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Marcus Lindeen

Je pense être en quête de ma propre histoire à travers celles des autres.

Lauréat du programme de résidences de l'Institut français à la Cité internationale des arts en 2020, Marcus Lindeen est un réalisateur de documentaires, dramaturge et artiste suédois. Ses films The Regretters (2010) et The Raft (2018) ont tous les deux remporté le Prix Europa du meilleur documentaire télévisé.

Mis à jour le 20/10/2020

5 min

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Marcus Lindeen
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©Hannah Cohen/Metrograph

Vous avez connu jusqu’à présent une carrière éclectique qui englobe la réalisation de films documentaires, la dramaturgie et l’installation artistique. Est-ce que l’une des formes de votre travail influence la façon dont vous appréhendez les autres ?

Oui, j’en suis profondément convaincu. J’ai pris l’habitude de jongler entre elles. Mon premier projet a commencé comme une pièce de théâtre élaborée à partir d’entretiens avec deux Suédois sexagénaires qui regrettaient d’avoir subi une chirurgie de réattribution sexuelle pour devenir des femmes. J’en ai fait une pièce intitulée The Regretters (2006) et j’ai par la suite réalisé un documentaire (sorti en 2010) sur cette même histoire, avec ces deux mêmes hommes. La pièce a toutefois orienté la façon dont j’ai décidé de tourner le film. Le rendu final paraît très stylisé et théâtral. J’utilise des méthodes de réalisation de documentaires dans mes œuvres dramatiques et vice versa. J’ai eu recours à la scénographie pour mon dernier film (The Raft, 2018). J’ai construit un grand décor qui allait servir d’accessoire et d’outil narratif. Il a fini par être exposé comme installation artistique au Centre Pompidou à Paris. Une implication active dans différentes disciplines artistiques affecte les différents processus créatifs.

Vous préparez actuellement un doctorat sur le thème « Le documentaire mis en scène ». Jusqu’à quel point doit-on mettre en scène un documentaire ?

Il faut reconnaître que chaque œuvre documentaire est mise en scène d’une façon ou d’une autre, de manière plus ou moins visible ou intentionnelle. Mon projet analyse les moyens dont on dispose pour travailler avec les techniques de réalisation de films de fiction comme les scénarii, les costumes ou même les nouvelles prises. Cette méthode n’est pas considérée comme totalement honnête dans le domaine du documentaire. Lors de la réalisation d’un documentaire créatif, on établit un contrat avec les intervenants. Je crois qu’ils deviennent des sujets émancipés une fois qu’ils comprennent le contrat.

Vous séjournez en France dans le cadre du programme de résidence de l’Institut français à la Cité internationale des arts. Pouvez-vous nous parler un peu de ce projet et de ses origines ?

Il y a quelques années, j’ai découvert certaines photos de l’artiste française Claude Cahun. Elle était rattachée au mouvement surréaliste dans les années 1920. Jugée trop queer et extrémiste pour son époque, elle a été rejetée et a fini sa vie sur l’île de Jersey avec sa compagne. J’ai trouvé beaucoup d’inspiration dans ses photos et ses textes, dont L’Aventure invisible. Ce titre m’a paru formidable et je voulais créer une pièce de théâtre qui le porterait. À partir de recherches sur Claude Cahun à Jersey, cela a ensuite évolué en un projet davantage axé sur l’identité et la transformation. Ce travail s’est finalement mué en entretiens avec trois personnes : Sarah Pucill, une artiste londonienne qui a consacré sa carrière à l’interprétation des photos de Claude Cahun, Jill Bolte Taylor, une neuroanatomiste américaine devenue amnésique suite à un AVC et qui a ensuite passé huit ans à se reconstruire, et Jérôme Hamon, un homme ayant subi deux greffes de visage vraiment extraordinaires à Paris. Ces entretiens ont donné naissance à cette conversation romancée au cours de laquelle les protagonistes discutent de leurs expériences.

Le meilleur choix qu’on puisse faire est probablement celui de ne pas choisir du tout.

