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Maya Da-Rin

Il existe de nombreux artistes indigènes au Brésil qui déconstruisent les stéréotypes, brisent les modèles narratifs et proposent des formes alternatives de production.

Artiste plasticienne, documentariste, et désormais réalisatrice de fiction, Maya Da-Rin s'est fait connaître avec des œuvres aux ambiances uniques dans de nombreux festivals de cinéma. À l'occasion de la sortie de son premier long métrage, La Fièvre, elle raconte la richesse de son parcours et la genèse de cet ambitieux projet.

Mis à jour le 03/09/2021

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Maya Da-Rin
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Maya Da-Rin © DR

Diplômée du Fresnoy et titulaire d'une maîtrise en histoire du cinéma à la Sorbonne-Nouvelle, vous avez démarré votre carrière en mêlant installations et documentaires. Pouvez-vous revenir, en quelques mots, sur votre parcours ?

À l'âge de 17 ans, j'ai démarré ma carrière comme stagiaire pour le département artistique d'une chaîne de télévision, puis, j'ai travaillé, durant quelques années, en tant qu'assistante réalisateur tout en commençant à créer mes propres films. Dans mes premiers essais, j'ai souvent choisi de mêler différents médiums et supports comme la photographie, la vidéo, le super 8, le 35 mm, où le son a toujours joué un rôle prépondérant. Tous mes films abordent des questions liées au territoire comme celles du déplacement, de l'appartenance ou encore de l'oralité. En 2010, je suis arrivée en France pour suivre le programme de résidence du Fresnoy et j'ai pu concrétiser mes premières installations. Après l'obtention d'une bourse pour l'écriture d'un long métrage de fiction, je me suis inscrite en master à Paris-III où j'ai développé une recherche sur la présence des animaux dans le cinéma contemporain, tout en écrivant le scénario de La Fièvre.

 

Au cours de vos études et de vos découvertes personnelles, quelles ont été les sources d'inspiration majeures pour votre travail ? Avez-vous des cinéastes et des œuvres fétiches ?

Il me semble que les influences sont plus souvent inconscientes que réellement conscientes et qu'elles proviennent d'endroits très différents les uns des autres. Pour ma part, les idées naissent principalement dans les conversations nouées avec les personnes que je rencontre, dans ce que je ressens dans certains lieux et dans les choses que j'observe. Très souvent, je peux écrire un dialogue en ayant été inspirée par une discussion entendue dans la rue ou, tout simplement, par ce que j'ai lu dans un journal. Je n'ai pas de films fétiches mais il y a plusieurs cinéastes dont j'admire le travail. Par exemple, certains films ont été particulièrement importants pour La Fièvre, comme Le Goût du saké d'Yasujiro Ozu, ainsi que le travail de réalisateurs brésiliens comme Andrea Tonacci, Vincent Carelli ou encore Sueli et Isael Maxakali. De nos jours, il existe de nombreux artistes indigènes au Brésil qui déconstruisent les stéréotypes, brisent les modèles narratifs et proposent des formes alternatives de production.

 

Après plusieurs documentaires, notamment deux tournés en Amazonie, vous venez de réaliser votre premier long métrage de fiction, La Fièvre. Quel a été le point de départ de ce projet ?

Lors du tournage de mes documentaires, à la frontière entre le Brésil, la Colombie et le Pérou, j'ai rencontré des familles indigènes qui avaient migré de leurs villages au cœur de la forêt pour s'installer dans les villes. J'ai fini par devenir amie avec l'une d'entre elles et nos conversations m'ont progressivement donné l'envie d'en faire un film de fiction. J'ai donc décidé de tourner La Fièvre à Manaus, une ville qui incarne dans son histoire et son paysage le contraste entre différents projets de société. D'un côté, il existe les formes d'organisation sociale des sociétés amérindiennes, originaires de ce territoire, et, de l'autre, nous leur opposons le projet social occidental, à la fois colonial et capitaliste, qui a donné naissance au Pôle Industriel et à l'urbanisation de la ville. Celui-ci n'accorde, au final, que peu d'attention à la forêt, à leurs formes de vie et à leurs connaissances.

Le cinéma est une construction et Il me semble que la fiction et la fabulation, même dans le cas du cinéma documentaire, peuvent offrir plus d'espace pour créer des récits plus justes à partir d'expériences partagées.

On ressent l'envie de créer un véritable film d'atmosphère à la tension latente et au malaise sourd. De quelle manière s'est déroulé le tournage ?

Je pense que lorsque nous en révélons trop, nous finissons par ne plus permettre au spectateur de voir quoi que ce soit. Je sentais qu'il ne m'était pas possible de lui révéler plus que ce que le personnage connaissait de lui-même. Le protagoniste de La Fièvre doit faire face à des sentiments jusqu'alors endormis et il m'a semblé important de générer le même type de trouble et de vide chez le spectateur. L'atmosphère avait un rôle très important dans ce sens et je me suis demandé comment sa fièvre pouvait lentement se propager durant le film pour atteindre le public. Pendant le tournage, nous avons répété chaque scène plusieurs fois pour trouver le ton juste. Comme je ne parle pas le tucano, nous alternions toujours avec le portugais et ce changement de langue créait une instabilité, mais aussi une fraîcheur, qui se perdaient souvent au moment des répétitions. Nous avons beaucoup parlé de la traduction d'une langue à une autre, de ce qui ne pouvait pas être traduit, de ce qui était perdu ou gagné.

 

La Fièvre surprend par la puissance de son travail sonore. Aviez-vous un désir de film de genre au moment de le mettre en scène ?

