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Rachid Ouramdane

J’incarne ces sujets collectifs à travers des parcours de vie, des histoires individuelles. Chacun des portraits que je crée est un témoignage.

Le chorégraphe Rachid Ouramdane est commissaire invité de la section Outdoor du Festival Bolzano Danza 2019, du 12 au 26 juillet en Italie. Il entend poétiser l’espace et traiter des territoires intérieurs, mentaux ou oniriques. Codirecteur du CCN2 (Centre Chorégraphique National de Grenoble) avec le circassien Yoann Bourgeois, Rachid Ouramdane est depuis toujours attiré par la rencontre, une dimension qui inspire chacune de ses œuvres.

Mis à jour le 18/07/2019

10 min

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Rachid Ouramdane
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Rachid Ouramdane
Crédits
© Géraldine Aresteanu

Vous vous définissez comme un « portraitiste chorégraphique », et beaucoup vous considèrent comme l’un des fondateurs d’une danse dite documentaire. Pouvez-vous commenter ces deux aspects caractéristiques de vos créations ?

Le portrait et le documentaire sont interdépendants. Depuis mon plus jeune âge, j’ai cette appétence singulière pour la rencontre : je m’intéresse aux parcours des gens, à leurs expériences, mais également, et surtout, à leurs gestes. Je puise aussi mon inspiration dans les sujets actuels, qui font débat dans le monde. Mon travail artistique est un mélange des deux : j’incarne ces sujets collectifs à travers des parcours de vie, des histoires individuelles. Leur mise en scène permet de soulever ces sujets comme le ferait un documentaire, mais à ma manière : sensiblement. Chacun des portraits que je crée est un témoignage.

À la Biennale de Lyon 2018, vous créez Franchir la nuit avec six danseurs et une foule d’enfants migrants. Vous travaillez sur l’exil depuis longtemps : comment ce thème s’est-il ancré dans vos œuvres ?

Je suis l’enfant d’un couple ayant fui la guerre d’Algérie et j’ai grandi en France. Tout jeune, je me suis rendu compte que je percevais systématiquement les événements d’actualité, politiques, historiques à travers à la fois le prisme de l’école de la République mais aussi celui de ma famille. Cette dualité — entre discours sociétaux et récits familiaux — n’a cessé de nourrir ma sensibilité. Quand j’aborde un sujet, et là vous citez, avec Franchir la nuit, le sujet des enfants migrants, je propose une entrée qui s’appuie à la fois sur ce que l’on sait déjà, dans l’imaginaire collectif, et sur ce que la personne concernée nous donne à savoir, son vécu individuel et personnel. Je ne sais pas si c’est une forme d’engagement mais, pour moi, faire œuvre c’est fabriquer un tissu de relations entre individus en prenant en considération tout le processus qui conduit au spectacle.

Vous avez, en tandem avec Yoann Bourgeois, axé le CCN2 (Centre Chorégraphique National de Grenoble) sur l’ouverture, le territoire et le décloisonnement disciplinaire. Comment procédez-vous ?

J’ai longtemps travaillé avec des circassiens : à l’aise pour investir tout type d’espace, ces artistes m’ont rapproché des arts du cirque. Lorsque j’ai eu à réfléchir à la nouvelle direction du CCN2 de Grenoble, j’ai souhaité élargir ce que l’on entend habituellement par « chorégraphie » : pour une grande majorité du public, ce terme évoque avant tout la danse. Or, il existe des réalisateurs, des metteurs en scène, des circassiens dont l’œuvre est pleinement chorégraphique. Il m’a paru intelligent et pertinent pour le CCN2 de devenir, plus largement, un centre des arts du geste où seraient mises en scène des personnalités, leur singularité et leur capacité à créer des espaces poétiques, plutôt qu’une représentation formelle de disciplines.

J’ai souhaité élargir ce que l’on entend habituellement par « chorégraphie » : pour une grande majorité du public, ce terme évoque avant tout la danse. J’ai voulu faire du CCN2, plus largement, un centre des arts du geste.

Qu’est-ce qui vous a intéressé dans le projet d’une codirection du CCN2 de Grenoble avec Yoann Bourgeois, artiste issu d’une autre discipline que la danse ?

Ce qui m’a semblé intéressant dans cette codirection, c’est la complémentarité qui existe entre Yoann Bourgeois et moi : Yoann développe des dispositifs qui pensent l’environnement dans lequel les lieux s’inscrivent alors que, pour ma part, j’aborde ces mêmes lieux à travers le prisme de l’humain, des personnes qui l’habitent.

Dans le milieu artistique du spectacle vivant, on produit des œuvres puis on les met en partage afin de « sensibiliser » le public à la création artistique. Les professionnels ont tendance à insister sur l’œuvre créée. Pour nous, le moment en amont de la fabrication, et en aval où nous découvrons les lieux et les populations, est tout aussi important. Avec Franchir la nuit, nous sommes d’abord allés à la rencontre d’un espace à travers des gens et leur sensibilité. Les lieux dans lesquels nous nous trouvons et les gens avec lesquels nous sommes deviennent le sujet de nos œuvres. Cela concerne également les projets des artistes que nous soutenons en tant que CCN2 : nous sommes sensibles aux artistes qui tentent de faire évoluer leur art grâce à cette friction avec le monde réel.

Pour moi, faire œuvre c’est fabriquer un tissu de relations entre individus en prenant en considération tout le processus qui conduit au spectacle.

Vous êtes commissaire invité de la section Outdoor du Festival Bolzano Danza du 11 au 26 juillet 2019. Quel est votre projet ?

Bolzano est une ville très particulière qui a un héritage architectural datant de deux périodes — la période germanique avec une architecture médiévale héritée de cette époque, et la période totalitaire du début du XXe siècle avec une architecture fasciste. Aujourd’hui, 80% de la population parle encore allemand dans la ville, on est dans une ville bilingue. Le festival Bolzano Danza pose en creux la question de l’autre, de la différence. Je m’inscris dans cette tradition.  Le projet pour ce festival est d’offrir aux personnes qui connaissent déjà la ville de Bolzano un regard nouveau sur celle-ci, plus contemplatif, plus poétique, en détournant ses lieux. J’interviens là-bas avec des spectacles, mêlant crique et performances, qui interrogent la notion de frontière, et les territoires intérieurs, qu’ils soient mentaux ou oniriques.

Le festival Bolzano Danza pose en creux la question de l’autre, de la différence. Je m’inscris dans cette tradition.

Vous développez un travail de création, de transmission et de diffusion en France et à l’international. Comment abordez-vous ces collaborations ?

Que ce soit en Asie, en Afrique, en Amérique ou en Europe, je cherche à comprendre les réalités culturelles et sociales dans lesquelles, et avec lesquelles, je travaille. Je suis à l’affût de la moindre singularité, du moindre détail méconnu propre à cet environnement. Cette exploration me permet ensuite d’inventer de nouvelles formes artistiques et d’inviter des artistes locaux qui restent souvent isolés et dont les œuvres méritent, à mon sens, d’être découvertes, présentées. Mon métissage personnel me pousse avec passion vers la rencontre de gens et d’artistes différents, ainsi qu’à un décloisonnement des disciplines artistiques.

L'Institut français et le chorégraphe

L’œuvre singulière de Rachid Ouramdane a traversé les continents avec des tournées en Afrique, en Amérique, et en Asie avec l’accompagnement de l’Institut français depuis plus de 15 ans.

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L'institut français, LAB