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Stéphanie Chevrier et Laurence Faron nous parlent de la tournée "Livres des deux rives" au Maghreb

C’était très intéressant de rencontrer et d’entendre parler nos confrères et consœurs, des maisons d’édition françaises et marocaines pour la jeunesse.

Stéphanie Chevrier et Laurence Faron sont respectivement directrices des éditions La Découverte et Talents Hauts. Elles ont pris part à des tournées organisées dans les pays du Maghreb par l’Institut français, dans le cadre du dispositif Livres des deux rives. Celui-ci vise à soutenir le dialogue entre les sociétés civiles des deux rives de la Méditerranée, à travers des actions de coopération autour du livre. 

Mis à jour le 19/04/2023

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Laurence Faron
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Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs, ainsi que vos structures respectives ? 

Laurence Faron : Talents Hauts est une maison d’édition essentiellement dédiée à la jeunesse créée en 2005. Nous sommes indépendants et publions vingt-deux à vingt-cinq titres par an environ, pour différents publics : des plus petits jusqu’aux adolescents, avec quelques incursions chez les adultes aussi. Nous avons environ 300 titres à notre catalogue, et sommes diffusés par Harmonia Mundi Livre, y compris au Maghreb. Nos livres sont régulièrement traduits, notamment en Amérique Latine et en Chine. Nous avons développé un savoir-faire en matière de décryptage des stéréotypes sexistes, d’où notre slogan : « Des livres qui bousculent les idées reçues. » 

Stéphanie Chevrier : Je suis présidente des éditions La Découverte, une maison dédiée aux sciences humaines et sociales et aux essais, qui fête cette année son 40e anniversaire. Nos grands thèmes portent notamment sur questions de féminisme, de genre, d’études sur le post-colonialisme et l’écologie. Depuis l’an dernier, je dirige également les éditions Julliard, une maison de littérature qui publie des ouvrages de fiction et de non-fiction littéraire en langue française et étrangère. Depuis leur création il y a près de 80 ans, elles ont révélé de grandes plumes françaises comme Françoise Sagan, Nicolas Bouvier ou Georges Perec, et ces dernières années Jean Teulé, Philippe Besson ou encore Philippe Jaenada. 

 

Dans le cadre du projet Livres des deux rives, vous avez participé, avec d’autres éditeurs et des auteurs, à des tournées organisées à l'automne 2022 dans les trois pays du Maghreb. Stéphanie Chevrier, vous êtes allée en Tunisie et vous, Laurence Faron, au Maroc : que retenez-vous toutes deux de votre participation à ces dispositifs ? 

Laurence Faron : Ce projet consistait en un voyage d’études et d’échanges entre professionnels. Dans mon cas, je me suis rendue à Casablanca et à Tanger avec Marion Achard, autrice d’un roman pour ado, Le peuple du chemin. C’est une formule qui est assez originale, j’étais accompagnée de deux autres maisons d’édition pour la jeunesse : les éditions Thierry Magnier et les Fourmis Rouges. C’était très intéressant de rencontrer et d’entendre parler nos confrères et consœurs, des maisons d’édition françaises et marocaines pour la jeunesse. Les maisons spécialisées en jeunesse au Maroc sont assez peu nombreuses, elles ont des méthodes de travail différentes des nôtres en raison d’un marché moins structuré qu’en France notamment en matière de distribution. Ces rencontres contribuent à la formation de nos homologues, afin de faciliter un langage commun, de rapprocher nos pratiques. Les visites culturelles à Tanger et les rencontres avec les écoles d’art à Tanger avaient aussi vocation à nous faire connaître un vivier de talents. 

Stéphanie Chevrier : Il me paraissait important que La Découverte participe à ce projet, puisque, depuis longtemps, notre catalogue est apprécié et soutenu par la librairie et le monde intellectuel tunisien – et plus largement maghrébin. C’était donc l’occasion d’aller à la rencontre d’éditeurs, de libraires, de traducteurs, et d’autres personnes issues du monde culturel et de la société civile. Grâce à toutes et tous, j’ai mieux saisi l’écosystème tunisien du livre, alors que nous rencontrons de part et d’autre depuis quelques années des difficultés, notamment du côté des traductions et de la diffusion. Ces rencontres aboutiront probablement à quelques collaborations, qui sont actuellement en discussion. 

