Romain Dutter & Bouqé
Après Symphonie Carcérale, une bande dessinée qui nous plongeait dans le quotidien de la prison de Fresnes, l’auteur Romain Dutter et le dessinateur Bouqé signent ensemble Goodbye Ceausescu, une immersion dans la Roumanie d’aujourd’hui.
Mis à jour le 29/10/2021
5 min

Pourriez-vous revenir sur vos parcours respectifs ? Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Romain Dutter : J’ai fait des études de médiation culturelle et de coopération internationale, et j’ai aussi beaucoup travaillé en Amérique latine, notamment comme bénévole dans une prison au Honduras en 2003. A mon retour en France, je suis devenu coordinateur culturel en milieu carcéral à la maison d’arrêt de Fresnes. Après dix ans passés « du bon côté des barreaux », en 2018, j’ai eu envie de raconter cette histoire et de montrer une autre réalité sur ce milieu plein de clichés. La forme de la bande dessinée s’est imposée à moi parce que je souhaitais rendre ce récit accessible au plus grand nombre. Je me suis donc mis en quête d’un dessinateur, en demandant autour de moi à mes amis. Quelques mois plus tard, le frère de Julien nous a mis en contact. Son style de dessin m’a tout de suite semblé parfait pour ce projet.
Bouqé : Pour ma part, j’ai toujours évolué dans le monde de l’image et de l’illustration, ce qui m’a amené vers l'univers de l’édition. Aujourd’hui, je suis directeur artistique chez Bayard. Après avoir beaucoup travaillé à partir de commandes, pas toujours très intéressantes, j’attendais donc avec impatience un projet plus personnel comme Symphonie Carcérale, que nous avons signé chez Steinkis en 2018.
Comment avez-vous préparé le scénario de Goodbye Ceausescu ? Est-ce que le projet d’une bande dessinée était déjà dans les cartons quand vous avez décidé de voyager en Roumanie ?
Romain : Avec Symphonie Carcérale, j’ai vraiment pris goût à l’écriture pour la bande-dessinée. Pendant que Julien terminait ses planches, je pensais donc déjà à développer un autre projet. J’avais voyagé en Roumanie en 2015 : j’ai toujours été passionné par l’histoire de l’Europe de l’est, notamment après la fin du communisme. Le procès et l’exécution de Ceausescu sont les premières images qui m’ont marqué, à la télévision, quand j’avais neuf ans. Je suis alors tombé sur un article qui annonçait les trente ans de la révolution roumaine : dans la continuité de Symphonie Carcérale, j’ai eu envie de m’intéresser à ce pays un peu méconnu et victime de clichés. En France, on s’intéresse peu à la Roumanie, et les gens en ont souvent une image négative. Or quand ça n’intéresse personne, moi ça m’intéresse. Je voulais aussi proposer quelque chose de très différent à Julien. Cette bande dessinée nous a permis de vivre une « aventure » ensemble, et de nous rendre plusieurs fois en Roumanie, grâce notamment à une résidence d’écriture qui m’a été accordée par l’Institut français.

Comment s’organise concrètement votre collaboration quand vous travaillez ensemble ?
Romain : Heureusement, ça se passe très bien. On se connaît en dehors du travail et on a pris le temps de développer une amitié, ce qui est important quand on se lance ensemble dans un travail au long court. Le processus d’allers-retours entre l’auteur et le dessinateur permet d’accepter de laisser son égo de côté et d’améliorer constamment le scénario. De mon côté, je prends d’abord en charge l’écriture bien sûr, mais aussi toute la partie recherche et documentation, et je soumets le scénario à Julien pour qu’il me dise ce qu’il en pense.
Bouqé : Après la première phase d’écriture, on travaille sur une deuxième version du scénario que je commence à mettre en images avec quelques croquis. Entre-temps, Romain m’a fourni une importante documentation, ce qui me permet d’aller à l’essentiel. Après l’étape du storyboard, on relit tout avec notre éditrice, et on apporte les dernières touches. Je passe ensuite à la phase d’encrage. Pour Goodbye Ceausescu, on a aussi fait appel à un coloriste (Paul Bona) pour tenir les délais. Pendant tout ce processus, on reste en lien au quotidien.
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris lors de votre séjour en Roumanie ? Quels enseignements avez-vous pu tirer de ce voyage ?
Romain : Ce qui m’a le plus marqué, c’est la lucidité des roumains sur leur propre situation et leur envie de s'investir dans leur pays, malgré la situation qui reste difficile, trente ans après la chute du communisme. Aujourd’hui, l’espoir est un peu retombé mais je trouve qu’il y a une forme d'optimisme qui perdure et qui se manifeste par une capacité à rire de ses propres malheurs. En ce qui concerne la question du post-communisme et du néo-libéralisme, ce voyage m’a convaincu qu’il n’y a pas de système idéal. Même si la vie était extrêmement dure sous Ceausescu, trente ans plus tard, la situation reste difficile. Malgré la liberté de consommer et de voyager, le tissu social s’est dégradé, avec des phénomènes comme le racisme ou la corruption qui se sont développés.
Bouqé : En tout cas, on nous a ouvert beaucoup de portes et l’accueil a été très chaleureux. Ce qui m’a marqué, c’est aussi l’étonnement des roumains quant à l’intérêt qu’on pouvait porter à leur pays. Certaines personnes pensaient qu'on blaguait, car ils ne pouvaient pas concevoir qu’on fasse une bande-dessinée sur leur pays.
Romain Dutter, vous travaillez désormais sur un nouveau projet qui portera sur l’Amérique latine. Est-ce que vous pouvez nous en parler ?
Romain : Je suis passionné de voyages, et notamment d’Amérique latine, où j’ai déjà beaucoup voyagé. C’est quelque chose qui a compté dans la construction de ce que je suis devenu aujourd’hui. J’aimerais raconter un peu tout cela, cette histoire d’amour pour ce continent et ces gens. Dans ce nouveau projet de bande-dessinée, je voudrais aussi intégrer de la photographie, et en faire un objet plus hybride, comme une sorte de carnet de voyage. Pour cela, j’ai bénéficié d’une résidence d’auteur de la Région Ile-de-France qui m’a permis d’intervenir pendant neuf mois en Seine-Saint-Denis, en proposant des ateliers pour sensibiliser les publics à l’Amérique latine.
Quelles sont vos actualités respectives dans les mois à venir ?
Romain : Je pars en résidence à Barcelonnette, dans les Alpes de Haute-Provence. C’est une ville très particulière, qui a une histoire commune avec le Mexique depuis près de cent-cinquante ans. Cela me permettra de poursuivre les ateliers et de terminer, je l’espère, l’écriture du scénario. Je viens aussi de terminer l’écriture d’une adaptation du roman Le Jour d’Avant, de Sorj Chalandon, qui traite de la catastrophe minière de Liévin, en 1974. Ce sera à paraître chez Steinkis en 2023, avec le dessinateur Simon Géliot.
Bouqé : J’ai moi aussi un nouveau projet de bande dessinée avec un auteur qui a passé plusieurs mois en immersion dans un commissariat à Roubaix.

Lauréats du programme Stendhal de l'Institut français, Romain Dutter et Bouqé ont séjourné en Roumanie en 2019 pour la réalisation de Goodbye Ceausescu.
Le programme Stendhal permet à des auteurs français ou résidant en France de partir dans un pays étranger travailler à un projet d’écriture en lien avec le pays.
En savoir + sur le programme Stendhal
Goodbye Ceausescu est aussi disponible sur Culturethèque.