Pablo Bras, Juliette Gelli et Romain Guillet représentent la France à la Triennale de Milan
Aux côtés de Juliette Gelli et Romain Guillet, Pablo Bras a conçu l’exposition Situations. stratégies pour habiter l’instable : phénomènes, évènements, coïncidences. Avec l'aide de l'Institut français pour l'organisation, elle représente la France à la 23ème édition de l'exposition des arts décoratifs et de l'architecture moderne à la Triennale de Milan (15 juillet – 11 décembre 2022).
Mis à jour le 01/09/2022
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Pourriez-vous nous présenter rapidement votre parcours ?
Pablo Bras : Je suis designer et je mène une pratique dite de recherche, dans le sens où je ne produis pas nécessairement des objets fonctionnels, mais que je m’efforce de reformuler des questions que j’estime être mal posées. Je travaille par les objets, les images, les espaces et les textes essentiellement pour des institutions publiques et des musées. J’ai appris la menuiserie au Mexique, puis je me suis formé à Boulle et à l’ENSCI-Les Ateliers.
Pour ce projet, vous avez choisi de vous entourer de Juliette Gelli et de Romain Guillet.
Pablo Bras : Juliette Gelli a une pratique axée sur la scénographie de concert et la direction artistique. Elle conçoit des expériences totales et dynamiques, aux côtés d’artistes comme Flavien Berger, Oklou ou Maud Geffray. En ce moment, elle travaille aussi sur la manière dont peuvent émerger des signes d’interaction entre matière et phénomènes, ça lui a notamment permis de développer des typographies. Quant à Romain, il est designer et scénographe. Il a fondé l’espace Confort Mental, un espace d’exposition et de production qui brouille les pistes entre les objets dit fonctionnels et non fonctionnels. J’ai fait appel à lui pour ce projet en pensant à un travail qu’il a livré au Centre Pompidou : l’aménagement du studio 13/16, qui accueille aujourd’hui des workshops pour les jeunes. C’est un projet très composite, à partir d’éléments standards et très peu transformés. Pour moi, il parle de réversibilité, de combinaisons et d’assemblages, qui étaient les grands principes que je voulais injecter dans l’exposition.

Le thème de cette édition, fixée par l’astrophysicienne Ersilia Vaudo, est « Inconnus inconnus. Une introduction aux mystères ». Comment avez-vous décidé de l’interpréter ?
Pablo Bras : La lecture de la note d’intention d’Ersilia Vaudo m’a partagé. Il y a un appel à l’humilité, auquel je souscris, dans l’invitation à considérer que l’on ignore ce que l’on ignore. Mais d’un autre côté, elle estime que c’est par l’exploration du lointain que l’on peut prendre la mesure de cette ignorance. Même si son but reste de nous mettre face à l’inconnu, il y a toujours dans cette quête du microscopique et du macroscopique une entreprise très scientiste et, finalement, technophile. Car ce que laissait entendre cette note, c’est que c’est par le développement des outils, des techniques d’observation, ou des prélèvements que nous constatons ces unknown unknowns. Or il me semble que cette ignorance est également manifeste à des niveaux beaucoup plus triviaux de nos existences. Comment émergent les objets, comment pourraient-ils, ou comment devraient-ils être faits ? En quelle quantité ? Par qui ou par quoi ? Qu’est-ce que cela implique comme usage de la physique et des matières ?
L’exposition que vous présentez s’intitule Situations, stratégies pour habiter l’instable, phénomènes, évènements, coïncidences. Quelle forme prend-elle in situ ?
Pablo Bras : Il s’agit d’une grande salle dont le sol a été recouvert de briques en terres, compressées et agencées de manière orthogonale. Ce sont des briques que nous avons réalisées à Milan et qui ont une teinte assez chaude. Par endroits, les briques ont été retirées pour édifier de petites architectures qui accueillent et présentent des objets. Certains sont des pièces uniques, d’autres issus de petites séries, d’autres encore viennent d’une production de masse. Quand on pénètre cet espace, tous les sens sont sollicités, car certaines des pièces exposées sont en réalité des choses vivantes. Il y a du kéfir, du fromage et un citronnier. Si bien qu’une odeur singulière habite ce lieu.

Vous faites tous les trois parties d’une nouvelle génération de designers et votre exposition a été conçue dans le souci d’un impact environnemental contrôlé. Concrètement, comment cela a-t-il influencé la création de votre exposition, le choix des objets, leur provenance, etc. ?
Pablo Bras : Au début de l’exposition, j’ai échangé avec Victor Petit, un philosophe qui travaille beaucoup sur les écologies politiques et qui a exprimé l’idée que ce que l’on connaît le moins bien, est souvent ce qui est le plus proche de nous. Or si l’on pousse cette idée au maximum, ce qui passe toujours inaperçu dans une exposition - qu’elle soit d’art ou de design - c’est l’espace d’exposition en lui-même. Ses murs, son sol, son mobilier, la télévision, l’enceinte, la peinture, les encres… en bref le contenant. On est tellement absorbé par ce que racontent les supports, (le contenu) qu’on ne prête plus attention aux supports en eux-mêmes et on oublie qu’ils sont, avant tout, des objets. Or ils ne sont pas neutres en termes de provenance et fabrication. Les objets sélectionnés découlent donc de ce souhait de porter le regard sur les objets qui « sont là ».
Est-il selon vous possible de sortir de la dynamique industrielle qui a longtemps été dominante dans le domaine du design ? Quels sont les autres grands enjeux auxquels sont, selon vous, confrontés les designers aujourd’hui ?
Pablo Bras : En fait, je pense qu’il n’y a plus vraiment de réalité derrière les catégories que sont l’industrie et - sa complémentaire théorique - l’artisanat. Une des choses que cherche à démontrer l’exposition est qu’il n’y a que des formes de productions hybrides. Certains procédés que l’on peut penser comme étant industriels tiennent parfois à de l’artisanat, voire à du bricolage. Et parfois on bricole à partir d’éléments dits industriels, ou on produit à échelle artisanale à partir de procédés industriels… Là où il y a en revanche une différence, c’est dans les échelles de production. Il y a encore des productions de masse, des productions uniques, et entre les deux toute une nuance d’échelles différentes. Il y a des formes et des usages qui ne peuvent exister que par la masse, et d’autres non. L’enjeu pour les designers, c’est d’être plus flexibles et d’admettre que certaines choses n’ont plus besoin d’être produites, d’autres doivent être produites en petite quantités et d’autres, sans doute, en grande quantité. Or pour cela, il ne faut plus observer les objets isolés comme on l’a appris, mais les relations qui se tissent entre les objets déjà produits et ceux qui sont encore à produire. Observer que parfois il faut simplement agencer l’existant.