Manuel Rocha Iturbide est en résidence à la Cité internationale des arts
Compositeur et artiste sonore mexicain, Manuel Rocha Iturbide s'est imposé comme un pionnier dans son domaine grâce à un travail transdisciplinaire, qui croise l'électroacoustique, la sculpture et l’installation, ou encore la photographie. Actuellement en résidence à Paris, dans le cadre du programme Institut français x a Cité internationale des arts, il raconte sa passion pour la musique, les moments marquants de son œuvre, mais aussi les enjeux de l'art sonore en Amérique Latine.
Mis à jour le 26/11/2024
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Pionnier de l’art sonore, vous travaillez sur la musique électroacoustique. Comment vous êtes-vous intéressé à cette discipline avant d’en faire votre spécialité ?
En réalisant ma licence en musique et en composition, j'ai commencé à enregistrer des sons. Je me suis acheté un micro, mais aussi un lecteur cassette quatre pistes afin de réaliser mes premières expériences. Puis, j'ai réalisé une sculpture sonore, en 1988, dans une importante exposition collective d'art au Mexique, où j'ai pu me présenter, pour la première fois, comme artiste. Avec un petit module de synthèse, j'ai ensuite entrepris de la musique électronique et expérimentale. Pour ce qui est de l'électroacoustique, cela remonte vraiment à ma maîtrise, réalisée de 1989 à 1991, et à la lecture du livre d’Étienne Souriau, La Correspondance des arts. C'est comme ça que je suis entré peu à peu dans la théorie et me suis intéressé aux deux domaines.
De quelle manière concevez-vous vos compositions et vos œuvres ? Quelles sont vos inspirations ?
Parmi les thèmes principaux, on trouve le rapport entre la science et les sons, mais aussi la musique. Il y a également la théorie du chaos dans les années 80, la physique quantique ou encore l'entropie. C'est ce que j'ai voulu développer lorsque j'étais en France pour mon doctorat à Paris-VIII, tout comme à l'IRCAM. L'écoute fait, par ailleurs, partie des choses essentielles avec la découverte de John Cage en 1986. C'est mon cher ami Gabriel Orozco, un artiste connu dans le monde entier, qui m'a offert ce livre. En 1993, il a réalisé sa première exposition à Paris et nous avons collaboré sur une pièce conceptuelle sonore qui s'appelle « Ligne d'abandon ». Durant cette période, ce n'était pas seulement la science et la technologie, c'était aussi la transformation et la poétique de la transformation d'un objet. Dans les dernières années, j'ai pu travailler sur des idées comme l'éternel retour, la destruction comme création, l'archive comme forme d'art et ce sont toujours des philosophes comme Foucault, qui m'ont inspiré sur ces sujets.
Votre musique a été interprétée dans le monde entier alors que vos œuvres ont été exposées dans des musées d’envergure. Quel est le souvenir le plus marquant de votre carrière ?
Dans les moments importants, je retiens ma première sculpture sonore, exposée dans une exposition collective en 1988 au Mexique. Il y a également eu l'exposition faite à Artists Space en 1997, qui était majeure puisqu'elle se déroulait à New York. Nous étions un groupe très uni, des amis de Gabriel, et j'ai ensuite pu aller à la Biennale de Sydney. C'était une opportunité rare puisque j'avais peu travaillé comme artiste sonore. Dans la composition, je note d'autres moments essentiels comme ma première pièce instrumentale complexe à l'IRCAM. Aujourd'hui, je ne dis plus que je suis artiste sonore, mais simplement artiste. Je travaille dans une galerie au Mexique et j'ai réalisé cinq expositions en quinze ans : cela m'oblige à produire et ce mélange me donne une personnalité particulière.
Vous êtes en résidence à la Cité internationale des arts, où vous travaillez sur la notion de dérive. Quels sont les grands enjeux de cette résidence ?
