maubuisson. Qu’en attendez-vous ?
Luz : La résidence à la Villa Kujoyama nous a permis de créer une première version de cette cérémonie, et aussi d’éditer un livre qui la décrit. Aujourd’hui, nous souhaitons développer un second volet de cette cérémonie à l’Abbaye de Maubuisson, qui entretient un lien très fort avec le Japon et sa philosophie, afin de la présenter au printemps 2022. Nous souhaitons vraiment nous inspirer de ce que nous allons vivre sur place. Il est très important pour nous d’attendre d’être imprégnées des lieux, et de ne pas forcément tout prévoir à l’avance. C’est quelque chose que nous avons appris au Japon : l’importance de vivre dans l’instant présent. Il est donc impensable d’anticiper une œuvre avant d’avoir vécu cette abbaye et son unique olivier, dont nous avons hâte de faire la connaissance.
Luz Moreno et Anaïs Silvestro ont été lauréates de la Villa Kujoyama en 2019. La Villa Kujoyama est un établissement artistique du réseau de coopération culturelle du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Relevant de l’Institut français du Japon, elle agit en coordination avec l’Institut français et bénéficie du soutien de la Fondation Bettencourt Schueller, qui en est le mécène principal.
En savoir + sur la villa Kujoyama
Les artistes culinaires Luz Moreno et Anaïs Silvestro effectuent actuellement une post-résidence à l’Abbaye de Maubuisson, partenaire de la Villa Kujoyama dans le cadre du soutien post-résidence offert à ses lauréats.