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Entretien avec Nadine Hounkpatin et Céline Seror, commissaires de l’exposition «Memoria: récits d’une autre Histoire»

La saison Africa2020 nous a permis de présenter le projet Memoria à de nouveaux publics, qui pour certains ne connaissaient pas ou peu la scène artistique d’Afrique et des diasporas.

Née dans le cadre de la Saison Africa2020, conduite par la Commissaire générale N’Goné Fall et mise en œuvre par l’Institut français, l’exposition Memoria : récits d’une autre Histoire a été présentée à Bordeaux (FRAC Nouvelle-Aquitaine MECA) en 2021. L’exposition collective, enrichie d’une sélection d’artistes camerounaises, fait désormais partie des Résonances Africa2020 qui permettent, avec le soutien du comité des mécènes de la Saison et de l’AFD, à 22 pays africains d’accueillir en 2023 un ou plusieurs projets issus de collaborations développées pendant la Saison. 

Après Abidjan (Musée des Cultures Contemporaines Adama Toungara (MuCAT) en 2022, c’est au prestigieux Musée National du Cameroun, à Yaoundé, que Memoria : récits d’une autre Histoire fait étape, jusqu’au 31juillet 2023, en partenariat avec l’Institut français du Cameroun. A cette occasion, les commissaires Nadine Hounkpatin et Céline Seror ont répondu à nos questions. 

Mis à jour le 27/07/2023

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Nadine Hounkpatin et Celine Seror
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Nadine Hounkpatin et Celine Seror
© artness

Dans le cadre de la Saison Africa2020 et du focus femmes, vous avez présenté l'exposition « Memoria : récits d'une autre Histoire » au Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA. Pour cette première étape, vous avez choisi d'exposer des artistes connues et d'autres, peu exposées en France pour composer ce récit choral et pluriel. Quel a été la genèse du projet et sa réception en France ?

La genèse du projet Memoria s’inscrit avant tout dans la nécessité, voire l’urgence de proposer des contre-récits au sujet de l’Histoire du continent africain, et ce au plus large public possible. La Saison Africa2020 et la volonté exprimée de sa commissaire d’inviter le public “à regarder et comprendre le monde d’un point de vue africain” propose alors une plateforme idéale de partage, d’échange et de construction d’un discours alternatif. Et c’est au sein du Frac Nouvelle Aquitaine MÉCA à Bordeaux et en collaboration avec son équipe, que l’exposition “Memoria : récits d’une autre Histoire” est conçue et voit le jour.

Partant de l’idée d’une mémoire collective composée d’une myriade de récits, d’histoires, de questionnements et d’expériences éparpillées dans nos mémoires individuelles, nous avons travaillé à identifier une multitude de voix qui nous ont permis de mettre en évidence la pluralité des Histoires du continent. D’un point de vue artistique, cela s’est traduit par la sélection attentive d’artistes de toutes disciplines, dont les oeuvres et les carrières s’attachent à la production de récits et de contre-récits. Au delà des disciplines, il était également fondamental de présenter différentes générations d’artistes et de les faire dialoguer entre elles. Une sorte de va-et-vient transgénérationnel qui a contribué à une transmission des savoirs enrichie des expériences de chacune.

Par ailleurs, donner la parole à des femmes artistes a revêtu une importance toute particulière. La mémoire du continent a peu souvent été contée par ses femmes. Memoria propose d’entendre les voix de ses artistes, poètes, performeuses, chercheuses et insatiables observatrices de notre monde. La réponse donnée ici aux récits “conventionnels” s’est voulue créatrice d’émotions autant que de réflexions. Il faut enfin mentionner l’ouvrage – édité par Actes Sud – qui a accompagné l’exposition et dont la polyphonie des écritures complètent celle des oeuvres présentées. 

Les réactions du public face au travail des 14 artistes* exposées à Bordeaux ont conforté l’idée que l’Histoire se doit d’être contée dans sa pluralité et en laissant place à ce qu’elle peut véhiculer d’universel.  Les retours ont fait notamment référence à la manière dont les récits intimes exposés ont pu faire écho aux expériences personnelles des visiteurs alors que les questions politiques soulevées dans certaines oeuvres ont interpellé sur notre responsabilité commune face aux grands défis contemporains (migrations, écologie, identité entre autres).