Je n'avais pas l'intention de travailler avec les codes du cinéma de genre. J'étais plus intéressée par les formes de construction narrative de la cosmologie Desana, qui brisent souvent la logique causale, ainsi comme les dichotomies entre rêve et réalité ou entre humanité et animalité. Le directeur du son Felippe Mussel a remarqué une grande similitude entre le bruit des insectes aux sifflements aigus et certaines machines utilisées dans la zone portuaire. Nous avons alors essayé de créer des compositions en combinant des sons provenant du port et de la forêt jusqu'au point où il n'était plus possible d'identifier leur origine. J'ai voulu comprendre comment ces environnements naturels et industriels affectaient mon personnage physiquement et psychologiquement. Ce sont des sonorités répétitives qui conduisent à un état hypnotique que l'on ressent dans l'ambiance fébrile du film.

 

Votre long métrage aborde les thèmes de l'intégration, du racisme ou encore de la solitude. En quoi votre expérience de documentariste a-t-elle été essentielle dans votre quête de réalisme ?

En fait, je ne me sens pas très proche du réalisme ou du naturalisme. La recherche d'authenticité me plonge dans un certain malaise et j'ai parfois l'impression de me retrouver dans un zoo. Le cinéma a souvent joué ce rôle et, même si la caméra est placée à l'extérieur, il y a toujours une grille entre les deux et quelqu'un à l'intérieur. Les premiers enregistrements audiovisuels que nous possédons d'Amazonie sont justement des films de récits de voyage visant à dresser un portrait authentique des peuples amérindiens, mais ils sont finalement très racistes. Le cinéma est une construction et Il me semble que la fiction et la fabulation, même dans le cas du cinéma documentaire, peuvent offrir plus d'espace pour créer des récits plus justes à partir d'expériences partagées.

Trailer: LA FIÈVRE, un film de Maya Da-Rin
Trailer: LA FIÈVRE, un film de Maya Da-Rin

La Fièvre est notamment co-produit par la réalisatrice allemande Maren Ade, connue du grand public pour Toni Erdmann. De quelle façon l'avez-vous rencontrée et comment a-t-elle décidé de s'investir sur votre film ?

J'ai, tout d'abord, rencontré Zsuzsanna Kiraly, coordinatrice de projet chez Komplizen, lors du Torino Film Lab. Il se trouve qu'elle a aimé le projet et que nous sommes restées en contact durant un certain temps. Ensuite, elle m'a présenté Janine Jockwiski et, lorsque nous avons reçu le World Cinema Fund, nous avons décidé de travailler ensemble. Je n'ai finalement rencontré Maren Ade qu'à Locarno lors de la première de La Fièvre. J'aime beaucoup Toni Erdmann ainsi que beaucoup d'autres films produits par Komplizen : c'est une société de production très spéciale, qui croit en un véritable cinéma d'auteur.

 

Vous avez participé à la Fabrique Cinéma de l’Institut français en 2016, un programme de qui permet à de jeunes réalisateurs de se rendre au Festival de Cannes pour développer leur projet. Quels souvenirs gardez-vous de cet événement et que vous a-t-il apporté dans votre carrière ?

L'année précédente, j'avais participé au programme de résidence de la Cinéfondation avec La Fièvre et cela avait été un moment d'immersion dans l'écriture du scénario. À la Fabrique, nous avons eu l'occasion d'échanger avec de potentiels partenaires, distributeurs et programmateurs. Je suis allée à Cannes avec mon coproducteur brésilien Leonardo Mecchi. À l'époque, nous avions déjà entamé un partenariat avec nos coproducteurs français, Juliette Lepoutre et Pierre Menahem, de Still Moving, qui se sont fortement impliqués dans le projet. Tout cela s'est passé au cours d'une année très importante pour le cinéma brésilien alors que Kleber Mendonça Filho présentait Aquarius en compétition officielle. L'équipe du film avait alors manifesté sur les marches du Palais des Festivals contre la destitution de la présidente Dilma Rousseff en attirant l'attention de la presse internationale sur la situation du Brésil.

 

La Fièvre était en salles au Brésil en novembre dernier et sera à l’affiche en France à partir du 30 juin. Quels ont été les retours du public dans votre pays et comment appréhendez-vous la sortie du film en France ?

Au Brésil, le public s'est beaucoup engagé avec le film et nous avons eu des retours très touchants. En raison de la pandémie, La Fièvre est sorti simultanément dans les salles et sur les plate-formes de streaming pour que les spectateurs puissent le regarder depuis leur domicile, notamment sur Netflix Brésil. Nous avons organisé plusieurs actions pour que le film soit également diffusé auprès du public amérindien et j'ai reçu des commentaires émouvants où certaines personnes parlaient du sentiment d'avoir été représenté et de voir, pour la première fois, un film dans leur langue maternelle. Nous attendons maintenant la sortie en France. Notre distributeur, Guillaume Morel, de Survivance, fait un travail remarquable malgré la crise actuelle. J'ai passé de longues heures au cinéma lorsque je vivais en France et je suis ravie qu'il soit possible de le diffuser ici sur grand écran.

L'Institut français et la réalisatrice

Le film La Fièvre de Maya Da-Rin a été soutenu par la Fabrique Cinéma de l'Institut français. Ce programme accompagne de jeunes cinéastes de pays du Sud pour faciliter leur insertion sur le marché international du film.

En savoir + sur La Fabrique Cinéma

 

Ce long-métrage a aussi bénéficié du soutien de l'Aide aux cinémas du monde. Ce programme de l’Institut français apporte son soutien à des cinéastes étrangers sur des projets de films en coproduction avec la France, qu’il s’agisse de longs métrages de fiction, d’animation ou de documentaires de création. 

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L'institut français, LAB