Mariya Gabriel, Commissaire européenne (2/2)
Depuis le 1er janvier 2022, la France assure pour six mois la Présidence du Conseil de l’Union européenne. Dans cette seconde partie de l'entretien, Mariya Gabriel, commissaire européenne à l’Innovation, la recherche, la culture, l’éducation et la jeunesse, traite du programme Europe Creative, du soutien aux médias et de la lutte contre la désinformation, ainsi que de la place des industries culturelles et créatives dans le « pacte vert pour l’Europe ».
Mis à jour le 09/05/2022
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Europe créative est plus que jamais un programme phare pour le développement de la culture et des relations entre artistes et acteurs culturels en Europe. Le programme 2021-2027 a été fortement majoré par rapport à la période précédente. Quels sont les objectifs poursuivis ? Et quel message passeriez-vous pour inciter artistes et acteurs culturels à se saisir du programme ?
Comme vous le savez la diversité culturelle et linguistique est une force pour l’Europe mais elle n’est pas toujours facilement accessible par tous les européens: les artistes et les créations culturelles européennes ont besoin de soutien pour co-créer et voyager en dehors des frontières nationales. D’autre part la crise liée au Covid a fortement impacté les secteurs culturels et créatifs.
C’est pour répondre à ces défis en particulier que le programme « Europe créative », qui soutient les secteurs de la culture et de la création en Europe, a vu son budget renforcé à hauteur de 2.4 milliards d’euros sur 7 ans (2021-27). Nous avons pour ambition d’aider les secteurs culturels à sortir de la crise, à renforcer leur résilience sur le long terme et, concrètement, à aider les artistes, les créateurs, les professionnels et les organisations culturelles à créer et à trouver un public par-delà les frontières.
À cette fin, le programme Europe créative cofinance des centaines de projets de coopération entre organisations culturelles européennes. Et je suis heureuse de dire que les organisations françaises figurent parmi les plus actives dans ce domaine : elles ont lancé de nombreux partenariats culturels européens et mis en œuvre des projets de grande qualité.
Pour les artistes – jeunes et moins jeunes – des mécanismes spécifiques ont été mis en place pour dynamiser leur carrière internationale.
Nous soutenons par exemple des prix prestigieux dans le domaine de la musique, l’architecture, la littérature et le patrimoine culturel. Ces prix donnent une reconnaissance et une visibilité aux talents émergents sur la scène européenne.
Nous avons également sélectionné 16 plateformes européennes pour la promotion des artistes européens. Ces plateformes regroupent plus de 300 organisations européennes et sont chargées d’identifier et de promouvoir les jeunes talents à l’étranger.
Nous finançons également des orchestres européens, tels que l’Orchestre des Jeunes de l’Union européenne, qui rassemblent des jeunes musiciens parmi les plus talentueux de tous les États membres de l’UE.
En outre, nous voulons donner aux artistes et aux professionnels la possibilité de mener leurs propres projets et de bénéficier de bourses pour couvrir leurs frais de voyage. Le programme pilote i-Portunus, qui soutient la mobilité des artistes et des professionnels de la culture, a dépassé toutes les attentes. Nous avons donc décidé de renforcer considérablement cet « Erasmus du monde culturel » en multipliant par sept son budget au cours des prochaines années.
Promouvoir la diversité ne consiste pas seulement à faire voyager les artistes et les œuvres en dehors des frontières. Tous les projets financés par l’UE doivent être inclusifs et ouverts : le profil des artistes, les thèmes, les œuvres et, bien entendu, le public participant à nos projets doivent refléter la diversité croissante de nos sociétés européennes. Je dois dire que nous avons enregistré de réels progrès dans ce domaine ces dernières années : nous voyons de plus en plus de projets qui renforcent l’égalité entre les hommes et les femmes ou favorisent les liens sociaux et l’intégration active de tous les composantes de nos sociétés.
Enfin, notre futur c’est aussi une Europe plus verte et les artistes et le secteur culturel ont un rôle à jouer : nous les encourageons à innover, à proposer des pratiques plus « vertes » et de contribuer, par leur talent et leurs créations, au « green deal » européen.