*Artistes de Memoria Bordeaux : Dalila Dalléas Bouzar, Ndidi Dike, Enam Gbewonyo, Bouchra Khalili, Gosette Lubondo, Georgina Maxim, Tuli Mekondjo, Myriam Mihindou, Wangechi Mutu, Otobong Nkanga, Josèfa Ntjam, Selly Raby Kane, Na Chainkua Reindorf, Mary Sibande.

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Memoria : récits d’une autre Histoire à Bordeaux (FRAC Nouvelle-Aquitaine MECA)
Oeuvres : Josèfa Ntjam, Wangechi Mutu
© G. Deleflie
Memoria Bordeaux, Frac Nouvelle Aquitaine MÉCA. Février 2021. Vue d’exposition.

La Saison Africa2020, placé sous le commissariat de N'Goné Fall a tiré sa révérence le 30 septembre 2021. En 10 mois, elle a permis à plus de 1500 projets dans 210 villes en France métropolitaine et ultra-marine de voir le jour, et rassemblé plus de 4 millions de spectateurs. Qu'est-ce que cette Saison a représenté pour vous ? 

Au delà de la dimension extraordinaire de l’événement, la saison Africa2020 nous a permis de présenter le projet Memoria à de nouveaux publics, qui pour certains ne connaissaient pas ou peu la scène artistique d’Afrique et des diasporas. Pour d’autres, ce fût aussi la découverte de certains pans de l’Histoire du continent et la remise en question d’imaginaires et d’idées reçues. La saison a donc très certainement représenté pour nous une opportunité de (re)présentation et d’ouverture inédite en France.

 

L'exposition « Memoria : récits d'une autre Histoire », poursuit son chemin. Elle a été présentée sur le continent africain pour la première fois au Musée des Cultures Contemporaines Adama Toungara (MuCAT) à Abidjan du 7 avril au 21 août 2022. Comment avez-vous envisagé l'itinérance de l'exposition et cette première étape sur le continent ? 

L'itinérance de l’exposition a été envisagée rapidement après le début de l’édition bordelaise car il est apparu évident qu’un tel ensemble d’oeuvres et les récits qui en font la force se devaient d’être partagés avec le public africain. C’est ainsi que l’idée de prolonger Memoria sur le continent est née. A débuté alors la recherche d’un espace capable d’accueillir l’exposition dans les meilleures conditions possibles et permettant d’ancrer le projet localement. C’est à Abidjan, en Côte d’Ivoire, que nous avons identifié cet espace ; le Musée des Cultures Contemporaines Adama Toungara (MuCAT) offrait tous les critères que nous avions définis pour la mise en avant de l’exposition (espace, équipement, équipe de médiation, liens avec différentes structures éducatives et associatives locales, et bien entendu le public ! ). C’est ainsi, grâce au soutien de partenaires locaux qui ont cru en la promesse de Memoria Abidjan et en collaboration étroite avec les équipes du Frac Nouvelle Aquitaine, que l’exposition enrichie des oeuvres de 6 artistes d’origine ivoirienne, les volets pédagogique et de formation professionnelle qui l’ont accompagnée, ainsi que le catalogue ont pu voir le jour en avril 2022. Nous sommes particulièrement reconnaissantes du soutien des partenaires ivoiriens qui ont vu en Memoria Abidjan non seulement une exposition à destination d’un public amateur d’art contemporain, mais aussi l’opportunité donnée à plus de 13,000 visiteurs en cinq mois d’entrer au musée et d’y rencontrer des artistes*, des oeuvres, et des histoires.

*Artistes de Memoria Abidjan : Joana Choumali, LaFalaise Dion, Enam Gbewonyo, Selly Raby Kane, Gosette Lubondo, Marie-Claire Messouma Manlanbien, Carine Mansan Chowanek, Rachel Marsil, Georgina Maxim, Tuli Mekondjo, Myriam Mihindou, Josèfa Ntjam, Valérie Oka, Na Chainkua Reindorf

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Memoria : récits d’une autre Histoire à Abidjan (MuCAT)
Oeuvre (à gauche) : Carine Mansan Chowanek
Oeuvres (au centre et à droite) : Rachel Marsil, Georgina Maxim, Enam Gbewonyo, Tuli Mekondjo
© artness
Memoria Abidjan, Musée des Cultures Contemporaines Adama Toungara. Avril 2022.

