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Natacha Muziramakenga nous présente sa création « Méandres »

La danse permet d’écrire l’indicible.

Avec sa pièce Méandres, l’écrivaine et artiste rwandaise Natacha Muziramakenga, lauréate du dispositif Des Mots à la scène, explore les vertus curatives de la danse face à l’indicible. Un projet développé en partenariat avec L'Espace (Rwanda) et avec le soutien de l'Institut français de Paris et de l'Institut français du Rwanda. 

Publié le 11/12/2023

5 min

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Natacha Muziramakenga
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© DR

Vous êtes à la fois metteuse en scène, poète, performeuse, actrice et réalisatrice. Pourriez-vous nous parler de votre parcours ? 

Mon parcours est un peu rocambolesque. Tout part toujours pour moi de l’écriture, mais je pense que pendant une certaine période de ma vie, je ne l’ai pas assumé. J’ai commencé assez tôt, en essayant différentes choses, avant d’en arriver à la conclusion que tout tournait autour de l’écriture et qu’il était peut-être temps que j’assume cette casquette. J’ai commencé avec la poésie, en m’en servant comme médium d’expression et de guérison par rapport à certains traumatismes. En parallèle, je me suis aussi essayée au théâtre, d’abord en tant qu’actrice, tout en continuant à écrire en parallèle. Petit-à-petit, les deux se sont influencés et j’ai commencé à mettre en scène mes propres poèmes. C’est comme ça que je suis devenue performeuse. Au fur et à mesure des opportunités, j’ai aussi été commissaire d’exposition, ce qui me permet d’allier mon amour des arts visuels avec mon amour pour l’écriture. Mais la poésie reste toujours centrale. 

 

La question de la guérison occupe une place importante dans votre travail, notamment dans votre dernier spectacle Méandres, présenté pour la première fois en mars dernier au Lavoir moderne parisien. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce dernier projet et ses origines ? 

Méandres est encore un travail en cours, c’est une lecture mise en scène avec deux danseurs et deux comédiens. Au centre de la scène, deux corps essayent de raconter une histoire, parallèle à celle qui est en train d’être lue. La forme va avec le fond, le thème principal étant les traumatismes de l’enfance et la recherche d’une forme de guérison. Comment retourner sur ses pas pour comprendre à quel moment il y a eu une césure, à quel moment on s’est dissociés ? Au départ, ce projet s’appelait Le Cri, car la pièce raconte le parcours d’une personne qui entre à l’intérieur d'elle-même pour extirper ce cri qui joue à cache-cache. Ce secret est si gros qu’on ne sait pas par où commencer, comment aborder cette douleur incommensurable. La danse permet ainsi d’écrire l’indicible. Méandres désigne le fait qu’il existe plusieurs chemins pour réussir à trouver quelque chose. Les deux danseurs expriment aussi le fait que le traumatisme se cache dans le corps, et qu’on essaie de s'extirper avec le mouvement. Je me suis même demandé, à un moment donné, si à partir de cette pièce écrite, on ne pourrait pas faire une pièce où on ne parle pas. Il est d’ailleurs encore possible que j’évolue dans cette direction, car il s’agit d'un travail en cours. 

 

Avec Méandres, vous donnez une place centrale à la danse comme exutoire et rituel de libération. Comment avez-vous travaillé et conçu ce projet avec Wesley Ruzibiza, le chorégraphe de la pièce ? 

Je connais Wesley depuis très longtemps, on avait déjà travaillé ensemble en 2009, aux Jeux de la Francophonie, pour une pièce de danse à laquelle j’ai participé. Il organise également un festival de danse, l’East African Nights of Tolerance, pour lequel j’ai beaucoup travaillé. C’est la première fois qu’il travaille sur l’un de mes projets. Après ces années passées dans le monde de la danse, sans vraiment être danseuse moi-même, j’ai toujours utilisé la danse comme un outil de guérison. Face à tout ce que je ne peux pas expliquer où que je n’arrive pas à comprendre, je danse. Avec Wesley, nous décortiquons ensemble la pièce, et j’imagine des tableaux pour chaque scène, en me figurant ce que cela fait aux émotions, au corps. Je parle des mouvements que cela m’évoque, dans les grandes lignes, pour ne pas trop m’immiscer dans son travail. Cela me permet de raconter mon histoire, même en étant pas chorégraphe. 

Il est important de voir des femmes ayant des postes importants, y compris au sein d’un gouvernement.

Qu’en est-il également de la dimension immersive et interactive de ce spectacle ? 

Il s’agit d’un jeu d’ombres et de miroir sur scène qui, à vrai dire, fonctionne plutôt comme une mise en abîme, et qui introduit aussi la question de la société. Bien sûr, il ne peut pas y avoir de traumatisme de l’enfance sans adultes. Il s’agit d’aborder des thèmes assez durs, d’abus sexuels, mais aussi le silence complice de l’adulte et les tabous qui en découlent. L’absence de dénonciation ne vient du fait que les gens sont d’accord, mais avec le fait qu’ils se murent dans le silence, en pensant à tort protéger. Quand quelque chose n’est pas dénoncé, la victime devient coupable. Le miroir force ainsi le public à se regarder en regardant. Le jeu d’ombres devient aussi une image de la manière dont la propre ombre de chaque individu représente aussi ce qui lui fait peur. 

 

La représentation des femmes et les enjeux d’égalité femmes-hommes sont aussi des thèmes récurrents dans votre travail. On peut penser au projet Learning Feminism from Rwanda, en collaboration avec Lisa et Sophia Stepf. Ce dernier interroge notamment les quotas, utilisés comme au Rwanda comme un instrument politique en faveur de l’égalité des sexes. Sur ce plan, le Rwanda semble aujourd’hui en avance par rapport à de nombreux pays européens. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ? 

C’est une pièce que nous avons coécrite et qui a tourné en 2021-22 en Allemagne et en Suisse. D’ailleurs Wesley Ruzibiza faisait également partie de ce projet. C’est un spectacle où nous sommes sur scène sans vraiment y être, ce qui est lié au fait que la tournée a commencé en pleine crise de Covid-19. En ce qui concerne la question des quotas au Rwanda, je pense que le résultat est mitigé. Ils sont nécessaires pour s’assurer d’une véritable inclusivité et pour en assurer le suivi. Certes, le quota résout le problème de la représentation. Pour moi qui m’intéresse beaucoup aux enfants et à leur perception, je pense que cela leur donne des exemples, qui leur permet par exemple de comprendre qu’ils ne sont pas condamnés à leur environnement. Il est donc important de voir des femmes ayant des postes importants, y compris au sein d’un gouvernement. 

 

Avez-vous d’autres actualités dont vous souhaiteriez nous faire part ? 

Je suis allé à Séoul en septembre dernier, où j'étais la co-commissaire d’une exposition avec huit artistes rwandais, en même temps que la foire d’art contemporain Frieze. En parallèle j’ai un autre projet qui me tient beaucoup à cœur, un projet décolonial sans parler de colonisation. J’ai eu envie de me demander ce qu’il se serait passé si la colonisation n’avait pas eu lieu. J’en suis encore au stade des recherches, mais je compte en faire une série animée et un jeu vidéo. 

L'institut français, LAB