Quel rôle peut jouer le « pacte vert pour l’Europe » dans l’idée de relance et de dynamisation des industries culturelles et créatives en Europe ? Pouvez-vous nous parler du nouveau Bauhaus européen ? Comment les secteurs culturels et créatifs peuvent s’inscrire dans la dynamique / Contribuer à l’initiative ?
Le changement climatique est sans aucun doute le plus grand défi que le monde connaîtra ce siècle. Pour relever ce défi, la Commission européenne a lancé le pacte vert pour l’Europe, qui vise à faire de l’Europe le premier continent neutre pour le climat d’ici à 2050. Le pacte vert pour l’Europe transformera l’UE en une économie moderne, efficace dans l’utilisation des ressources et compétitive. À cet égard, il est important de rappeler que les secteurs et industries de la culture et de la création sont très innovants et sont en eux-mêmes des moteurs de l’innovation économique et sociale dans de nombreux autres secteurs.
Les industries de la culture et de la création ont un rôle important dans le pacte vert pour l’Europe. Elles portent des messages forts auxquels le grand public s’identifie. Elles incarnent aussi l’innovation par excellence et peuvent jouer un rôle de catalyseur du discours écologique dans le débat culturel et politique européen.
C’est pourquoi, mon ambition est de faciliter la mise en place d’un écosystème européen de l’innovation axé sur la culture et la créativité, centré sur les industries culturelles et créatives. Un tel système devrait contribuer de manière décisive à la prospérité, au bien-être, à la cohésion sociale et culturelle et à la durabilité environnementale de l’Europe.
Pour la première fois, dans le cadre d’Horizon Europe, nous disposons d’un pôle spécialement consacré à la culture et à la créativité de plus de 2 milliards d’euros. Il peut exploiter pleinement le potentiel des secteurs créatifs. Il sera complété par la nouvelle communauté de la connaissance et de l’innovation (CCI) de l’Institut européen d’innovation et de technologie (EIT), qui soutiendra les écosystèmes d’innovation dans les secteurs de la culture et de la création. L’appel à propositions est toujours ouvert jusqu’au 24 mars. J’invite les artistes, les créateurs, et tous les potentiels intéressés, à soumettre leur candidatures et à contribuer à façonner l’avenir de la CCI «Culture et créativité».
Seule la culture a ce pouvoir de toucher le plus grand nombre, faisant du pacte vert un projet sociétal et culturel. Le secteur culturel peut également jouer un rôle moteur crucial en sensibilisant à la nécessité du changement et en motivant et en donnant aux citoyens les moyens de contribuer personnellement.
Le projet européen qui incarne ce lien entre les industries culturelles et créatives et le pacte vert pour l’Europe est le Nouveau Bauhaus Européen (NBE).
Le Nouveau Bauhaus Européen est une initiative créative et interdisciplinaire qui confère une dimension culturelle et créative au pacte vert pour l'Europe, qui appelle à un effort collectif pour imaginer et construire un avenir durable, inclusif et éthique. La communication sur le Nouveau Bauhaus européen que nous avons adoptée en septembre 2021, s'inspire des plus de 2 000 contributions reçues dans la phase de co-création, dont plus de 40 % provenaient des secteurs de la culture et de l’éducation.
La communication présente une riche diversité d’actions stratégiques et un ensemble d’opportunités financières, comme par exemple la mise en place du Lab du Nouveau Bauhaus européen, le Festival du nouveau Bauhaus européen, qui aura lieu en juin 2022, la mobilisation de plusieurs programmes dotés d’un budget d’environ 85 milliards d’euros pour la période 2021-2022, avec des appels ciblant les secteurs de l’innovation, de la culture et de la création.
Le 18 janvier, nous avons lancé l’édition des Prix du nouveau Bauhaus européen. Les candidatures sont ouvertes jusqu’au 28 février. Nous disposons de nombreux exemples pour montrer qu’en unissant nos forces dans les domaines des arts, de la culture, l’éducation et de l’innovation, nous pouvons construire des environnements durables et inclusifs pour nous tous.