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C’était intéressant de discuter directement avec ces acteurs locaux du monde du livre pour voir comment nous pouvons trouver des solutions pour faire circuler et connaître nos auteurs. Et connaître aussi la production éditoriale du monde arabe.

Le prix des livres importés de France, au Maghreb, est souvent prohibitif pour les lecteurs sur place : quels outils vous paraîtraient adaptés pour permettre une plus large diffusion de vos livres au Sud de la Méditerranée ? 

Laurence Faron : Pour faciliter la cession des droits de traduction du français vers l’arabe, outre les aides à la traduction qu’octroient les instituts français ; des garanties bancaires pourraient être utiles. Les expériences de co-édition sont plus difficiles semble-t-il. 

Stéphanie Chevrier : En Tunisie, nous avons échangé avec des libraires très dynamiques, bien au fait de la production éditoriale française tant sur le plan de la littérature que des sciences sociales. Nous avons même découvert une librairie qui présentait de nombreux titres de La Découverte dans leur édition de poche. En discutant avec lui, je me suis aperçue qu’il connaissait bien l’histoire de la maison et notre catalogue, des titres plus anciens aux plus récents. Mais l’activité de la librairie n’est pas simple dans la situation économique actuelle du pays. Les personnes et les familles n’ont pas les moyens d’acheter des livres à nos prix de vente. C’était donc intéressant de discuter directement avec ces acteurs locaux du monde du livre pour voir comment nous pouvons malgré tout trouver des solutions pour faire circuler et connaître nos auteurs. Et connaître aussi la production éditoriale du monde arabe. 

 

Laurence Faron, vous proposez chez Talents Hauts un catalogue de littérature jeunesse engagée, en particulier autour du décryptage des stéréotypes sexistes : quel écho ce catalogue a-t-il trouvé auprès des éditeurs marocains que vous avez pu rencontrer ? 

Laurence Faron : J’avais choisi certains de mes titres, et j’en avais exclu d’autres sciemment. Notamment les romans qui abordent l’homosexualité, car je savais que ce n’était pas un sujet qui serait entendable au Maroc. Il y a donc eu une forme d’autocensure de ma part, assumée et pragmatique. En revanche, en ce qui concerne les stéréotypes sexistes, le féminisme et l’égalité de genre, nous en avons parlé avec les partenaires locaux sans difficulté. Mais j’ai pu vérifier à l’occasion de certains échanges qu’il y avait une frontière à ne pas franchir. 

 

Vous avez chacune voyagé avec un auteur lors de vos déplacements en Tunisie et au Maroc : que retenez-vous des rencontres organisées eux, en particulier avec le jeune public ? 

Stéphanie Chevrier : Nous avons eu l’occasion de rencontrer des personnes de la société civile, une association dédiée aux pratiques écologiques mais aussi des lycéen.nes et des étudiant.e.s et leurs professeurs. Ce furent des moments d’échanges vivifiants et intéressants pour nous trois – Philippe Boursier et Soufiane Hennani, les deux auteurs avec lesquels je sillonnais. Nos échanges ont également porté sur l’édition, les auteurs, la question écologique, la question migratoire et sur les études de genre. Ces problématiques étaient connues par ce jeune public, attentif et curieux. 

 

Le programme Livres des deux rives part aussi du constat que la langue arabe reste peu traduite, malgré un nombre très conséquent de locuteurs et de lecteurs potentiels des deux côtés de la Méditerranée. À quoi cela est-ce dû selon vous, et comment y remédier ? 

Laurence Faron : Cette question a donné lieu à des débats très intéressants avec des éditrices locales sur le bilinguisme, l’arabe vernaculaire, etc. Dans ce domaine, les considérations politiques sont primordiales, les choix de la langue d’éducation et d’enseignement ayant un impact direct sur la production et l’accès au lectorat. En matière de d’albums illustrés pour la jeunesse, le rapport texte-image est compliqué par le sens d’écriture, mais cette contrainte est aussi source de créativité. 

L'institut français, LAB