Le plasticien Mahdi Baraghithi évoque sa résidence artistique à Paris
Mahdi Baraghithi est un artiste palestinien dont le travail explore la représentation de la masculinité et du corps masculin dans les sociétés arabes, en particulier en Palestine. À travers une approche multidisciplinaire mêlant collage, installation et performance, il examine la manière dont la masculinité est construite, mise en scène et instrumentalisée.
Actuellement en résidence dans le cadre du programme Institut français x Cité internationale des arts à Paris, en collaboration avec le programme de résidence Sawa Sawa porté par l'Institut français de Jérusalem, il poursuit son exploration de la mémoire et de la résistance, notamment à travers son dernier projet Monuments of Memory and Resistance. Sa résidence à la Cité internationale des arts sera suivie d'une résidence de trois mois à Artagon Pantin. Nous avons échangé avec lui sur son parcours artistique, l'évolution de sa pratique et la portée de sa résidence en France.
Mis à jour le 14/03/2025
2 min
Votre travail explore la représentation de la masculinité et du corps masculin dans les sociétés arabes, en particulier en Palestine. Qu’est-ce qui vous a conduit à vous intéresser à cette thématique, et comment a-t-elle évolué au fil du temps ?
Mon intérêt pour la masculinité et le corps masculin dans les sociétés arabes, et plus particulièrement en Palestine, découle d’expériences personnelles et d’observations sur la manière dont la masculinité est construite, mise en scène et parfois instrumentalisée. Être un héro, être perçu comme fort, ces attentes sont façonnées par des structures culturelles, sociétales et politiques. J’ai commencé à collecter des images sur les réseaux sociaux à la fois pour comprendre et pour déconstruire ces représentations. Je voulais aller à l’encontre des stéréotypes et remodeler la façon dont la masculinité palestinienne est perçue, tant au sein de notre société qu’à l’échelle mondiale. Mon travail a débuté en 2015, lorsque j’étais étudiant en école d’art en Palestine, en questionnant les structures familiales, la masculinité et l’identité à travers le collage. Au fil du temps, j’ai exploré comment les hommes palestiniens sont ciblés sous l’occupation, et comment la masculinité peut être utilisée comme une forme de protection plutôt que seulement comme un vecteur de violence. Depuis le début de la guerre, cette réflexion est devenue encore plus pressante.
Pendant votre résidence à la Cité internationale des arts, vous menez des recherches sur la « signification symbolique et matérielle des monuments » à travers votre projet Monuments of Memory and Resistance. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre démarche et les questions que vous souhaitez explorer ?
Ce projet s’inscrit dans le prolongement de mes recherches sur la façon dont la mémoire et la résistance se matérialisent, en particulier dans le contexte palestinien. Je m’intéresse aux monuments qui ne sont pas officiellement reconnus—ceux qui existent dans des espaces intimes, domestiques ou cachés, comme les objets fabriqués par des prisonniers palestiniens ou les artefacts conservés par les familles en tant qu’actes de souvenir. Mon approche consiste à interroger la manière dont ces monuments informels et éphémères remettent en question les récits historiques dominants et les formes de commémoration officielles. À travers cette recherche, j’explore comment la mémoire est incarnée, comment la résistance est archivée, et comment l’art peut servir de contre-monument à l’effacement.
Lorsqu’on parle des victimes, on mentionne généralement les femmes et les enfants, tandis que les hommes sont réduits à des statistiques. Je m’attache à raconter leur lutte, leur vie carcérale intérieure, ainsi que les objets artisanaux qu’ils fabriquent pour préserver leur équilibre mental et construire une mémoire. Actuellement, il y a plus de 11 000 prisonniers palestiniens. Beaucoup d’entre eux créent des objets—broderies, sculptures, perles—en utilisant des matériaux recyclés comme des noyaux d’olive, du sable ou d’autres éléments récupérés. Ces créations deviennent des messages de souvenir pour leurs familles. Certaines œuvres sont clandestinement sorties des prisons, tandis que d’autres sont secrètement photographiées. Mon projet cherche à mettre en lumière ces artefacts en tant que monuments de résilience, comme des formes de mémoire et de défi face à l’oubli.
Vous travaillez à travers plusieurs médiums. Comment décidez-vous quel médium sert le mieux votre intention artistique pour un projet donné ?
Pour moi, le médium est toujours dicté par le concept. Certaines idées nécessitent une présence matérielle et tactile, tandis que d’autres exigent la fluidité de la vidéo ou l’intimité de la performance. Par exemple, lorsque j’explore la physicalité de la masculinité, je me tourne souvent vers le collage et l’installation, en utilisant des matériaux qui portent en eux le poids, la pression ou la fragilité. Lorsque je traite des récits d’exil ou de déplacement, je peux privilégier la vidéo ou la photographie pour capturer des moments éphémères et des témoignages. Je considère les médiums comme des langues—chacune possède son propre vocabulaire, et mon rôle est de choisir celle qui exprime le mieux mes idées.
