Marcos Uzal
Cinéphile avant toute chose, Marcos Uzal est, depuis le mois de mai 2020, le rédacteur en chef des Cahiers du cinéma. Alors que la revue fête cette année ses 70 ans, il revient sur son évolution, son influence et prend le temps d'évoquer l'omniprésence des plateformes en ligne.
Mis à jour le 22/09/2021
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Depuis mai 2020, vous êtes le rédacteur en chef des Cahiers du cinéma. Pouvez-vous évoquer, en quelques moments forts, votre parcours avant votre nomination à ce poste ?
J'ai travaillé pendant plusieurs années au service pédagogique de la Cinémathèque française puis à la Cinémathèque de la ville de Paris, où je m'occupais surtout d'ateliers pour enfants et adolescents. Puis j'ai été le programmateur cinéma du Musée d'Orsay de 2010 à 2020. Parallèlement à ces activités, j'ai commencé à écrire il y a un peu plus de vingt ans, surtout pour les revues Vertigo, dont j'ai été pendant un moment rédacteur en chef, et Trafic, dont j'ai été membre du comité de rédaction. J'ai également été directeur de collection pour l'éditeur Yellow Now et, à partir de 2017, critique cinéma à Libération, où j'ai exercé jusqu'à ma nomination aux Cahiers.
Les Cahiers du cinéma fêtent, cette année, leurs 70 ans. Quel regard portez-vous sur l'évolution du magazine et de sa ligne éditoriale à travers les époques ?
Les Cahiers du cinéma est une revue qui n'a cessé de se transformer, de se remettre en cause, et d'être, quelles que soient les époques, ouverte aux bouleversements cinématographiques mais aussi politiques et technologiques. C’est en cela que son histoire est passionnante (et, j’espère, aussi son présent) : chacune de ses périodes est marquée par des choix intimement liés à l’évolution du cinéma, avec l’idée qu’une revue a un rôle à jouer dans cette évolution, que nous n’en sommes pas que des témoins mais aussi des acteurs.
Vous dîtes vouloir faire en sorte que les Cahiers du cinéma reste une revue critique. Comment cela se traduit-il concrètement ?
Cela consiste à accorder une place majeure à l’exercice critique, là où beaucoup de revues semblent privilégier le journalisme. L’un et l’autre ne sont bien sûr pas incompatibles, et nous tenons à ce que le journalisme ait sa place dans la revue, mais pas qu’il remplace le point de vue critique. Par exemple, lorsque nous réalisons un dossier sur le développement des plateformes, nous ne nous contentons pas de faire une enquête journalistique mais nous étudions aussi les productions Netflix d’un point de vue esthétique, en tentant de définir ce que pourrait être une « forme Netflix ». Par ailleurs, un texte critique n’est pas seulement un alignement de notations et d’arguments, c’est aussi une pensée qui passe par un travail d’écriture. Nous tenons beaucoup à cette dimension « littéraire » qui a toujours été la marque des Cahiers.
Quels films ont marqué les Cahiers depuis votre arrivée ?
Cette année, surtout, nous avons vu pas mal de beaux films, et au moins deux très grands films : Annette de Léos Carax et First Cow de Kelly Reichardt, qui sort en salle en France le 27 octobre.
La revue reste particulièrement influente à l’international, y accordez-vous une importance particulière ?
Bien sûr ! L’aura de la revue à l’étranger est indéniable, et nous n’oublions jamais que nous avons des lecteurs un peu partout dans le monde. Par ailleurs, nous faisons régulièrement écrire des critiques étrangers. Nous travaillons aussi à essayer de rendre la diffusion de la revue plus accessible à l’étranger, notamment à travers la prochaine mise en place d’une version numérique.
À l'occasion des 70 ans de la revue, l'Institut français vous a proposé de créer deux sélections à partir de films disponibles sur IFcinéma. La première carte blanche permet au réseau culturel français à l’étranger de diffuser les films, tandis que la seconde est disponible en streaming sur IFcinéma à la carte . Que souhaitez-vous mettre en avant par l'intermédiaire de ces deux sélections ?
Nous avons souhaité mettre en avant la diversité du goût des Cahiers. Les deux sélections démontrent l’attachement des Cahiers à des formes nouvelles, aussi bien à travers des auteurs essentiels pour la revue (Renoir, Bresson, Godard Rohmer…) qu’à travers de jeunes cinéastes soutenus par elle plus récemment comme Bozon, Mouret, Kilani….
Vous avez réalisé votre premier numéro comme directeur des Cahiers du cinéma en plein confinement et l'une de vos cartes blanches va être intégralement diffusée en streaming. Quelle est votre position sur l'omniprésence des plateformes en ligne ? Êtes-vous inquiet pour l'avenir des salles de cinéma ?
Avec le confinement, les plateformes se sont définitivement imposées comme un moyen de diffusion majeur. Il serait idiot de les mépriser au nom d’une fidélité absolue à la salle. Puis il existe différentes sortes de plateformes et certaines accomplissent un vrai travail cinéphilique (Mubi et LaCinetek, notamment, ou Tënk du côté du documentaire). Alors que l’avenir des salles est vraiment menacé aux Etats-Unis, je ne crois pas que nous en soyons encore là en France, même si elles sont incontestablement très fragilisées depuis l’épidémie.
En France, un large public reste encore attaché à la salle, mais le risque est que ce ne soit que pour un certain type de films, les blockbusters, comme peuvent le faire craindre les chiffres de ces derniers mois où l’on constate qu’une grande partie des entrées se concentre sur peu de films. C’est inquiétant car, bien sûr, je reste persuadé que la salle et le grand écran restent irremplaçables.
Pour les 70 ans des Cahiers du cinéma, l'Institut français a proposé à la revue de créer deux sélections de films, disponibles sur IFcinéma jusqu'à la fin du mois de septembre.
La première sélection peut être diffusée à ses publics par le réseau culturel français à l’étranger, tandis que la seconde est disponible en streaming partout dans le monde (hors France).
Avec IFcinéma, l’Institut français propose un catalogue de plus de 2 500 titres permettant au réseau culturel et à ses partenaires de diffuser des films français dans le monde.