Paul Rondin
Directeur délégué du Festival d’Avignon aux côtés d’Olivier Py depuis 2014 et co-fondateur de la French Tech Culture Grande Provence, Paul Rondin prépare, dans le contexte sanitaire actuel, le grand rendez-vous annuel du spectacle vivant en juillet. En parallèle de la programmation du Festival d’Avignon, l’équipe développe une plateforme numérique qui permettra au Festival de rayonner dans le monde entier. Elle permettra de diffuser des captations sous-titrées et adaptées, mais aussi des « classes d’art » (des masterclass d’artistes). A quelques mois de son lancement auprès du grand public, Festival Expériences (FXP) s’apprête à apporter un nouveau souffle au spectacle vivant et à son public.
Mis à jour le 08/07/2021
5 min

Avec l’annulation de l’édition 2020 et de la Semaine d’Art à l’automne, comment va le Festival d’Avignon ?
Pour cette année nous sommes optimistes. En effet, nous ne serons pas pris au piège comme l’an dernier, nous nous préparons à nous adapter. Pour ce faire, tout le Festival est au travail. Nous préparons une programmation complète avec une cinquantaine de spectacles, la moitié d’entre eux sont internationaux. Le 24 mars nous avons annoncé la programmation telle que nous l’avons rêvée. Le plus important étant que toute la filière du spectacle vivant puisse se retrouver en juillet.
L’investissement du Festival d’Avignon dans le numérique date d’avant la crise sanitaire. De quand date la plateforme Festival Expériences et à qui s’adresse-t-elle en France et à l’international ?
Lorsque nous avons pris la direction du Festival d’Avignon avec Olivier Py en 2014, nous étions conscients que toute une génération sortait de nos radars parce qu’elle ne passait plus par les médias traditionnels pour s’informer. Nous sommes allés chercher sur le web cette génération qui veut découvrir les choses par elle-même. Dans le mouvement de la French Tech, nous avons choisi d’utiliser des outils du quotidien, les réseaux sociaux notamment, pour accomplir notre mission d’intérêt général et permettre à chacun de faire des choix éclairés. En commençant à y réfléchir, nous avons réalisé une chose incroyable : né en 1947, le Festival d’Avignon est une marque internationale qui est connue partout dans le monde, avec une très forte réputation. De nombreux pays demandent qu’on leur crée leur propre Festival d’Avignon. Or, ce festival a lieu précisément à Avignon, avec un mélange inouï d’exigence populaire, de patrimoine rendu à la création, de vivant et de vieilles pierres. Impossible de l’exporter, mais grâce aux outils numériques nous pouvons le faire rayonner plus largement. Festival Expériences qui devrait être accessible au public cet été, permettra ainsi d’amplifier l’aura du Festival et de multiplier les rencontres.
Pouvez-vous nous parler du contenu de FXP ? En quoi fait-il écho au Festival d’Avignon ? Quelles disciplines sont représentées ? Comment est-il présenté avec ses ambassadeurs comme points d’entrée ?
Festival Expériences a pour premier objectif la valorisation du nom et de l’expérience du Festival d’Avignon. Or, le Festival d’Avignon, c’est du théâtre, de la danse, de la musique et aussi un autre genre que nous avons créée pour les spectacles qui ne sont pas classables : l’indiscipline. Pour Festival Expériences, nous nous appuyons sur les artistes qui se sont produits au Festival d’Avignon et pour lesquels nous avons de la matière audiovisuelle. Nous les contactons pour qu’ils nous disent ce que représente le Festival pour eux, puis nous entrons dans leur histoire artistique propre.
Pour ce qui est des ambassadeurs, nous avons commencé assez naturellement avec Olivier Py qui a la double fonction de metteur en scène et de directeur du Festival. Et puis nous avons pensé à la chanteuse Angélique Kidjo. Son hommage à Léopold Sédar Senghor en 2017, « Femme noire » mêlait théâtre, musique, hip-hop et rassemblait quatre générations d’artistes internationaux dans la Cour d’Honneur. C’est une ambassadrice généreuse, qui nous a raconté qu’elle était venue à la musique par le texte et qu’elle avait toujours chanté pour raconter des histoires. Se sont ajoutées d’autres personnalités comme Caroline Guiela N’Guyen, c’est à chaque fois le moyen d’agréger à la Classe d’art un corpus d’archives et donc de préserver, parfois révéler, rendre accessibles des contenus qui, ainsi éditorialisés, racontent des vies. L’outil numérique devient alors une offre culturelle en soi.
Que retenez-vous de l’expérience menée avec l’Institut français de Chine autour de la pièce Le Roi Lear d’Olivier Py?
