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Rencontre avec Simon Gauchet autour de sa pièce « L’Expérience de l’Arbre »

J’ai vu des choses qui dépassent notre imagination, notre rationalité, avec le théâtre comme moyen de permettre à la magie d’arriver.

Acteur, metteur en scène et scénographe, Simon Gauchet imagine des performances théâtrales attachées aux notions d’imaginaire et de transmission. Il présente sa pièce L’Expérience de l’Arbre au théâtre Paris-Villette du 16 au 19 novembre. Née de sa résidence à la Villa Kujoyama en 2018, cette pièce voit deux comédiens, français et japonais, partager la tradition de leurs théâtres respectifs. 

Mis à jour le 17/11/2023

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L'expérience de l'arbre - Simon Gauchet
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L'expérience de l'arbre, une pièce de Simon Gauchet
© Louise Quignon

Vous êtes metteur en scène et scénographe depuis 2008. Comment le théâtre est-il entré dans votre vie 

Je suis né à Saint-Malo et, même si j’allais parfois au théâtre avec mes parents, il n’y avait pas beaucoup d’offreculturelle. J’ai surtout découvert le théâtre par la poésie et notamment un concours de diction, organisé par mon école primaire. C’est vraiment la première fois que j’étais sur scène et j’avais préparé tous les objets qui accompagnaient ce poème. Même si je n’avais que huit ans, je me rappelle de ce moment fondateur, où j’étais devant 300 personnes pour raconter l’histoire de ce petit chat. J’ai ensuite commencé à faire des ateliers de théâtre et je me souviens de l’expérience de la scène, de la chaleur des projecteurs. Ça ne m’a plus vraiment quitté depuis.

 

Dans vos créations, vous questionnez fréquemment l'imaginaire ou encore l'idée du rituel collectif. Quelles sont vos inspirations majeures dans le domaine ? 

Je parle souvent de la lecture d’Annie Le Brun, qui possède une pensée très forte. J’ai été beaucoup marqué, plus jeune, par ce qu’elle raconte sur la crise de l’imaginaire, plus insidieuse et intime que toutes les autres crises dont on parle aujourd’hui. Il y a une crise beaucoup moins formulée, qui serait celle de la sensibilité et de l’imagination. Notre imaginaire serait atrophié et ne nous permet pas nous représenter ce qui est en train de nous arriver et d’inventer des réponses désirables. Cette réflexion a représenté un fort point de départ pour moi avec, également, la fréquentation de la peinture. Plus jeune, je suis parti en tournée avec un spectacle durant un an, à chaque nouvelle ville, je me rendais dans son musée municipal pour regarder de la peinture : j’ai l’impression que cela a forgé beaucoup de choses chez moi sur des questions de mises en scène. Sur la question du rituel, je sais que c’est lié à une expérience faite avant mon voyage au Japon. J’avais réalisé un séjour en Indonésie sur les traces du théâtre traditionnel asiatique et j’ai assisté à une sorte de cérémonie d’exorcisme, où le théâtre, la danse et le chant étaient utilisés comme vecteurs du rituel et créaient des transes. Il y avait quelque chose qui me touchait à un endroit enfoui et, au-delà de ma propre expérience, j’ai vu des choses qui dépassent notre imagination, notre rationalité, avec le théâtre comme moyen de permettre à la magie darriver.

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Simon Gauchet
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Simon Gauchet
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Au Japon, il existe un rapport particulier avec la catastrophe, une connexion avec la nature qui est très puissante.

En 2018, vous avez été lauréat de la villa Kujoyama à Kyoto au Japon. Quels sont les souvenirs les plus marquants de cette résidence ? 

Il y en a eu beaucoup. Trois jours après mon arrivée, le Japon a été touché par l’un des plus grands typhons de ces dernières années. J’ai été marqué d’assister à ce déchaînement d’éléments naturels, de voir la forêt complètement dévastée et la vie reprendre après ça. Au Japon, il existe un rapport particulier avec la catastrophe, une connexion avec la nature qui est très puissante. Ensuite, j’étais heureux de retrouver cet acteur japonais, rencontré dix ans auparavant, et de le revoir comme si seulement quelques heures s’étaient écoulées. Enfin, je me souviens d’une cérémonie du thé avec un maitre de thé qui était également une grande leçon de théâtre. Elle démarre au début de la soirée, alors que le jour est encore présent, et, progressivement, l’obscurité augmente. Le maître expliquait qu’il fallait « laisser autant de place à la lumière qu’à l’obscurité » car l’obscurité a besoin d’exister. Il y avait un rapport aux choses et au présent et nous racontait, finalement, que tout est en mouvement permanent, que nous sommes toujours en train de changer, même si nous avons une sensation de permanence des choses. 

