Olivia Rosenthal nous présente son roman « Un singe à ma fenêtre »
Olivia Rosenthal publie Un singe à ma fenêtre, un récit sur les traces des attentats de Tokyo en 1995, qui est le fruit d’une résidence à la Villa Kujoyama. La Villa Kujoyama est un établissement artistique du réseau de coopération culturelle du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Relevant de l’Institut français du Japon, elle agit en coordination avec l’Institut français et bénéficie du soutien de la Fondation Bettencourt Schueller, qui en est le mécène principal.
Mis à jour le 10/02/2023
5 min
Pourriez-vous revenir rapidement avec nous sur votre parcours ?
J’ai publié mon premier livre en 1999, aux éditions Verticales, à qui je suis restée fidèle depuis. J’écris également des textes pour la scène, et je pratique le spectacle et la performance. Je m’intéresse en effet beaucoup aux manières dont la littérature peut sortir du livre, et cela à travers des pièces sonores, des affichages dans l’espace public, etc. Je considère en particulier que la place de la voix est très importante en littérature, et j’aime l’idée que l’on continue à la pratiquer comme un gueuloir, tout en l’associant à d’autres arts pour proposer des formes hybrides. Je travaille par exemple avec le compositeur de musique électro-acoustique Eryck Abecassis. En parallèle, j’ai une activité d’enseignante-chercheuse à Paris 8 où je m’occupe de tout ce qui concerne la création littéraire contemporaine, en dirigeant les travaux d’étudiants qui se destinent à l’écriture.
Comment vous est venue l’envie de travailler sur les attentats de Tokyo en 1995 ? Comment avez-vous souhaité mener votre enquête ?
J’ai débuté ce projet en 2017, deux ans après les attentats du Bataclan. J’avais envie de réfléchir sur la façon dont ces événements collectifs affectent nos vies, même quand on n’a pas été directement touché. Mais j’avais conscience d’avoir besoin d’un peu de distance et de ne pas être en capacité de travailler sur des faits aussi récents. Les attentats de Tokyo offraient de ce point de vue le double avantage de la distance géographique et temporelle (ils se sont déroulés en 1995). La lecture du livre Underground, d’Haruki Murakami, consacré à des entretiens avec des victimes, a ensuite achevé de me convaincre du fait que je ne voulais pas faire un travail strictement documentaire, mais un travail de fiction. C'est-à-dire ne pas interroger des victimes mais des contemporains de ces attentats qui n’avaient pas été directement touchés mais qui, peut-être, avaient gardé des souvenirs de ce que cet attentat avait remué en eux.
L’exercice de la résidence est souvent présenté de façon idyllique par les personnes qui y ont participé. Vous insistez au contraire dans Un singe à ma fenêtre sur une forme de malaise que vous avez ressenti à votre arrivée au Japon. Comment s’est déroulé ce séjour et comment a-t-il nourri votre écriture ?
En arrivant au Japon, je ne m’attendais pas du tout à un pays aussi étonnant et différent, je n’y étais pas du tout préparée. Très vite, je me suis rendu compte que je n’allais pas pouvoir réaliser le projet tel que je l’avais pensé, parce que rien ne se passait comme prévu. C’est devenu une sorte de leitmotiv comique dans le livre, l’écart entre ce qu’on attend et ce qui se passe, la place de l’imprévisible dans ce séjour pourtant très préparé. Je voyais bien que j’étais dans un lieu magnifique, avec des conditions très favorables, et pourtant j’étais profondément anxieuse, en colère, bref je broyais du noir. L’atmosphère de la Villa Kujoyama et ma façon de la ressentir a donc joué un rôle très important dans la fabrication du livre.
Un singe à ma fenêtre tourne volontairement autour de son sujet sans jamais l’aborder directement. Comment ce choix s’articule-t-il avec votre protocole de travail?
Effectivement, dans Un singe à ma fenêtre j’évite mon sujet, ce qui est aussi lié au fait que mes témoins avaient également tendance à l’éviter, ou n’avaient rien à en dire. Devant cet obstacle, j’ai fini par accepter la dérive de leur parole, et le fait qu’ils me parlent de tout sauf des attentats au gaz sarin. Mon protocole d’écriture est toujours le même : à partir d’un sujet défini intuitivement, j’essaye de rencontrer des personnes qui connaissent ce sujet ou qui ont envie d’en parler. Je constitue ainsi une sorte de groupe de témoins, j’écoute ce qu’ils me disent : cette matière me fait rêver et ça produit un texte. Avec l’âge, je me suis rendu compte que la plupart de mes livres étaient dérivants, qu’ils ne partaient jamais en ligne droite. Les pas de côté, les digressions y sont presque plus importantes que le sujet initial. Il s’agit d’ailleurs moins d’une dérive que d’une sorte de spirale qui tourne autour d’un point aveugle auquel on n’accèdera jamais. Peut-on d’ailleurs accéder à cette chose et véritablement la dire ? A chaque fois je crois que je vais y arriver, et à chaque fois le centre se dérobe, ce qui donne des livres qui peuvent parfois dérouter. La dérive, c’est aussi une manière de découvrir d’autres choses, plus importantes, cachées derrière le sujet initial. Le principe du livre serait alors de trouver l’autre sujet, qui se cache et se révèle derrière ce sujet apparent.
Quel est alors le véritable sujet d’Un singe à ma fenêtre ?
Je crois qu’à travers les rencontres avec des gens qui ont culturellement un usage de la parole très différent du mien, j’ai compris la place qu’elle joue dans la construction de nos vies et le rôle central qu’y tient le silence. Les personnes que j’ai interrogées étaient étonnamment proches de moi, en ce sens qu’elles n’arrêtaient pas de répondre à côté, de ne pas dire. Finalement, j’ai reconnu en elles des pratiques, concernant par exemple le rapport au silence, proches de celles qui ont longtemps été les miennes. Les témoins m’ont aussi dit, par des moyens détournés, des choses très marquantes sur le rapport qu’ils entretenaient avec les morts. J’ai donc appris beaucoup de choses presque sans le savoir, et il m’a fallu des mois pour le comprendre. C’est ce que le livre raconte.
Vous êtes à l’origine du master de création littéraire à Paris 8, l’un des premiers du genre. En tant qu’enseignante, vous accompagnez donc de nombreux écrivains en devenir. Comment interprétez-vous la place centrale qu'ont pris les résidences dans le milieu de la création littéraire ces dernières années ?
Effectivement, les jeunes écrivains et écrivaines passent aujourd’hui un temps conséquent à candidater à toutes les résidences possibles et imaginables. Cela leur permet de vivre de leur plume. Beaucoup de ces résidences sont associées à de l’action culturelle, par exemple à des ateliers destinés à des publics très divers. Il ne s’agit donc pas seulement d’écrire, mais aussi de donner une place à l’écrivain et à la littérature dans nos sociétés. Je trouve cela formidable, au sens où cela témoigne de la prise en compte du rôle social de la littérature. Mais c’est également révélateur du fait qu’il n’est plus possible, sauf pour une infime minorité d’auteurs, de vivre de la seule vente de ses livres.
La Villa Kujoyama est un établissement artistique du réseau de coopération culturelle du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Relevant de l’Institut français du Japon, elle agit en coordination avec l’Institut français et bénéficie du soutien de la Fondation Bettencourt Schueller, qui en est le mécène principal.