Ce sont 700 000 spectateurs qui ont vu la pièce en une dizaine de jours via la plateforme FXP. Quant à la classe d’art avec Olivier Py, elle a été visionnée 55 000 fois en 5 jours. Sans le travail que réalise l’Institut Français depuis des années pour rendre visible et accessible la culture française, une captation du Roi Lear de 2015 traduite en Mandarin ne pourrait pas susciter autant de curiosité. Sans médiateur, cela ne fonctionne pas !
Nous avions expérimenté en Chine d’autres approches, diffusion de spectacles, formation, échanges, mais nous n’avions jamais touché ainsi directement autant de monde.
L’engagement de l’Institut français et du réseau culturel français pour promouvoir la plateforme FXP en 2020 vous a-t-il permis de mieux appréhender les attentes des publics et les réseaux de diffusion possibles ? Comment l’année qui vient de s’écouler a-t-elle transformé Festival Expériences ?
Sans flagornerie, l’accompagnement de l’Institut français a été déterminant. Que ce soit en Asie ou en Amériques du Nord et du Sud par exemple, il a été le lien, le médiateur qui nous a permis de faire comprendre que la réputation du Festival, son attractivité, pouvait trouver aussi une forme d’accessibilité nouvelle au moyen de ces contenus numériques et audiovisuels. La mise en relation avec des publics très différents et connus des Instituts français a été un accélérateur pour FXP. D’une certaine manière notre collaboration valide l’hypothèse de la demande. J’ajouterais que la particularité de chaque région ou pays a fait évoluer l’offre en l’agrandissant, par exemple aux États-Unis avec des « Live talks » avec des personnalités américaines, et en Corée une approche plus spectaculaire sur grands écrans.
Quel est le modèle économique que vous imaginez pour le déploiement du Festival Expériences ?
Le modèle économique est multiple. Il y a d’abord des abonnements individuels ou collectifs à partir de 10 euros par mois. Il y a ensuite les ventes de licences pour permettre d’exploiter certains contenus. Et enfin, il y a les partenariats par exemple quand on nous demande de co-construire une programmation. Dans ce cadre, n’importe quel opérateur peut acheter un des abonnements et décider de les mettre gratuitement à disposition d’un certain public. Dans la lignée de notre mission de service public, nous serons toujours vigilants à ce que le contenu ne soit pas capté par des intérêts économiques. Toutefois, de la même manière que le Festival d’Avignon vend des billets entre 10 et 40 euros, l’accès à Festival Expériences sera payant.
Est-ce que vous pensez que la situation actuelle et le développement de la plateforme nécessiteront de repenser globalement la production des créations, incluant dès le départ une offre hybride ? Est-ce que vous envisagez cela dès maintenant avec les compagnies programmées sur le festival en 2021 ?
Festival Expériences est un des partenaires importants du Festival d’Avignon en 2021. Pour certains spectacles, nous avons en tête cette possibilité d’offre hybride. Pour nous donner tous les moyens pour que les spectacles soient partagés, nous ne pouvons pas réduire le numérique à la consommation de captations. Dans ce domaine, le Festival d’Avignon a un vrai rôle à jouer. Je défends depuis longtemps l’idée que trois corps de métiers, la scène, l’audiovisuel et le numérique, doivent travailler ensemble pour assurer à une œuvre un maximum de visibilité. Après l’année que nous venons de passer, j’y crois plus que jamais. Il faut penser les formats de manière « native », c’est-à-dire les penser dès l’origine en fonction de leur type de diffusion, pour apporter une nouvelle dimension au spectacle vivant.
Peut-on vraiment « vivre » une expérience qui soit parente du Festival d’Avignon, où justement le spectacle « vivant » est le pouls battant, en ligne ?
Rien ne remplace la vibration qu’on ressent dans une salle : les pleurs et les rires, ses propres émotions et celles de son voisin. Mais il s’agit d’une autre expérience, complémentaire, qui reste à inventer. Tant qu’on n’aura pas pensé une expérience « native » on ne pourra pas imaginer une expérience aussi captivante que la présence des artistes sur scène. Avec l’hybridation, il est assez enthousiasmant de s’imaginer susciter des sensations très différentes du présentiel, à 15 000 kilomètres de distance. C’est en train de naître, les artistes font évoluer leurs outils et c’est passionnant de faire bouger les lignes.

L’Institut français organise le Focus Spectacle Vivant, à Avignon du 7 au 11 juillet, en partenariat avec le Festival d’Avignon, LAPAS (l’Association des Professionnels de l’Administration du Spectacle), La Manufacture, le Théâtre des Doms et le Théâtre du Train Bleu.
En savoir + sur le Focus Spectacle Vivant