 

Durant cette résidence, vous avez créé un spectacle, « L'Expérience de l'Arbre ». Pouvez-vous revenir sur sa genèse 

En 2008, j’ai rencontré cet acteur de théâtre japonais, qui, à l’époque, avait commencé à m’enseigner des bribes de son théâtre, même si je n’avais pas vocation à devenir acteur nô. Il faut savoir que soixante années de pratique sont normalement nécessaires. Néanmoins, ce moment de transmission a été fondateur et, à l’issue de ces leçons, j’ai souhaité le payer, mais il a refusé en me disant qu’il préférait que je revienne un jour pour lui transmettre mon théâtre. Même si j’ai mis beaucoup de temps à revenir, j’avais conservé cette promesse en tête. Je me suis demandé longtemps ce que je pouvais lui transmettre de mon théâtre alors que lui possédait un théâtre presque millénaire, codifié, avec un répertoire et des gestes qui se partagent de père en fils. En Occident, nous n’avons pas du tout ce même rapport à la tradition, mais, en réfléchissant, je me suis peu à peu dit que le plus juste serait de l’inviter à fabriquer un spectacle, à traverser un processus de création. Je suis donc revenu avec cette idée : poursuivre cette rencontre en fabriquant ensemble ce spectacle. L’idée vient d’une anecdote qu’il m’avait racontée selon laquelle les acteurs japonais jouaient pour des arbres avant même qu’il n’y ait des spectateurs pour les regarder. 

« L'Expérience de l'Arbre » est un spectacle qui parle d’une rencontre entre deux mondes, deux cultures et, pour nous, cela aurait du sens de le jouer au Japon.

Vous avez écrit, conçu et mis en scène « L'Expérience de l'Arbre », mais vous interprétez également l'un des personnages principaux. Quels sont les enjeux majeurs auxquels vous devez faire face au moment de défendre, sur scène, votre propre pièce ? 

Au départ, j’ai plutôt une formation d’acteur alors que la mise en scène est venue plus tard. Sur ce projet, il s’est posé la question de trouver un acteur qui pourrait jouer mon rôle, mais le spectacle était tellement intime, tellement le fruit de cette rencontre que je n’avais pas envie de tricher avec ça. Le fait d’être sur le plateau s’est très vite imposé, même si cela reste extrêmement périlleux. Être sur le plateau veut dire ne pas regarder le plateau et, heureusement, j’ai été accompagné par plusieurs collaborateurs extérieurs comme Éric Didry et Benjamin Lazar, qui ont été des témoins de cette expérience. Même si je continue à avoir peur de livrer ces choses intimes et qu’avant chaque représentation, je me dis « mais plus jamais ! », cela s’impose vraiment pour moi. 

 

Vous êtes parallèlement co-créateur de l’École Parallèle Imaginaire, un lieu nomade, qui invente des expériences novatrices dans les théâtres ou les musées. Comment est né ce projet ? 

Après ces expériences de transmission au Japon et en Indonésie, j’ai finalement réintégré une formation en école à Rennes, mais j’ai commencé à me poser beaucoup de questions sur la pédagogie en matière d’art et la manière dont on apprend à créer. A-t-on vraiment besoin d’avoir des professeurs ou des maîtres ? Comment fonctionne ce geste de transmission ? À cette époque, cette réflexion était partagée par de nombreux étudiants, présents aux Beaux-Arts ou encore dans des écoles d’architecture, et nous nous sommes dit qu’au final, les étudiants étaient peut-être les mieux placés pour penser la pédagogie. On a songé à construire notre école, mais, comme il n’y avait aucun moyen financier, on a décidé qu’elle serait imaginaire et qu’il serait possible de la convoquer à tout moment. À nos sorties d’écoles respectives, on a finalement créé une association pour porter la suite et voir comment on pouvait partager nos expériences de transmission à d’autres. 

 

« L'Expérience de l'Arbre » va être joué au théâtre Paris-Villette du 16 au 19 novembre prochain. Avez-vous envie de continuer à présenter ce spectacle en France et à l'étranger ou bien envisagez-vous déjà une nouvelle création ? 

« L’Expérience de l’Arbre » a été créé il y a quatre ans et on est heureux de revenir le jouer au Théâtre Paris-Villette. Nous avions déjà eu l’occasion de donner deux représentations dans ce lieu et c’est vraiment un écrin parfait pour ce spectacle. Il va continuer à tourner à Aix-en-Provence et à Saint-Lô cette saison, mais on espère qu’il va pouvoir continuer à voyager. Une tournée au Japon était prévue, mais elle est tombée à l’eau avec le Covid. C’est un spectacle qui parle d’une rencontre entre deux mondes, deux cultures et, pour nous, cela aurait du sens de le jouer au Japon. On continue également à créer des expériences : une nouvelle création est actuellement jouée au Théâtre de la Bastille jusqu’au 24 novembre, elle s’appelle « La Grande marée » et parle d’une expédition allemande à la recherche de l’Atlantide. Un autre spectacle, « Le Beau Monde », joué au 104 en septembre, voyage encore également. Il s’agit d’un rituel de mémoire sur la beauté du XXIe siècle et il va se poursuivre cette saison, ainsi que la prochaine. 

La Villa Kujoyama

La Villa Kujoyama est un établissement artistique du réseau de coopération culturelle du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Relevant de l’Institut français du Japon, elle agit en coordination avec l’Institut français et bénéficie du soutien de la Fondation Bettencourt Schueller, qui en est le mécène principal. 

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