Et je vais vous donner un exemple avec mon initiative clé – la coalition « Éducation pour le climat» - qui nous permettra de saisir et de rassembler des projets et idées respectueux du climat. En étroite collaboration avec le nouveau Bauhaus européen, en février, la coalition « Éducation pour le climat » lancera un appel conjoint à manifestation d’intérêt pour les lieux d’enseignement et de connaissance - des bibliothèques publiques aux écoles et aux universités - afin de développer leurs propres projets pour co-créer des actions éducatives concrètes dans l’esprit du nouveau Bauhaus européen et en faveur de notre planète.
Nous créons également des synergies avec le programme Erasmus+. L’appel intitulé «European Youth Together» mobilise les organisations de jeunesse afin de créer des partenariats transnationaux contribuant, par leurs activités, au nouveau Bauhaus européen et au pacte vert.
Quant au secteur audiovisuel, il vise à introduire des critères européens pour réduire l’impact environnemental de la production d’œuvres audiovisuelles. En concertation avec l’industrie, la Commission a entamé un débat sur les différentes méthodes de calcul de l’empreinte carbone de la production audiovisuelle afin de trouver un accord sur les données et les pratiques existantes en Europe.
Parmi d’autres activités, l’Institut français a initié le projet European Film Factory pour l’éducation des jeunes au cinéma. Le projet, développé en partenariat avec ARTE et European School Network, est soutenu par le programme Europe Créative MEDIA (2014-2020). Le projet se concentre sur 10 films provenant de 10 pays européens, et inclut du matériel pédagogique dans la ou les langues des pays dont les films sont issus.
Alors que nos professionnels de la culture et de la création développent des compétences et partagent leurs connaissances, ils renforcent nos communautés et sèment les graines d’une nouvelle génération engagée dans la préservation de notre patrimoine.
Horizon Europe est un autre programme-cadre de l’Union européenne, englobant cette fois-ci la recherche et l’innovation. Un volet « Culture, créativité et société inclusive » y a été inclus. Dans quel but ?
Horizon Europe englobe la recherche et l’innovation dans le but de réaliser les priorités stratégiques de l’Union européenne, qui sont au final de promouvoir la paix, les valeurs de l’Union et notre bien-être à tous. Ce programme-cadre œuvre à démanteler les obstacles, et accroitre les synergies, entre la science, la technologie, la culture et les arts, afin d’atteindre une nouvelle qualité d’innovation soutenable. Le volet « Culture, créativité et société inclusive » a donc toute sa place au sein de ce programme-cadre et son but est de mobiliser l’expertise pluridisciplinaire des sciences sociales et des humanités Européennes, afin de comprendre les transformations fondamentales contemporaines dans les domaines comme la société, l'économie, la politique et la culture. Le volet vise plus concrètement à améliorer la gouvernance démocratique et la participation citoyenne, sauvegarder et promouvoir le patrimoine culturel et répondre aux transformations sociales, économiques, technologiques et culturelles. C’est également la première fois qu’un domaine sur le patrimoine culturel et les industries culturelles et créatives est inclus dans le volet « Culture, créativité et société inclusive ».
En complément du volet « Culture, créativité et société inclusive », la Commission soutient également les secteurs de la culture et de la création sous le pilier III à travers l’Institut Européen d’Innovation et de Technologie (EIT). L’EIT a lancé un appel à proposition pour la création d’une nouvelle Communauté de la Connaissance et de l’Innovation (KIC), précisément dans les domaines de la culture et de la création. Cette nouvelle KIC sera désignée en juin prochain. L’objectif principal de cette KIC est de booster la capacité d’innovation de ces secteurs en mettant l’accent sur le soutien aux innovateurs et aux start-ups. Cela passera par la réduction de la fragmentation du paysage de l’innovation en favorisant la création d’écosystèmes d’innovation qui relieront les acteurs et les réseaux aux niveaux local, régional, national et européen. Cette initiative d’ampleur, au budget conséquent, qui regroupera des dizaines de partenaires à travers l’Europe sur une période allant de 7 à 15 ans, aura un impact systémique sur le secteur et participera à sa transition vers un modèle économique plus flexible qui tirera parti des technologies numériques et de leurs potentiels de croissance et d’innovation.
Une part importante de l’action de la Commission européenne concerne le soutien aux médias – c’est notamment l’un des volets d’Europe créative. Comment favoriser le développement de ce secteur en proie à de nombreux bouleversements structurels ? Comment combattre également la désinformation et favoriser en quelque sorte l’éducation à l’information des plus jeunes ?
