Natacha Poutoux et Sacha Hourcade reviennent sur leur résidence à la Villa Kujoyama
Natacha Poutoux et Sacha Hourcade ont fondé ensemble le studio de design natacha.sacha. Après une résidence à la Villa Kujoyama en 2021, ils nous parlent de leur démarche qui associe technologie, écologie et savoir-faire manufacturier.
La Villa Kujoyama est un établissement artistique du réseau de coopération culturelle du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Relevant de l’Institut français du Japon, elle agit en coordination avec l’Institut français et bénéficie du soutien de la Fondation Bettencourt Schueller, qui en est le mécène principal.
Mis à jour le 26/10/2022
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Pourriez-vous nous rappeler brièvement vos parcours respectifs ? Comment vous êtes-vous rencontrés, et comment avez-vous décidé de travailler ensemble ?
Natacha Poutoux : Nous avons fait des études à l’ENSCI Les Ateliers, où nous sommes entrés tous les deux en 2012. Elles ont débouché sur un master en design industriel. Auparavant, j’étais aux Beaux-Arts de Paris-Cergy et en même temps musicienne d’orchestre. J’ai ensuite fait un stage chez Stefan Diez, un designer allemand, avant de travailler chez Ronan & Erwan Bouroullec, et dans un bureau de conseil en innovation qui s’appelle Possible Future. Depuis notre rencontre à l’école, on avait cette envie de créer un studio ensemble. Après avoir accumulé un peu d’expériences professionnelles chacun de notre côté, nous avons donc lancé le studio en 2019.
Sacha Hourcade : Pour ma part, après être sorti de l’Ecole nationale supérieure de création industrielle - Les Ateliers en 2016, j’ai fait mes armes chez India Mahdavi comme assistant.
Vous travaillez à mi-chemin entre le design et la technologie, en conceptualisant des objets à visée utilitariste, tout en restant écologiques. Pourriez-vous nous expliquer votre philosophie de travail ?
Natacha Poutoux : Nous nous intéressons à ces objets, non pas parce que nous sommes férus de technologie, mais plutôt parce que nous estimons qu’il s’agit souvent du parent pauvre du design. C’est donc précisément à ces sujets que nous voulons nous confronter pour faire évoluer les choses de façon positive. Les objets technologiques posent beaucoup de problèmes de recyclage, à cause du fait que le plastique soit la norme, et que les autres matériaux sont souvent imbriqués les uns dans les autres. En tant que designers, ces objets nous obligent à aller au-delà du dessin et à penser à comment ces objets sont fabriqués, distribués, à quel sera leur impact, etc.
Sacha Hourcade : C’est un territoire qui est intéressant pour nous, car il concerne la production de masse. C’est donc un bon point de départ pour essayer de changer les choses, ce qui nous permet aussi de réfléchir au cycle de vie de l’objet dans sa globalité. Peut-on amener plus de longévité et de réparabilité à ces objets, par exemple ?
Natacha Poutoux : Travailler avec l’industrie, c’est s’assurer qu’on crée un objet qui sera produit en série et qui aura donc un véritable impact, contrairement à une pièce unique, même si elle est éco-conçue. Cette démarche, nous l’appliquons d’ailleurs à tous nos projets, y compris à des objets qui ne sont pas technologiques.
Certains objets que vous conceptualisez s’apparentent à de l’électroménager, un domaine où le plastique reste encore la norme aujourd’hui. Pourtant, vous n’hésitez pas à faire appel à d’autres matériaux ?
