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Massoud Bakhshi

Je n’ai jamais vu le cinéma comme un métier, plutôt comme une passion

Du documentaire à la fiction, le réalisateur iranien Massoud Bakhshi porte un regard critique sur la nature et la complexité de l’être humain. De ses conditions de travail en Iran à son dernier long métrage, Yalda, sélectionné à la Berlinale 2020, le cinéaste dépeint son pays comme un territoire majeur du 7e art.

Mis à jour le 17/02/2020

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Massoud Bakhsi
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Massoud Bakhsi
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Vous étiez critique cinéma avant de passer derrière la caméra. Comment êtes-vous devenu réalisateur ?

J’ai commencé par faire des études d’ingénieur pour donner satisfaction à mes parents, tout en étudiant la photographie. À 18 ans, j'ai commencé à écrire des critiques de cinéma. Je suis ensuite entré la Nuova Universitá del Cinema e della Televisione, à Rome. J’ai eu comme professeur Silvano Agosti, lui-même réalisateur, qui répétait sans cesse que la théorie ne sert à rien si l'on veut faire du vrai cinéma ! D’ailleurs, je n’ai jamais vu le cinéma comme un métier, plutôt comme une passion.

J'avais 25 ans quand j'ai réalisé mon premier documentaire, Un court rapport, en 1998. Le film a été remarqué par Suzette Glenadel à Téhéran, ce qui lui a permis d’être projeté à Paris l’année de sa sortie dans le cadre d’une rétrospective sur l’Iran au festival Cinéma du réel. J’ai rencontré à cette occasion de nombreux réalisateurs, qui m’ont encouragé à poursuivre mes projets. Deux mois après, je réalisais mon deuxième film documentaire Identification d’une femme, sélectionné en compétition à l’International Documentary Filmfestival d’Amsterdam.

 

Vous avez attendu plus de 10 ans avant de tourner en Iran – en l’occurrence, pour Une famille respectable, sorti en 2012. Avez-vous rencontré des difficultés ?

Ça n’a pas été simple ! D’autant qu’il s’agissait d'une co-production avec la France et qu’il n'existe pas d’accord pour les co-productions cinématographiques entre deux pays, ce qui complique grandement les contrats et les recherches de financements.

En Iran, le travail de réalisateur est le même que partout ailleurs mais il est plus difficile d’obtenir les autorisations de tournage, surtout pour ses premiers films : il faut prouver que l'on est un réalisateur qualifié, justifier de ses expériences en tant qu’assistant-réalisateur ou de prix reçus dans les festivals. J’ai dû jongler entre la partie production, qui s’est déroulée en Iran, et la partie post-production, qui a eu lieu en France.

 

Le cinéma iranien est très présent dans les festivals. Comment interprétez-vous son essor sur la scène internationale ?

La richesse du cinéma iranien tient à la littérature classique et à la place incontournable de la poésie. Et en interdisant les films américains après la Révolution de 1979, l'Iran a finalement donné la possibilité au cinéma national d’émerger et de séduire. À l’image de la Mostra de Venise, de la Berlinale ou du Festival de Cannes, subjugués par le nouveau cinéma iranien d’un Mohsen Makhmalbaf ou d’un Abbas Kiarostami.

Il y a aujourd’hui en Iran de nombreuses écoles privées de cinéma. Et le pays est fier de son cinéma, surtout la jeunesse. Il ne faut pas oublier non plus que l’Iran fait partie des pays les plus productifs, avec plus d’une centaine de films de fiction par an.

Il n’y a qu’un langage au cinéma, et il faut simplement arriver à parler au public. Je ne fais pas de différence fondamentale entre documentaire et fiction.

Jusqu’à Une famille respectable, votre première fiction, vous aviez été fidèle au genre documentaire. L’approche est-elle très différente ?

Le réalisateur Abbas Kiarostami disait : « Il n’y a pas de différence entre le court et le long métrage, le documentaire et la fiction. On a seulement deux types de film : bon ou mauvais. » Je suis d’accord avec lui ! Il n’y a qu’un langage au cinéma, et il faut simplement arriver à parler au public. J’ai pensé qu'il était plus facile de raconter l'histoire d'Une famille respectable à travers une fiction, qui intègre néanmoins beaucoup d'images d'archives. Je ne fais pas de différence fondamentale entre documentaire et fiction. À chaque fois que je fais un documentaire j’essaie de le voir comme une fiction, et inversement.

 

Comment choisissez-vous les histoires que vous racontez à travers vos films ?

Je pense que c'est plutôt les sujets qui choisissent les cinéastes ! Si vous donnez le même sujet à deux cinéastes, ils en feront deux films différents, chacun avec sa propre vision des choses. Le réalisme social est très présent dans le cinéma iranien : la majorité des cinéastes iraniens vous racontent leur propre histoire, ils deviennent leur propre sujet.

 

Comment est né l’idée de votre dernier film, Yalda, la nuit du pardon ?

J'ai commencé à travailler sur le film à la sortie d’Une famille respectable en 2012. J'avais été particulièrement frappé par des interviews de femmes condamnées parce qu’elles avaient tué leur mari : elles étaient considérées comme criminelles tout en étant aussi, au fond, des victimes. J’ai été tellement touché que j’ai voulu en faire le récit. J’ai opté pour un huis clos – une émission sur un plateau télévisé – même si l’unité de temps et de lieu rendait plus difficile le maintien de l’émotion. J’ai mis presque 8 ans à faire ce film : j’ai réécrit le scénario 6 fois, et avec mes producteurs Français Jacques Bidou et Marianne Dumoulin, on a aussi mis du temps à obtenir les financements nécessaires.

 

Yalda, la nuit du pardon
Yalda, la nuit du pardon

Au cours de ces 8 années, en mai 2016, vous avez participé à La Fabrique Cinéma de l’Institut français à Cannes. Ce programme a-t-il été une étape importante ?

J’ai pu rencontrer à cette occasion des co-producteurs, ce qui était vital pour mon projet. J’avais envie de venir en France parce que c’est un pays qui soutient le cinéma d’auteur étranger. La culture, la littérature et l’art y sont très respectés et appréciés. Pour moi, c’est le seul pays qui résiste encore à la puissante machine hollywoodienne et à son hégémonie mondiale.

 

Après 10 documentaires, un court métrage et deux fictions, avez-vous trouvé votre style de cinéaste ?

Mon œuvre est très diverse, chaque histoire se construit différemment avec son propre style. Je pense qu’il faut avoir une vision et une imagination forte pour faire un film original. Ce que je trouve le plus intéressant, c’est de connaître la nature de l’être humain. C’est un être avec ses désirs, ses complexes, ses rêves et ses faiblesses. À travers mes films, j’essaie d’approfondir mon regard sur l’homme. Pour moi, chaque film est une nouvelle découverte.

 

L'Institut français et le film

Yalda, la nuit du pardon, a été soutenu par la Fabrique Cinéma de l’Institut français en 2016.

 

Ce programme accompagne de jeunes cinéastes de pays du Sud pour faciliter leur insertion sur le marché international du film. En savoir + sur La Fabrique Cinéma

 

L'institut français, LAB