Tout à fait. Dans le volet trans-sectoriel d’Europe créative, nous allons soutenir l’adaptation du secteur aux changements structurels et technologiques afin de protéger le pluralisme des médias, le journalisme de qualité et l’éducation aux médias pour les citoyens. La logique sera similaire à celle des autres actions d’Europe créative, l’accent portant sur la collaboration transfrontalière et le partage des meilleures pratiques. Les premiers résultats d’un appel à propositions de « partenariats de journalisme » sont attendus en mars de cette année.
Et vous avez raison, les bouleversements sont nombreux, donc ces nouvelles actions doivent être vues dans un contexte plus large. Le secteur des médias fait face à des grands défis économiques et les journalistes sont confrontés à un nombre croissant d'agressions. Je pense qu’à tout niveau, les gouvernements locaux, nationaux, régionaux et européens doivent agir pour créer un contexte plus favorable au journalisme de qualité, pour assurer à toutes et tous l’accès à des informations fiables. Et l’éducation à l’information doit bien sûr être une priorité.
Depuis 2017, la Commission s'est efforcée de renforcer la capacité de nos sociétés à comprendre, détecter et contrer les menaces liées à la désinformation.
Nous avons adopté plusieurs initiatives qui guident nos ambitions, à commencer par le Plan d’action contre la désinformation en 2018. Et aujourd’hui nous mettons en œuvre le Plan d’action pour la démocratie européenne, adopté fin 2020.
Plusieurs aspects ont déjà fait l’objet de propositions législatives et d’autres initiatives destinées à renforcer les obligations de transparence et de responsabilité des plateformes sont en cours.
Ainsi, la Commission facilite actuellement le travail visant à renforcer le Code de bonnes pratiques contre la désinformation (Code of Practice).
Nos attentes sont claires. Nous les avons explicitées dans nos Orientations (Guidance) de mai 2021 : nous attendons des signataires du Code actuel, en particulier les principales plateformes en ligne, ainsi que des acteurs supplémentaires ayant rejoint le processus, qu’ils souscrivent à un Code robuste, avec des engagements vérifiables.
À cet égard, notre proposition sur les services numériques (DSA) introduit aussi des obligations susceptibles de changer la donne en termes de désinformation.
Le rôle de l'éducation aux médias et d'un écosystème médiatique diversifié est un aspect primordial de la lutte contre la désinformation. Il s’agit là de piliers fondamentaux de notre résilience, que la Commission continuera de promouvoir par le biais de divers programmes et initiatives.
Nous finançons de nombreuses actions d'éducation aux médias au niveau national, en coopération, par exemple, avec l'Observatoire européen des médias numériques (EDMO), et travaillons en étroite collaboration avec les États membres au sein du groupe d’experts dédié.
Pour 2021-2027, l'UE a augmenté le financement pour ce type d’actions dans le cadre du programme « Europe Créative ». Et dans le cadre du Plan d'action pour l'éducation numérique, la Commission élaborera d'ici l'automne 2022 des lignes directrices communes pour les enseignants afin de lutter contre la désinformation.
Pour conclure, l'éducation aux médias est également inscrite dans le droit de l'UE. La directive révisée sur les services de médias audiovisuels demande aux États membres de promouvoir des mesures pour le développement des compétences dans ce domaine et exige des plateformes de partage de vidéos qu’elles adoptent des mesures et outils en conséquence.
Le soutien à un paysage médiatique diversifié et de qualité passe par le financement de projets, mais pas uniquement. D'autres initiatives suivront, notamment pour protéger les journalistes et les défenseurs des droits contre les litiges abusifs (Strategic Lawsuits against Public Participation – SLAPP), ainsi que pour accroître la transparence, l'indépendance et la responsabilité concernant les actions affectant le contrôle et la liberté de la presse (European Media Freedom Act).

À l’occasion de la PFUE 2022, l’Institut français est particulièrement mobilisé pour œuvrer à la traduction des objectifs définis par le gouvernement pour cette Présidence. L’Institut français met en œuvre, en ce sens, une série de dispositifs et temps forts culturels qui contribuent à valoriser la créativité européenne.
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