Siam
Retour à l'occasion du Mois du documentaire, du 1er au 30 novembre, sur Amal, le dernier film de Siam, sorti en France en février 2019. Après Force majeure (2016), qui donnait la parole à un policier en civil du Caire, le cinéaste égyptien continue son exploration de l’autorité et de la violence. Décryptage avec le réalisateur de ce poignant documentaire sur le passage d’une jeune fille à l’âge adulte dans une Égypte bouleversée par la Révolution.
Mis à jour le 18/11/2019
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Pendant 6 ans, vous avez suivi une jeune fille qui a à peine 14 ans lorsque la Révolution égyptienne éclate en 2011. Pourquoi avoir choisi un tournage d’une si longue durée ?
Je voulais faire un film sur quelqu’un qui grandit durant la Révolution, saisir le regard d’un enfant sur ce conflit, de cette jeunesse coincée dans une zone de guerre. Les deux premières années, j’ai tourné chaque mois, voire chaque semaine, jusqu’à savoir exactement quelle histoire je voulais raconter. Ensuite, le tournage est devenu plus précis, plus sélectif et je ne tournais plus que deux à trois fois par an.
Vous avez filmé pendant la Révolution, en plein cœur des manifestations. Le tournage n’était-il pas trop difficile ?
Pendant les deux premières années, le danger était présent chaque jour, nous étions au milieu de la place Tahrir, il y avait du feu, des manifestations, la police. Nous avons vu des blessés et des morts. Amal elle-même a été tirée par les cheveux et blessée physiquement plusieurs fois. Ensuite, le tournage est devenu un peu moins difficile, même si faire un film en Égypte reste toujours compliqué.
Amal porte un regard aiguisé sur le contexte politique et social de son pays. Filmer une femme, très jeune, vous a-t-il permis d’observer la place des femmes dans la société égyptienne et dans la Révolution ?
Le film aborde plusieurs sujets : la place des femmes, celle de la jeunesse en général, le conflit entre générations. Amal essaie de trouver sa place dans son propre pays, dans un monde masculin et machiste. Elle est constamment entourée d’hommes. Dans plusieurs scènes, on lui dit : « Il n’y a pas de place pour les femmes ici », « Les manifs ne sont pas faites pour les femmes ». Et elle lutte contre tout cela. Elle est contre l’autorité : autorité de sa mère, autorité de l’État, autorité de la police, autorité des hommes. Amal dit même, dans une scène essentielle, que pour gagner le respect, elle doit être un homme : se comporter comme une fille pendant la Révolution ne sert à rien. Alors elle doit se métamorphoser pour arriver à être à l’égal des hommes. Elle doit faire ce compromis.
Amal n’a pas été projeté en Égypte. Est-ce une déception pour vous ?
Le film a été interdit en Égypte et dans d’autres pays arabes, et j’espère que cela va changer. Mais je peux montrer le film au Japon, au Brésil, en Norvège, et l’effet sera le même. Il était important pour moi que l’histoire d’Amal fasse sens pour tout le monde, dans les pays arabes et ailleurs. Bien sûr, l’histoire est très égyptienne, très enracinée dans ce contexte géopolitique, mais nous avons fait beaucoup d’efforts pour que les gens puissent s’identifier à Amal. Notre succès en Tunisie, avec l’obtention du Tanit d’or aux Journées cinématographiques de Carthage, confirme que nous avons réussi.
Dans les années 1950-1970, l’Égypte était le troisième producteur mondial de films au monde. Quelle est la situation aujourd’hui, pour les réalisateurs égyptiens ?
Après cet âge d’or, le cinéma égyptien a décliné. Puis ces 15 ou 20 dernières années, la vague du cinéma indépendant a provoqué un certain réveil. Depuis la Révolution, on assiste à un déferlement du documentaire en Égypte – alors qu’il n’existait pas avant – et partout dans le monde arabe d’ailleurs. Il y a maintenant des fonds, des ateliers, des formations et des festivals du film documentaire. Cependant la Révolution a également provoqué une division politique dans le cinéma égyptien, entre ceux qui sont pour la Révolution et ceux qui sont contre – ce qui créé beaucoup de dommages. Le sens d’unité et de solidarité qui existait entre les réalisateurs est en train de se perdre.
Votre trilogie sur le pouvoir et l’autorité s’est amorcée avec deux documentaires : Force majeure et Amal. Vous préparez un troisième volet. Quel sera son sujet ?
Le troisième volet s’intitule Carnaval, c’est une comédie. Après deux documentaires plutôt sombres, je voulais aborder le monde du pouvoir et de l’autorité sous cet angle. Force majeure s’intéressait à un policier égyptien. Amal parle d’une adolescente. Dans ce troisième film, qui est une fiction, j’ai imaginé la rencontre entre ces deux personnages.
Comme l’évoque son titre, Carnaval révèle l’absurdité de la Révolution. Le film se déroule pendant 48h très spéciales. Dans la ville, l’ambiance est apocalyptique : on y croise des animaux échappés du zoo, des enfants et ces deux personnages de 12 ans et de 40 ans qui ont des parcours très différents en termes de milieu social, d'âge et d'éducation et qui, pourtant, font route ensemble.
Qu’est-ce qui a motivé ce passage du documentaire à la fiction ?
À l’origine, je suis un réalisateur de fiction ! C’est la rencontre avec les personnages de mes deux précédents films qui m’a conduit au documentaire. Pour moi, le cinéma est à la frontière de ces deux mondes. D’ailleurs, Amal n’est pas un documentaire traditionnel, il recèle des techniques propres à la fiction. Ce sera la même chose avec Carnaval, qui, tout en étant une fiction, intégrera certaines scènes réelles et des archives de la Révolution. Mon cinéma est toujours fait de ce mélange.
Pourquoi avoir choisi de concentrer une partie de votre travail cinématographique sur le thème du pouvoir et de l’autorité ?
On le voit dans Force majeure : mon père était enquêteur criminel. Le pouvoir, l’autorité ne sont pas étrangers à mon enfance et à la façon dont j’appréhendais la famille et de la société. J’ai été élevé en Égypte, dans un État policier et j’avais la même structure chez moi. Il était inévitable que j’aborde ce sujet !
Amal, de Mohamed Siam, est diffusé par la Cinémathèque Afrique et proposé à la programmation dans le réseau culturel français à l'étranger et auprès de leurs partenaires dans le cadre du Mois du documentaire 2019.
Le film a été soutenu en 2016 par La Fabrique Cinéma de l'Institut français, ainsi que dans le cadre de l'Aide aux cinémas du monde.
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