Votre pièce, L’Aventure invisible, soutenue par la Comédie de Caen et le T2G - Théâtre de Gennevilliers, a été jouée pour la première fois au T2G – Théâtre de Gennevilliers à l’occasion du Festival d’Automne du 10 au 17 octobre. Dans quelle mesure votre séjour à Paris vous a permis de développer vos idées ?

Je me devais de venir ici. Une grande partie du travail de pré-production devait avoir lieu à Paris. J’ai eu l’occasion d’y organiser des réunions avec le scénographe, l’éclairagiste et la production, et de me charger du casting dans son intégralité avant et après le confinement. Petit détail, mais non des moindres : j’ai eu la chance de rencontrer Jérôme Hamon.

Claude Cahun, l’artiste et écrivaine queer qui a servi de source d’inspiration à L’Aventure invisible, avait une vision très avant-gardiste de l’identité de genre. Vous avez dit vous être demandé si l’épitaphe inscrite sur sa tombe, « Et j’ai vu de nouveaux cieux et une nouvelle terre », n’adressait pas aux futures générations un message selon lequel il est possible de mener une vie heureuse et bien remplie en dehors des normes sociétales, et avoir créé cette pièce pour en vérifier la véracité. À quelle réponse êtes-vous parvenu ?

Dans la pièce, l’acteur qui incarne l’artiste est lui-même un homme transsexuel et a décidé de raconter sa propre histoire sur scène. S’il a subi une mastectomie, il a en revanche refusé la phalloplastie et a opté pour un traitement hormonal afin de rester à mi-chemin entre les deux genres. À travers son interprétation, on devine que Claude Cahun faisait peut-être référence à la possibilité de mener une vie bien remplie sans faire de choix. Le meilleur choix qu’on puisse faire est probablement celui de ne pas choisir du tout. C’était très impressionnant à mes yeux. Je me suis dit que la réponse se trouvait peut-être bel et bien là. Elle vient, du moins, de l’expérience gay. On décide de faire son coming-out et il s’ensuit alors ce récit qui raconte l’avant et l’après de la transformation. Il en va de même pour les transgenres en quelque sorte. Mais on voit désormais émerger cette nouvelle génération queer empreinte de fluidité, qui laisse planer le flou sur sa sexualité, son corps ou son identité en général.

Qu’est-ce qui vous attire dans le sujet de votre œuvre ?

Les histoires que je recherche doivent posséder une valeur sensationnelle, ainsi qu’une dimension poétique. Bien entendu, j’aime également les idées relatives à l’identité et à la transformation : elles sont très proches de mon expérience LGBT. Je pense, en quelque sorte, être sans cesse en quête de ma propre histoire à travers d’autres. Un moyen de raconter mon vécu personnel en confiant à d’autres personnes le soin de le représenter.

Le storytelling tient visiblement une place essentielle dans vos œuvres documentaires et l’écriture de vos pièces de théâtre. Souhaitez-vous vous lancer dans la réalisation de longs-métrages de fiction ?

Je n’y suis pas opposé, mais je tiens à rester attaché à mon processus de travail, à continuer de mener des entretiens ou des recherches et d’adapter la réalité à la fiction d’une certaine façon. Je ne suis pas vraiment à l’aise à l’idée de m’asseoir devant une page blanche et de la remplir en partant de rien. Il me faudrait un projet de fiction plus conceptuel.

Vous avez affirmé vouloir mettre au point des projets capables de repousser les limites des formes de films documentaires. Avez-vous une idée bien précise en tête ?

À une époque, je désirais créer une trilogie de films documentaires tournés en studio. The Regretters allait ouvrir la marche et être suivi de The Raft, après quoi je regagnerais le studio. Désormais je ne suis plus sûr de vouloir y retravailler. Je vais probablement en sortir et réaliser un road-movie ou quelque chose de similaire. Peut-être m’éloigner du cadre théâtral également.

L'Institut français et l'artiste

Soutenue par la Comédie de Caen et le T2G - Théâtre de Gennevilliers, L’Aventure invisible a été présentée dans le cadre du Festival d’Automne 2020. 

Lauréat du programme de résidences de l'Institut français à la Cité internationale des arts, Marcus Lindeen séjourne actuellement à Paris dans ce cadre. 

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L'institut français, LAB