Mikko Salo, fondateur de Faktabaari, sur les défis de l'information et des médias
Mikko Salo a fondé Faktabaari, une ONG finlandaise dédiée à la lutte contre la désinformation et à la promotion de l'éducation aux médias. Au cours de la dernière décennie, Faktabaari s'est imposée comme un leader de la vérification des faits et de l'éducation numérique en Finlande, en offrant des ressources précieuses aux éducateurs et au grand public. En mettant l'accent sur l'autonomisation des individus, en particulier des jeunes, l'ONG aide à naviguer dans le paysage complexe de l'information actuelle tout en favorisant un débat public basé sur les faits. Nous avons discuté avec Mikko Salo pour mieux comprendre l'évolution du paysage médiatique en Finlande et en Europe, ainsi que l'importance de maintenir un haut niveau de transparence en matière d'information de masse.
L'institut français présente cette interview comme une introduction aux "Dialogues européens", qui se dérouleront à Helsinki les 23 et 24 octobre, autour du thème : "L'information et les médias face à la guerre."
Mis à jour le 21/10/2024
5 min
Pouvez-vous présenter le travail de votre ONG Faktabaari dans le domaine de l'éducation aux médias et de la lutte contre la désinformation ?
Faktabaari propose des services de vérification des faits et de littératie numérique. Nous avons commencé il y a dix ans en nous concentrant sur la vérification des affirmations politiques, en évaluant leurs sources et leur exactitude. Très vite, nous avons réalisé qu'enseigner la méthode de vérification des faits était encore plus important. Nous avons donc développé nos actions dans une perspective d'éducation aux médias, tout en tenant compte de l'évolution du paysage de l'information numérique.
Nous offrons deux services principaux : Faktabaari PRO, axé sur la vérification des faits et la formation en journalisme, et Faktabaari EDU, qui fournit des ressources éducatives aux intermédiaires comme les enseignants. Ces éducateurs, agissant comme multiplicateurs, utilisent nos supports — tels que des manuels destinés aux publics plus jeunes — pour encourager les débats sur des sujets comme l'IA et les réseaux sociaux en classe. Notre objectif est de renforcer les institutions existantes afin de catalyser les efforts d'éducation aux médias en y ajoutant des éléments nouveaux.
Nous nous concentrons sur les besoins des natifs numériques, qui ne sont souvent pas bien équipés pour naviguer dans le paysage complexe de l'information actuelle. Les jeunes sont fréquemment exposés à des sources peu fiables, notamment via les réseaux sociaux, ou à l'absence totale de sources dans le cas de l'IA générative ! C’est pourquoi nous nous concentrons actuellement sur la fourniture de ressources aux écoles finlandaises concernant l'IA générative et les réseaux sociaux, afin de susciter un débat en classe. Par exemple, dans notre série de vidéos "Faktabaari FactHacker", les adolescents sont encouragés à explorer de manière critique l’espace informationnel en se posant trois questions clés : Qui a fait cette affirmation ? Quelles preuves l’appuient ? Que disent d'autres sources ? Cependant, c'est encore largement aux enseignants de porter ces discussions dans leurs classes.
La confiance dans les institutions et les médias a toujours été un pilier de la société finlandaise. Qu'en est-il aujourd'hui ?
La confiance dans les institutions reste élevée en Finlande, tout comme dans les autres pays nordiques — notre pays se classe toujours parmi les cinq premiers en Europe selon tous les indicateurs pertinents. Cette confiance s'étend également à des institutions comme la science et la police. Cependant, maintenir cette confiance devient de plus en plus difficile à mesure que le paysage de la communication évolue rapidement, en particulier avec l'essor des réseaux sociaux et de l'intelligence artificielle.
Un défi majeur réside dans le fait que les réseaux sociaux continuent de transformer notre espace informationnel mondial, tandis que les entreprises spécialisées dans l'IA remettent en question le journalisme traditionnel et fiable. Il est difficile de suivre le rythme, mais nous sommes déterminés à fournir des ressources basées sur des sources fiables. Dans les pays nordiques, les diffuseurs publics jouent également un rôle d’équilibre en aidant à maintenir la confiance dans un espace d’information souvent surcommercialisé, mais ces diffuseurs publics subissent des pressions de la part des médias commerciaux et des forces politiques qui cherchent à politiser le débat informationnel. Il y a aussi une polarisation croissante, notamment autour de thèmes identitaires comme la migration. Ces sujets peuvent facilement être instrumentalisés dans les canaux numériques par des acteurs internes et étrangers, y compris la Russie. La Finlande a récemment rejoint l’OTAN, et les Finlandais éprouvent une forte empathie pour la défense de l'Ukraine.