Marcher est quelque chose de très important dans ma vie : j'ai commencé à le faire pour réaliser des photos à l'âge de 20 ans. En marchant, j'enregistrais également des paysages sonores, mais je ne le fais plus maintenant. Lorsque j'étais au Japon, grâce à une bourse de la fondation Japon en 2000, j'ai pu découvrir le monde, découvrir l'art dans la rue : je faisais ce que je voulais, je sortais tout le temps, je marchais et je visitais des musées. C'est comme cela que j'ai fait mon travail au Japon. Ici, à Paris, j'ai l'opportunité de faire la même chose, d'avoir la liberté de sortir pour n'importe quelle excuse. Mais, par exemple, si c'est pour du yoga, je le choisis à Belleville, j'ai aussi marché du Parc des Princes jusqu'ici, au Marais. Au début, il y avait ces marches et ensuite, j'ai trouvé un thème clair avec deux sujets que sont la photo des objets abandonnés dans la rue avec mon portable, ainsi que des objets obsolescents que j'achète sur des marchés aux puces. Je fais ensuite des assemblages afin de sauver ces outils qui ne s'utilisent plus.
Vos recherches croisent plusieurs disciplines, notamment la sculpture, l’installation ou encore la peinture. La musique est-elle toujours le point de départ ou bien un fil conducteur afin d’entremêler ces différents arts ?
Définitivement, oui, le son, la musique, le silence et l'écoute ont été les fils conducteurs de mon travail, mais la photographie a aussi été très importante. En photographie, j'ai eu des périodes où j'ai commencé le noir et blanc, puis je l'ai arrêté, avant de revenir à la photographie couleur. C'est la première fois que je fais quelque chose avec les photos que j'ai prises depuis des années sur mon portable. Mais, même si je n'avais rien fait avec ça, ma pratique demeure liée à l'écoute de la musique et au son.
Comment voyez-vous l’évolution de l’art sonore et de la musique électroacoustique au Mexique et en Amérique Latine ?
Dans le passé, les choses étaient difficiles pour l'électroacoustique au Mexique. La génération des compositeurs nés entre 1920 et 1950, n’ont pas appuyé son développement. Dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, une nouvelle génération des compositeurs autodidactes et d’autres formées à l’étranger, ont petit a petit changé c’est situation, aussi, il y a plus d’une décennie, on a créé un centre de musique électroacoustique dans la ville de Morelia. Maintenant, elle est même enseignée dans certaines universités. L'Argentine reste toutefois le pays qui a eu le plus de compositeurs, même si le Mexique est le pionnier de l'art sonore en Amérique Latine. J'ai eu l'occasion d'organiser un festival international d'art sonore de 1999 à 2002 avec Guillermo Santamarina, l'ancien directeur du Musée Ex Teresa Arte Actual. C'était un grand commissaire, qui a toujours supporté le travail transdisciplinaire des artistes et s'est montré intéressé pour tous types de musiques. Je crois que nous avons fait quelque chose d'important à cette époque et maintenant, il y a beaucoup d'artistes qui effectuent des créations liées à la musique et au son. En Argentine, Brésil, Colombie et dernièrement au Chili, il y a une scène d'art sonore très intéressante et peu connue en Europe : c'est notre travail de faire connaître ça. Je suis d'ailleurs en train de finir un livre sur l'art sonore au Mexique et en Amérique Latine, mais la part la plus importante sera de faire une traduction en anglais pour le diffuser largement.
Quels sont vos prochains projets ?
J'ai déjà comme projet d'ouvrir mon studio. Il s'agit d'une exposition mais, étant donné la taille du studio, il va être compliqué de montrer tout ce que je souhaite présenter. J'ai également proposé une exposition à l'Institut culturel du Mexique pendant Paris Photo l'année prochaine. Je dois ensuite finir le livre que je viens d'évoquer. J'ai, enfin, obtenu une bourse avec le projet d'effectuer cinq compositions de différents types, instrumentales et électroacoustiques : il s'agit d'un moment où je vais revenir à temps plein à la composition, même si je ne compte pas abandonner l'art sonore.
Le programme de résidences Institut français x Cité internationale des arts s’adresse aux artistes, professionnelles et professionnels de la culture résidant à l’étranger depuis au moins 5 ans, qui souhaitent développer un projet de recherche et de création à Paris, lors d’une résidence de trois, six ou neuf mois.