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Skygge

L’intelligence artificielle me permet d’accroître le champ d’expérimentation et augmente mes pouvoirs !

Skygge est l’alias de l’auteur-compositeur Benoît Carré, qui travaille depuis 2015 sur la musique assistée par Intelligence Artificielle (IA). Une démarche inédite qui peut désormais s’expérimenter sur scène. 

Mis à jour le 25/11/2021

10 min

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Skygge
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Skygge © Elodie Daguin

Depuis le milieu des années 90, vous avez une longue carrière en tant qu’auteur-compositeur-interprète. Pouvez-vous nous expliquer comment vous êtes « devenu » Skygge ?

Skygge veut dire "Ombre" en Danois. C'est le titre d'un conte d'Andersen qui raconte l'histoire d'un poète savant qui demande à son ombre d'aller explorer la maison voisine d'où émane tous les soirs un chant mélodieux. L'ombre disparait et devient une sorte de personnage fantasque qui voyage dans le monde. Ce conte m'est revenu dès mes premières expérimentations avec l'équipe des chercheurs que j'ai intégrée en 2015 sur le projet Flow Machines. Je ne savais pas top si j'étais leur ombre ou si l'intelligence artificielle était mon ombre, mais je trouvais passionnant de laisser échapper le contrôle et laisser mon ombre me surprendre. 

 

L’histoire de la musique générée par intelligence artificielle remonte aux années 1950. Pourtant, jusqu’à aujourd’hui, ce procédé a rarement été utilisé. Pourquoi est-ce que le développement de cette technologie a pris autant de temps ?

A l’époque, c’était surtout un concept, mis au point notamment par John McCarthy. Les premiers algorithmes apparaissent pendant les années 80, mais il faut attendre les années 2000 pour que les ordinateurs aient la puissance nécessaire pour créer des réseaux de neurones capables d'analyser des éléments musicaux et de générer des fragments originaux. Des laboratoires comme celui avec lequel je travaille ont alors commencé à développer des outils sur le style, pour proposer aux musiciens une nouvelle manière de créer. 

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Skygge © Elodie Daguin
Skygge © Elodie Daguin

Avez-vous constaté une évolution du public dans la perception de l’intelligence artificielle pour la musique ? 

Je crois qu’on ne peut pas encore parler de tendance car nous sommes trop peu d’artistes à expérimenter ces nouvelles approches de composition. C’est pour cela que je trouve précurseur et par là même très précieux le soutient de l’Institut français depuis 2019. Faire partie du Catalogue de l’Institut français avec mon projet Interface Poetry, favorisera la mise en lumière de la démarche artistique nouvelle que je porte et me permettra aussi de partager mon expérience, de rencontrer d’autres cultures et d’autres artistes. J’ai la chance par exemple, d’être invité à présenter mon travail en Arabie Saoudite en novembre prochain dans le cadre de Novembre Numériques, aux côtés d’artistes reconnus là-bas. J’ai toujours à cœur de montrer à travers des exemples concrets, comment je crée. Cela permet de faire tomber les a priori négatifs liés à l’Intelligence Artificielle. 

 

Qu’est-ce qui différencie la musique générée par Intelligence Artificielle de la MAO (Musique Assistée par oOrdinateur) ? 

Les outils de l’IA permettent de créer un matériau entièrement inédit. Dans la MAO, on utilise des samples de musique existante. Je nourris la machine avec mes envies, mes "fantasmes" musicaux. Je peux par exemple lui donner une partition de Purcell, qu'elle va adapter à une voix comme pour mon morceau "Black is the Color" de Pete Seeger (American Folk Songs). L'intérêt n'est pas de remplacer les musiciens mais au contraire de lui ouvrir des possibilités infinies d'exploration. Même s’ils sont très puissants, ces outils n'ont aucune imagination et seul le musicien peut reconnaitre la beauté d'un résultat, s'en inspirer pour son travail. D'ailleurs, j'ai fait appel à des musiciens du Philharmonique de Radio France pour jouer ce que l'IA avait généré. Ils ont accepté et magnifiquement joué. 

Black Is The Color - SKYGGE featuring Pete Seeger
Black Is The Color - SKYGGE featuring Pete Seeger

Comment se passe concrètement la composition d’une chanson assistée par une intelligence artificielle ?

L’IA me permet d’accroître le champ d’expérimentation et augmente mes pouvoirs ! Au fil de la construction de mes morceaux, de la composition, aux arrangements, à la production, je fais appel à ces prototypes pour qu'ils me bousculent. Je cherche comme tout créateur à être embarqué dans un état créatif qu'on pourrait rapprocher de l'hypnose, du lâcher-prise contrôlé. Malgré ces nouveaux pouvoirs, ce n'est pas plus facile pour autant. Je passe beaucoup de temps à trier les résultats, à chercher la beauté ou la poésie. Une chanson peut ainsi me demander un mois de travail. 

 

Pouvez-vous nous parler de votre nouveau projet, Interface Poetry ?

J'ai commencé l’écriture de mon nouvel album en mars 2020, juste après un concert à Tokyo organisé par l'Institut français, pendant lequel j'ai glané des sons dans la rue et beaucoup écouté la J-pop en vogue ! J'ai nourri les algorithmes avec ces sons qu'ils ont adapté à ma musique. Le confinement m'a contraint à travailler seul, avec mon ombre et explorer un sentiment que nous avons peut-être un peu tous partagé : la mélancolie dans cette période où on était chacun chez soi, au milieu d’une ville déserte, qui nous était interdite. Au fil de l'album est née l'idée d'une ville déserte où l'Ombre d'Andersen se promène et raconte son spleen. 

 

Est-ce qu’il y a une différence entre le fait d’utiliser l’IA pendant les phases de composition et de production, ou de l’utiliser en live, sur scène ?

Avec le collectif d'artistes visuels OYE Label, nous avons créé cette ville en 3D. L'IA est présente dans les rapports entre son et image. Je suis très heureux aujourd'hui de pouvoir à nouveau voyager et partager sur scène cette Ballade de l'Ombre. Dans le concert je montre aussi comment je crée avec l'IA sur le fameux titre Daisy chanté pour la première fois par un IBM en 1961 (et repris dans 2001 l'Odyssée de l'Espace). Après le concert et quand c'est possible, je propose un échange avec le public en montrant des exemples concrets. 

L'Institut français et l'artiste

Le nouveau projet de Skygge, Interface Poetry, est présenté dans le cadre de Novembre Numérique 2021 et via le dispositif de La Collection 2022. La Collection est un dispositif qui rassemble pour le réseau culturel français à l'étranger des propositions clés en main, légères en diffusion et modulables, dans les domaines des arts de la scène, des arts visuels et de l’architecture, de l’urbanisme et du paysage. 

En savoir + sur La Collection 

 

En 2021, Skygge a également participé au Webinaire "Musique et innovation" organisé par l'Institut français. 

 

Invité par l’Institut français de Tokyo en 2020 dans le cadre de Digital Choc, Skygge sera également invité dans d'autres lieux du réseau culturel français à l'étranger en 2022. 

L'institut français, LAB