Sabrina Calvo
Connue pour son attrait envers l’absurde et le réalisme magique, Sabrina Calvo a plusieurs cordes à son arc : écrivaine, dessinatrice, scénariste, conceptrice de jeux vidéo… En 2018, elle remporte le Grand Prix de l’Imaginaire pour son roman Toxoplasma. Elle vient de co-scénariser avec Charles Ayats 7 Lives, réalisé par Jan Kounen, une fiction en réalité virtuelle.
Mis à jour le 31/01/2020
2 min
Écrivaine, dessinatrice, scénariste, conceptrice de jeux vidéo… Comment en êtes-vous venue à ces différentes formes d’art ?
Tout s’est fait de manière assez organique. Quand j’ai commencé à créer, vers 9, 10 ans, je faisais de la bande dessinée. J’essayais de reproduire les films d’horreur que je regardais à l’époque car ma mère travaillait dans un vidéoclub. Et puis je me suis rendue compte que j’étais trop paresseuse pour la bande dessinée… Vers 18 ans, j’ai commencé à écrire des nouvelles et je me suis aperçue que ce format me permettait de faire tout ce que je voulais. À 23 ans, j’ai publié mon premier roman – à cette époque, j’étais journaliste dans le jeu vidéo. Puis à 30 ans, ma carrière d’autrice a décollé et j’ai travaillé plus sérieusement dans ce secteur. Aujourd’hui j’écris des livres, des poèmes, des jeux vidéo… et je dessine toujours.
L’écriture revient souvent dans vos propos. Pensez-vous qu’elle est à la base de tout ? Quel est votre processus d'écriture ?
Pour moi l’écriture est fondamentale. Elle se manifeste sous plusieurs formes : les mots bien sûr, mais également le dessin. Car pour moi – comme pour beaucoup d'auteurs de bandes dessinées –, le dessin c’est de l'écriture. Et les mots viennent souvent dans le même temps. Plutôt que de processus d’écriture, je parlerais d’ailleurs de processus créatif. Et je prends souvent pour point de départ des mots que je comprends mal, comme lorsque j’entends mal des conversations. À partir de mots qui n’existent pas se créent des images, que je cherche à approfondir. Le dessin est là pour souligner une perspective ou une vision. J’ai écrit tout un film à partir de l’image initiale que j’avais de deux personnes vêtues de noir et casquées qui couraient le long d’une pente pour échapper à des hélicoptères – Megiddo, pour mon frère Steeve. Je ne savais pas quelle histoire il y aurait derrière, mais je savais que c’était ce plan-là que je voulais raconter.
Vous avez tout récemment co-scénarisé une première œuvre de réalité virtuelle, 7 Lives. Comment avez-vous travaillé ?
7 Lives n’est ni une expérience interactive, ni un récit filmique. Cette œuvre accorde une grande place à l’utilisateur, la participation psychique est importante : le jeu impose de construire soi-même tout un univers, avec sa tête, et ses sentiments. Pour moi, le jeu vidéo est assez similaire à la poésie : il peut laisser une grande place à la personne qui le perçoit. Pour 7 Lives, nous avions un budget conséquent mais nous ne voulions pas raconter une histoire, plutôt évoquer le sentiment d’être étranger à soi-même. Est-ce qu’il est possible de raconter un sentiment ? De raconter l’empathie, la capacité à entendre la douleur de l’autre ? C’est sur cette frontière très fine entre narration traditionnelle et évocation pure que nous souhaitions rester. La difficulté a été permanente et je pense, qu’au final, nous avons atteint notre but : personne ne peut être indifférent face à ce jeu.
Pour vous, la réalité virtuelle est-elle l’avenir du jeu vidéo ?
La réalité virtuelle est un support adéquat pour certains types d’expériences. Elle permet d’adopter un point de vue singulier : par exemple, dans 7 Lives, le joueur s’identifie à quelqu’un qui se suicide, puis à son âme qui reste en suspension en dehors de son corps, en temps réel. Comme il s’agit de réalité virtuelle, certains parlent d'expérience immersive : je n’aime pas ce terme, un peu fourre-tout. Il y a des jeux conventionnels qui sont plus immersifs que la VR. De plus, la technologie VR ne me semble pas forcément au point. Je crois beaucoup plus à la réalité augmentée. Le jour où on aura des lentilles connectées, la société changera radicalement. On en est loin, et je ne sais pas si c’est souhaitable. Personnellement, je me satisfais très bien de ma petite fenêtre d’émulateur sur mon ordinateur !
Vous êtes adepte d’une forme de démesure, confinant à l’absurde, au surréalisme… Est-ce une volonté d’être à rebours de la tendance du jeu vidéo actuel à être très réaliste ?
Je n’ai pas l’impression d’être dans le surréalisme : j’aurais plutôt tendance à classer mes œuvres dans un réalisme magique. Toxoplasma évoque l’histoire d’un raton-laveur décapité, dépecé puis posé sur une balançoire dans un parc public. C’est un fait divers que j’ai entendu à la radio quand je vivais à Montréal, et j’ai décidé d’en faire le point de départ du livre. Je pars du réel, mais je pense que le meilleur moyen de parler de cette réalité fabriquée, c’est le fantastique.
Vous dites souvent que vous cherchez à créer des « accidents » lors des processus de création des jeux. Pourquoi ?
Je ne peux pas envisager de créer si je ne suis pas surprise par ce que je crée. Je n’écris pas mes livres, je les vis. J’avance avec mes personnages. Je suis persuadée que c’est en observant les systèmes qu’on découvre leur vérité. Il faut guetter les accidents, les moments où ça dérape. Et peut-être que l’on peut se servir des exceptions pour changer le cours des choses. Mal écrire, mal cadrer peut permettre, au fond, de gagner en force et en justesse.
7 Lives, de Sabrina Calvo, est présenté sur Culturevr.fr, plateforme de l'Institut français qui dresse un panorama de l'innovation culturelle en matière de réalité virtuelle.