Penda Diouf
Penda Diouf est autrice de théâtre et cofondatrice du label Textes en liberté, qui favorise l’émergence de jeunes auteurs contemporains et une meilleure représentation de la diversité au théâtre. Elle fait l’actualité avec Pistes, un texte de théâtre autobiographique, et Sœurs, une lecture-spectacle qu’elle interprète aux côtés de Marine Bachelot Nguyen et de Karima El Kharraze.
Publié le 15/10/2021
5 min
Vous avez commencé à écrire et à publier très jeune, à l’âge de dix-neuf ans. Pourriez-vous revenir sur votre parcours ?
J’ai commencé à écrire de la poésie vers quatorze ans : au fur et à mesure, je me suis mise à écrire des dialogues, et je me suis dit que ça ressemblait à du théâtre. J’ai décidé d’aller au bout de ce projet et j’ai écrit une pièce qui s’appelle Poussières, que j’ai envoyée à des comités de lecture. J’ai alors obtenu la bourse d’encouragement du Centre National du Théâtre, ce qui m’a encouragée et poussée à écrire en parallèle de mes études et de mon travail de directrice de bibliothèque. Il y a deux ans, j’ai posé une disponibilité pour me consacrer entièrement à l’écriture.
Revenons sur la création, en 2015, du label Jeunes textes en liberté, aux côtés d’Anthony Thibault. Pourriez-vous nous partager la genèse de ce projet et son mode de fonctionnement ?
Jeunes textes en liberté a été créé à la suite d’un débat sur la représentation de la diversité sur les plateaux de théâtre organisé à la Colline, qui venait clore une série d’ateliers consacrés à ce sujet qui s'appellent 1er acte. Le débat, modéré par Laure Adler, était assez houleux, et on m’a par deux fois empêché de parler, ce qui m’a heurtée. J’ai senti un vrai décalage entre ce que l’institution essayait de mettre en place et le résultat dans la salle. Anthony Thibault, qui était assis à côté de moi, et que je ne connaissais pas, m’a également interrompue à plusieurs reprises. Au bout d’une heure passée à lever la main, je n’avais pas pu m’exprimer. et J’étais donc très en colère, et j’ai qualifié Anthony Thibault de « blanc dominant colonialiste ». Cela lui a beaucoup déplu, mais le lendemain il m’a écrit un mail très sensé en me proposant une rencontre dans un contexte moins houleux. En discutant, on s’est rendu compte qu’on avait envie de défendre les mêmes choses : les auteurs et autrices contemporains bien sûr, mais surtout d’aborder cette question de la diversité pour que justement, la question ne se pose plus. On a donc mis en place un programme de lectures publiques, organisées autour d’appels à textes.
Votre actualité est liée à Pistes, un texte de théâtre publié en 2017 qui fait actuellement l’objet d’une tournée. Pouvez-vous nous présenter cette œuvre et revenir sur la résonnance particulière du texte en Allemagne après la reconnaissance, cette année, du Génocide des Héréros et des Namas ?
Pistes est un texte issu d’une commande de la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) sur le thème du courage, dans le cadre du projet Les Intrépides, qui vise à donner de la visibilité aux autrices. Cette thématique, et le fait que j’allais devoir la porter au plateau à travers une lecture publique, m’ont donné envie d’écrire à la première personne. J’ai réfléchi à la sensation de courage dans ma vie, et j’ai pensé à ce voyage en Namibie que j’avais fait seule il y a huit ans. Pendant ce voyage, beaucoup de personnes que je rencontrais me disaient : « vous êtes une femme courageuse », sans doute parce qu’ils n’étaient pas habitués à voir une femme noire voyager seule. Je me suis donc posé la question : qu’est ce qui m’avait poussée à réaliser ce voyage ? Si l’élément déclencheur avait été ma découverte de la figure de Frankie Fredericks, un sprinteur namibien plusieurs fois médaillé aux Jeux Olympiques et aux championnats du monde, dans ce texte, j’aborde aussi la question du génocide de 1875-1915, dont on a très peu entendu parler, même si la reconnaissance tardive de ce génocide par l’Allemagne cette année en a fait reparler. Je fais d’ailleurs régulièrement des lectures de Pistes en Allemagne, qui est également traduit dans cette langue. C’est une histoire qui n’est pas vraiment enseignée à l’école là-bas, et que beaucoup de personnes du public découvrent avec la pièce. L’Allemagne a fait un énorme travail sur la Shoah, mais beaucoup moins sur la colonisation, même si ce débat commence à émerger dans la société allemande.
Pistes a fait l’objet de lectures en public, notamment dans le réseau culturel français à l’étranger, mais est également interprétée sur scène par la comédienne Nanyadji Kagara. Est-ce important pour vous qu’un texte se déploie à travers plusieurs formes différentes ?
Effectivement, Pistes a connu beaucoup de formes : la première avec Aristide Tarnagda, où j’étais l’interprète ; une deuxième avec Nanyadji Kagara ; une troisième à Berlin, avec une comédienne et un comédien allemands ; une quatrième mise au point par ma traductrice vers l’allemand, Anne Bühler-Dietrich ; et enfin une cinquième qui va être créée au Théâtre Auditorium de Poitiers au mois de mars. Il s’agit d’une lecture musicale que je vais interpréter avec le musicien et romancier Blick Bassy, qui travaille beaucoup autour de la colonisation. Tout cela fait sens pour moi : l’idée est de toucher des publics différents, dans différents endroits, avec différentes sensibilités.
Vous êtes en ce moment sur scène dans le cadre de Sœurs, une lecture-spectacle aux côtés des autrices de théâtre Marine Bachelot Nguyen et Karima El Kharraze.
Il s’agit d’une commande de la Compagnie Lumière d'août, qui regroupe des auteurs et autrices à Rennes. Marine Bachelot Nguyen, qui en fait partie, a participé à une des dernières éditions des Intrépides, dont le thème était « basta ». Elle a écrit un texte sur l’histoire des femmes de sa famille. Un festival lui a demandé d’en faire une version longue, mais elle a préféré nous proposer, à Karima El Kharraze et à moi, d’écrire aussi sur ce sujet et de partager la scène avec elle. Il y a beaucoup d’échos entre nos trois textes : nous sommes trois femmes du même âge, trois enfants de la colonisation avec un important engagement féministe.
Vous aimez les immersions, la proximité avec des publics pour qui la culture n’est pas une évidence. Qu’est-ce que ces nouvelles générations vous inspirent dans le rapport que vous avez à l’écriture ?
J’ai commencé ma carrière en tant que bibliothécaire, en proximité directe avec le public. Il est important pour moi d’aller dans des lycées partout en France, et de montrer qu’on peut être une jeune femme noire qui écrit des pièces de théâtre ou des livrets d’opéra. Cela peut peut-être ouvrir des perspectives pour des jeunes filles qui rêvent et qui n’osent pas, qui pensent que ce n’est pas pour elle. Cela m’apporte aussi beaucoup, parce qu’ils et elles sont autrement ancrés dans leur réalité : je n’ai plus quinze ans, et ce que cette génération vit est différent de ce que j’ai vécu. Il est important qu’ils puissent s’exprimer et raconter leur monde comme ils le vivent.
L'Institut français accompagne le projet Pistes de l'autrice Penda Diouf.