Après Abidjan c'est au prestigieux Musée National du Cameroun, pôle patrimonial et culturel de référence en Afrique centrale, à Yaoundé, que Mémoria se déploie en partenariat avec l'Institut Français du Cameroun jusqu'au 31 juillet. Dans ce nouvel écrin, l'exposition continue de s'enrichir de nouvelles perspectives. L'Institut français du Cameroun s'est beaucoup mobilisé pour permettre à cette étape de voir le jour. Quelle est la singularité de Mémoria à Yaoundé ? 

Suite à l’étape abidjanaise dont le succès auprès du public a renforcé l’idée de poursuivre l’itinérance, c’est en effet au Musée National du Cameroun, ancient palais présidentiel et symbole incontournable, s’il en est, de l’histoire politique du Cameroun que Memoria a été accueillie. L’exposition s’est alors enrichie des oeuvres d’artistes d’origine camerounaise qui ont permis une nouvelle fois d’ancrer l’exposition dans un contexte local et en lien avec son public. Le soutien de l’Institut français de Yaoundé, en collaboration avec l’équipe du Musée National du Cameroun, a été clef dans la mise en place et le bon déroulement de Memoria Yaoundé: de l’acheminement des oeuvres – point crucial de toute itinérance, à l’identification des professionnels locaux avec lesquels nous avons pu travailler, en passant par le soutien apporté à la publication d’un catalogue bilingue (français/anglais) gratuit.

En ce qui concerne la singularité de cette étape, il est important de mentionner le nombre d’artistes camerounaises ayant rejoint l’exposition – 11 au total –  qui témoigne d’une scène artistique féminine riche et pluridisciplinaire. Par ailleurs, Memoria Yaoundé aura été l’occasion d’insister à nouveau sur le rôle fondamental du musée au sein de la société. La volonté affirmée de son actuel Directeur en faveur de la démocratisation de l’accès à l’art est à saluer et à soutenir.

Artistes de Memoria Yaoundé : Barbara Asei Dantoni, Ruth Belinga, Aurélie Djiena, Beya Gille Gacha, Justine Gaga, Enam Gbewonyo, Gosette Lubondo, Carine Mansan Chowanek, Georgina Maxim, Roxane Mbanga, Elsa M’Bala, Tuli Mekondjo, Josèfa Ntjam, Na Chainkua Reindorf, Grâce Dorothée Tong, Kristine Tsala, Charlotte Yonga.

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Memoria : récits d’une autre Histoire à Yaoundé (Musée National du Cameroun)
Oeuvres (à gauche) : Elsa Mbala, Aurélie Djiena, Beya Gille Gacha, Na Chainkua Reindorf, Barbara Asei Dantoni
Oeuvre (au centre) : Justine Gaga
Oeuvre (à droite) : Beya Gille Gacha
© Serenah Pictures / Institut français du Cameroun
Memoria à Yaoundé (Musée National du Cameroun). Février 2023.

Quelle est selon-vous la portée de l'exposition à l'échelle internationale, au-delà du continent Africain et de la France ? Quelles suites envisagez-vous ? 

De part le nombre de visiteurs en France, en Côte d’Ivoire et au Cameroun (au total plus de 60,000 visiteurs pour les 3 éditions), il est vrai que Memoria a su rapidement bénéficier d’une visibilité internationale qui a notamment créé de nouvelles opportunités pour les artistes, pour les professionnels qui ont travaillé à la réalisation du projet, et bien entendu pour l’exposition elle-même. Cette dynamique observée depuis le début du projet repose avant tout sur un travail collaboratif, sur un dialogue constant entre tous les participants au projet, et sur une invitation lancée au public d’écouter les voix et les récits multiples dévoilés au fil des étapes. C’est ce qui nous inspire et nous motive à poursuivre aujourd’hui l’itinérance de Memoria sur le continent. Nous travaillons déjà sur la prochaine étape. À suivre… 

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Memoria : récits d’une autre Histoire à Yaoundé (Musée National du Cameroun)
Oeuvres (à gauche) : Grâce Dorothée Tong, Kristine Tsala
Oeuvre (à droite) : Justine Gaga
© artness
Memoria Yaoundé, Musée National du Cameroun. Février 2023.
L'institut français, LAB