Natacha Poutoux : Pendant notre résidence à la Villa Kujoyama, on s’est notamment rendu compte que quand on regarde l’histoire des objets électroniques, par exemple au Musée Panasonic, on voit que ces derniers étaient fabriqués en bois, en fonte. Il y avait beaucoup plus de diversité dans les matériaux et les procédés. Nous essayons donc de privilégier les matériaux qui ont un véritable sens par rapport à un besoin donné. Avec notre pièce Métis 01 (ci-dessus), un serveur de données en céramique, nous avons créé une convexion naturelle de l’air en utilisant les propriétés de ce matériau pour favoriser le refroidissement des disques durs. Cela nous a permis de concevoir un objet sans ventilateur, plus silencieux, et d’apparence plus domestique. Dans le même ordre d’idée, Métis 03 (ci-dessous) est une bouilloire en porcelaine qui élimine une grande partie du tartre. Or c’est ce dernier qui est responsable d’une surconsommation de l’énergie. La bouilloire est aussi esthétiquement plus intéressante, et ne brûle pas les mains quand on la touche. Au-delà, l’enjeu est aussi de faire revenir des savoir-faire manufacturiers dans l’industrie : c’est un aspect qui est plutôt bien préservé au Japon, mais pas suffisamment en France. Le design peut donc aussi avoir un impact social, en faisant perdurer des savoir-faire qui sont liés à des territoires.
Est-ce que l’industrie est réceptive à cette démarche ?
Sacha Hourcade : Il y a un peu de résistance. C’est toujours un combat de proposer ces nouvelles façons de faire. Au Japon, il existe aussi beaucoup de normes que les entreprises se sont imposées à elles-mêmes, sans forcément qu’elles aient lieu d’être par rapport aux usages réels.
Vous avez bénéficié l’année dernière d’une résidence à la Villa Kujoyama, un programme piloté par l’Institut français et l’Institut français du Japon. Qu’est-ce qui vous a le plus frappé à votre arrivée au Japon ?
Natacha Poutoux : La première chose qui nous a frappé, c’est que nous avons passé quinze jours en quarantaine (rires). En sortant de là, la première chose que nous avons fait, c’est de nous rendre dans un magasin d’électronique.
Sacha Hourcade : Ce qui nous a frappé, c’est le contraste entre des magasins d’électronique de sept étages qui comportent des milliers de références, et d’autres qui sont situés dans une toute petite maison et spécialisés dans un seul produit. Il existe là-bas un grand écart entre l’hyperproduction et la monoproduction. Malgré la production de masse, le travail de la main conserve une vraie valeur.
Pourriez-vous nous parler du projet Passerelles que vous y avez mené ?
Natacha Poutoux : Le but était de réfléchir à comment concevoir des objets électroniques de façon plus durable. Nous avons donc rencontré à la fois des acteurs de la tech et des manufactures plus traditionnelles. L’idée étant justement de créer un pont entre les deux.
Parlons à présent de votre projet Komachi Beni réalisé en partenariat avec la société japonaise Isehan Honten, et récompensé par le prix French Design 100. Comment s’est déroulée cette collaboration ? Que vous a-t-elle apporté ?
Natacha Poutoux : Isehan Honten est une entreprise de cosmétiques qui remonte à l’ère Edo, entre 1600 et 1868. Leurs premiers produits sont des rouges-à-lèvres traditionnels destinés aux geishas, fabriquées à partir de fleurs de benibana broyées, qui ressemblent un peu à du safran. Il s’agit d’une pâte qui change de couleur : verte sur la céramique, elle redevient rouge quand elle est humidifiée et appliquée sur les lèvres. Aujourd’hui, ce produit est très déconnecté des usages contemporains. Notre travail a donc consisté à mettre au point un produit compact, facile à transporter avec soi, et regroupant toutes les fonctions au sein d’un même contenant : pinceau, réceptacle pour l’eau et komachi beni. La durée de vie du produit était de 3 mois, c’est pourquoi nous avons imaginé un principe de recharge pour le rouge à lèvres qui permet d’allonger sa durée de vie. La texture ondulée, inspirée des jardins zens, vient créer une interaction avec la lumière qui renforce la présence à l’objet.
Natacha Poutoux et Sacha Hourcade ont été lauréats de la Villa Kujoyama en 2021. La Villa Kujoyama est un établissement artistique du réseau de coopération culturelle du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Relevant de l’Institut français du Japon, elle agit en coordination avec l’Institut français et bénéficie du soutien de la Fondation Bettencourt Schueller, qui en est le mécène principal.