Quelle est l'importance de la lutte contre les fausses informations lorsque la vérité des faits est de plus en plus remise en question ?
Notre mission au cours de la dernière décennie a été de soutenir un débat public fondé sur les faits. Les faits sont essentiels pour préserver une démocratie sûre, en particulier à l'ère numérique. Cependant, la narration autour des faits est tout aussi importante. C'est pourquoi nous nous concentrons sur la responsabilité, les sources et la transparence, surtout à mesure que l'IA générative devient plus répandue. Dans ce contexte, il est également crucial de connaître les données sur lesquelles ces modèles d'IA sont basés et de savoir si elles reposent sur des sources fiables. Nous avons des doutes, mais personne ne le sait encore avec certitude.
Bien que la vérification des faits soit essentielle, elle ne fait que gagner du temps. Nous devons également aborder l'écosystème informationnel dans son ensemble, y compris les algorithmes qui alimentent la désinformation et les motivations des entreprises de réseaux sociaux. Notre objectif est d'aider les gens à comprendre les enjeux de l'économie de l'information moderne, qui est dominée par le marketing, en particulier dans des contextes politiques sensibles, et de les encourager à évaluer de manière critique les informations qu'ils consomment.
En collaboration avec notre partenaire franco-finlandais CheckFirst, nous avons également mené une initiative publique appelée *Digital Election Watch*, qui se concentre sur l'observation des systèmes de recommandation lors des élections, avec la possibilité de détecter des campagnes en ligne éthiquement douteuses ou manipulatrices ainsi que des biais. Notre but est de montrer aux gens ce à quoi ils sont exposés sur les réseaux sociaux et de les aider à passer de simples consommateurs passifs d'information à citoyens informés. Nous nous appuyons sur un slogan simple : "Stop. Réfléchissez. Vérifiez." Il s'agit d'encourager les gens à prendre soin de leur réflexion, à nourrir leur curiosité et à rechercher des sources fiables avant de tirer des conclusions ou de sombrer dans des théories du complot. Cela nécessite également de limiter le temps passé sur des réseaux sociaux addictifs.
À votre avis, les médias sont-ils prêts à s'adapter à l'évolution des pratiques au sein des sociétés et aux menaces informationnelles ?
Plusieurs médias nordiques mettent en place de grandes initiatives pour impliquer les jeunes, mais davantage d'innovation et de coopération à grande échelle sont nécessaires. Notre principal défi consiste à trouver des moyens d'attirer les jeunes audiences et de les amener à s'engager avec des sources d'information fiables, tout en nourrissant leur curiosité. Les réseaux sociaux actuels encouragent souvent une passivité qui favorise la manipulation. Parmi les solutions possibles, il pourrait être envisagé de proposer aux jeunes des abonnements abordables à des médias journalistiques responsables, en complément des diffuseurs publics. On pourrait également les impliquer dans les processus d'information pour leur faire comprendre combien le journalisme de qualité demande de travail. C'est un débat en cours, notamment avec les médias commerciaux qui s'appuient fortement sur les cookies de suivi et se concentrent souvent sur ce qui se vend.
Cependant, il me semble que les médias journalistiques doivent assumer la responsabilité d’éduquer leurs futures audiences sur l’importance de leur travail. Ils doivent être les acteurs les plus lettrés en matière d’information dans la société. S'ils se contentent d'imiter les entreprises de réseaux sociaux, ils finiront par perdre face à elles. Au contraire, ils devraient se concentrer sur la transparence et la responsabilité, surtout face à l'IA générative, qui rend plus difficile de discerner le vrai du faux. Il est urgent de sensibiliser les gens sur la façon dont les modèles d'IA sont formés et de signaler les contenus produits par ces modèles. Heureusement, l'Union européenne a commencé à réguler ces technologies pour en gérer les risques systémiques, mais il est également nécessaire de mettre en œuvre ces législations. En fin de compte, nous devons tenir les entreprises technologiques et ceux qui utilisent ces outils à des fins malveillantes responsables, et encourager des améliorations en matière de transparence, d'authenticité et de précision dans l'espace numérique. Les démocraties ont besoin à la fois d'un débat public fondé sur les faits et d'une réalité partagée.