Théo Ceccaldi
Violoniste, altiste et compositeur français, Théo Ceccaldi, 34 ans, s’est fait un nom dans le jazz. Il s’y illustre notamment avec le trio Django, dont la formation se présente comme un lointain écho du légendaire Quintette du Hot Club de France. Rencontre avec cet improvisateur né, récompensé en 2017 aux Victoires du jazz dans la catégorie Révélation instrumentale de l’année, et qui revient d’une tournée en Amérique centrale.
Mis à jour le 22/06/2021
5 min
Comment avez-vous découvert la musique ?
Je viens d’une famille de musiciens : mon grand-père était violoniste et mon père est multi-instrumentiste, compositeur et directeur d’une école de musique. J’ai toujours baigné dans la musique folklorique et de tradition orale. Mon père travaillait beaucoup pour le théâtre. J’assistais aux répétitions, fréquentais les festivals… À 5 ans, j’ai voulu faire du violon et j’ai intégré l’école de mon père, à Orléans – une école atypique qui fait se côtoyer des instruments rarement enseignés au conservatoire – la cornemuse, l’accordéon, la guitare électrique notamment –, et qui accueille des publics très différents, aussi bien des enfants, que des handicapés ou des personnes âgées. J’ai grandi dans un univers où il n’y avait pas de barrières esthétiques et où aucune musique n’était sacralisée.
À quel moment avez-vous débuté votre formation classique ?
Je suis entré au conservatoire à 7 ans et j’ai découvert le solfège, la chorale, une nouvelle forme de rigueur, une ambiance beaucoup plus stricte, qui m’a parfois découragé ! J’ai ensuite fréquenté à nouveau, en parallèle, l’école de mon père, et j’ai trouvé beaucoup de plaisir à participer à des ateliers de jazz, de funk… J’ai découvert là l’improvisation, la musique en groupe et l’émulation qui en découle, et commencé à vivre la musique comme une aventure collective, tout en travaillant sur de premières compositions et en écoutant Herbie Hancock, Quincy Jones, Michael Jackson… Il y aura ensuite, après mon bac, le Conservatoire à rayonnement régional de Saint-Maur, puis le Conservatoire à rayonnement régional de Paris en jazz.
Comment composez-vous ?
Je me projette vraiment au plus loin quand je compose : je sais pour qui j’écris, ce que je veux provoquer, quelle architecture je veux donner à la pièce... Je pense beaucoup à l’environnement de la composition, voire à la salle dans laquelle la pièce sera créée – pas simplement aux harmonies et aux rythmes, mais à la spatialité, à l'engagement physique. J’aime jouer avec les codes du jazz, avec ceux de la musique contemporaine ou avec l’idée que je me fais du rock. J’entremêle les énergies.
Vous revenez d’une tournée en Amérique centrale avec le Trio Django. Que représente Django Reinhardt à vos yeux ?
Django est un musicien que j’ai découvert assez jeune, par l’intermédiaire de Stéphane Grappelli, qui était le violoniste leader du Quintette du Hot Club de France, « partenaire privilégié » de Django Reinhardt. Notre formation (violon, violoncelle et guitare) se rapproche de celle de Reinhardt (violon, contrebasse, trois guitares). Le violoncelle permet de planter des basses, comme le fait une contrebasse, tout en se rapprochant de la voix humaine, notamment dans les aigus. Ce qui nous intéressait dans la reprise d’un répertoire Django – qui était tout sauf un musicien conservateur –, c’était de le questionner en y ajoutant notre culture de ces instruments et notre son. Les puristes et le public plus aventureux peuvent s’y retrouver à différents endroits. Chacun fait un bout de chemin vers l'inconnu, et c'est ce qui me passionne. Nous les emmenons vers des contrées surprenantes.
Que gardez-vous de vos concerts au Guatemala, au Honduras, au Salvador, au Mexique ?
Notre tournée a commencé très fort, avec l’ouverture du Festival Eurojazz à Mexico devant 5 000 personnes. Le public était extrêmement réceptif et nous avons vendu à l’issue du concert quasiment tout le stock de disques que nous avions emporté pour la tournée, qui devait durer trois semaines. À cause du Covid, et malgré quelques concerts, la suite a été plus compliquée… Ce qui ne nous a pas empêchés de vivre des moments merveilleux, comme ce concert pirate que nous avons improvisé sur les bords du Rio Dulce au Guatemala. Et puis nous sommes partis en catastrophe juste avant la fermeture des frontières, laissant même derrière nous quelques habits oubliés au fond d’une machine à laver !
Quelle est la place du jazz dans ces pays ?
En Amérique centrale, encore plus qu’en Europe et en France, le jazz est une musique de niche. Le public est souvent très surpris de la manière dont nous nous en emparons. J’avais déjà fait une tournée en Amérique centrale il y a trois ans, et j’ai retrouvé cette fois-ci les mêmes sensations, surtout dans les pays peu ouverts sur le reste du monde, comme le Honduras ou le Salvador, où le public est d’autant plus curieux et enthousiaste. Ce qui est intéressant avec ces tournées en lien avec les Alliances françaises, c’est le lien privilégié qu’elles développent avec les musiciens locaux, les étudiants et les enfants. On échange, on essaie de comprendre comment la musique se vit à tel ou tel endroit.
La crise sanitaire actuelle vous pousse-t-elle à repenser votre pratique ?
Les tournées impersonnelles où l’on passe d’hôtel anonyme en hôtel anonyme n’ont plus trop de sens pour moi. Je m’intéresse beaucoup au slow touring qui, en plus d’éviter l’avion, diversifie les lieux de diffusion : théâtres, musées, concerts en appartements, petites jauges… J’aurai l'occasion prochainement de vivre cette expérience avec Velvet Revolution, le trio mené par Daniel Erdmann, saxophoniste berlinois établi en France, lors d’une tournée en Finlande en décembre 2020. Une organisation inédite que l’on doit au tourneur Charles Gil, qui s’est spécialisé dans ces nouvelles formes de tournées.
Quels sont vos prochains projets ?
En septembre 2019, j’ai eu la chance de passer 10 jours en Éthiopie, à Addis-Abeba pour « Kutu », un projet lié à la musique traditionnelle Azmari. Je devrais y retourner en novembre prochain pour finaliser la création et répéter avec les chanteuses. On prévoit une tournée en France en mars et avril 2021, puis à l'automne 2021 en Afrique de l'Est. Une nouvelle aventure !
La tournée de Théo Ceccaldi en Amérique centrale au mois de mars 2020 a bénéficié du soutien du programme IFTournées.