Aujourd’hui, je souhaite explorer de nouveaux matériaux. Je travaille avec le collage et l’installation depuis des années, mais je redécouvre le travail des perles, une pratique que j’avais enfant. Cela me permet de remettre en question les notions traditionnelles de masculinité. Je m’intéresse particulièrement à la manière dont les prisonniers collectent et transforment des matériaux pour créer de la beauté sous l’oppression. Mon travail s’oriente donc actuellement vers le tissu, le perlage, la vidéo et la performance.
La résidence s'inscrit dans le cadre du programme Sawa Sawa des Instituts français de Jérusalem. Comment ce contexte international a-t-il influencé votre pratique et votre regard sur votre travail ?
Cette résidence est arrivée à un moment crucial—non seulement pour moi, mais pour tous les Palestiniens. Tout le monde en Palestine a besoin d’aide, et je veux utiliser cette opportunité pour créer des ouvertures pour les autres. Je me sens incroyablement chanceux de faire partie de ce programme, car j’ai eu la liberté de travailler avec le soutien dont j’avais besoin.
Faire partie d’une résidence internationale, en particulier une qui relie des artistes palestiniens à un réseau plus large, m’a permis de réfléchir à ma pratique sous un angle différent. Cela m’a donné l’occasion d’engager des conversations où l’art palestinien n’est pas seulement perçu à travers le prisme du conflit, mais comme une composante d’un discours global sur la résistance, la mémoire et l’identité. La possibilité d’échanger avec des artistes de divers horizons a également élargi ma compréhension de la manière dont des luttes similaires se manifestent dans d’autres contextes. Cela renforce ma conviction que l’art est un outil de connexion et un moyen de remettre en question les récits dominants au-delà des frontières géographiques et politiques.
Je veux aussi que mon atelier soit un espace d’échange, où les gens peuvent venir apprendre, se connecter et partager des idées. En Palestine, les prisonniers s’asseyent ensemble, travaillent les perles, parlent de leurs familles—cela devient une forme de méditation active. Je veux recréer cette expérience ici, où la conversation, le mouvement et l’artisanat se rejoignent comme une forme de résistance.
Votre art engage souvent des récits sociaux et politiques complexes. Comment naviguez-vous entre expression personnelle et commentaire sociopolitique plus large dans votre travail ?
Je ne vois pas l’expression personnelle et le commentaire sociopolitique comme deux éléments distincts – ils sont profondément liés. Mon vécu, mon corps et mon identité sont intrinsèquement politiques dans le contexte dont je viens. Cependant, je m’efforce de créer un travail qui dépasse la simple représentation ou l’activisme, et qui s’engage plutôt avec les dimensions émotionnelles, psychologiques et poétiques de ces récits. Ce qui m’intéresse, c’est la manière dont des gestes personnels, des objets intimes et des expériences corporelles peuvent dialoguer avec de plus vastes structures de pouvoir, d’histoire et de résistance.
En regardant vers l’avenir, quelles sont vos aspirations pour votre résidence à Paris ? Y a-t-il des collaborations spécifiques ou de nouvelles directions que vous souhaitez explorer pendant votre séjour ici ?
Au-delà de la poursuite de mes recherches sur les monuments et la mémoire, j’espère explorer de nouvelles possibilités matérielles et spatiales dans ma pratique. Être à Paris, entouré par son histoire et sa scène artistique contemporaine, me donne envie d’expérimenter différentes échelles et médiums, en intégrant potentiellement plus d’éléments sculpturaux et performatifs dans mon travail. J’aimerais également engager des échanges avec des artistes et des chercheurs travaillant sur les thèmes de la mémoire coloniale, du déplacement et de la résistance, afin de construire des conversations qui relient mon contexte palestinien à d’autres histoires de lutte et de résilience. En fin de compte, je considère cette résidence comme une période de transformation – une opportunité d’élargir ma pratique, de nouer des collaborations significatives et d’explorer de nouvelles directions. Ce n’est que le début, et je reste optimiste, car les temps changent, et l’art a le pouvoir d’accompagner ces changements.

Le programme de résidences Institut français x Cité internationale des arts s’adresse aux artistes, professionnelles et professionnels de la culture résidant à l’étranger depuis au moins 5 ans, qui souhaitent développer un projet de recherche et de création à Paris, lors d’une résidence de trois, six ou neuf mois.