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Thierno Souleymane Diallo nous présente son premier long-métrage « Au cimetière de la pellicule »

Il est nécessaire qu'un système soit créé pour que la nouvelle génération puisse accéder à son patrimoine culturel et s'en inspirer pour faire d'autres films.

Réalisateur, scénariste et producteur, Thierno Souleymane Diallo s'interroge sur l'histoire de son pays, la Guinée, à travers ses films. Son premier long métrage « Au cimetière de la pellicule », notamment développé avec le soutien de l’Aide aux cinémas du monde en 2019, évoque un nécessaire travail de mémoire, il raconte ses recherches sur « Mouramani » de Mamadou Touré et l'importante question de la préservation des films. 

Publié le 10/11/2022

5 min

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Thierno Souleymane Diallo
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Pouvez-vous revenir sur votre parcours de cinéaste ? Comment avez-vous découvert le cinéma et quelles sont vos inspirations ?

À l'âge de 10 ans, j'ai découvert le cinéma dans une salle obscure et j'ai été fasciné par ces images, présentées sur un grand écran. Je me rappelle avoir commencé à sécher les cours pour aller voir des films. J'ai ensuite continué mes études, mais j'ai, tout d'abord, fait de la musique. À l'université, je me suis orienté vers une école d'art, où j'ai pu choisir entre la musique, le cinéma, l'art dramatique et les Beaux-Arts. J'ai choisi le cinéma car, pour moi, c'était un art beaucoup plus complet sur mes envies de dire et de montrer les choses. C'est comme ça que j'ai intégré l'Institut Supérieur des Arts de Guinée et obtenu une licence en cinéma, puis un Master 1 en réalisation documentaire de création, ainsi qu'un Master 2. J'ai beaucoup été bercé par le cinéma indien, puis américain, mais mon inspiration vient du cinéma mondial, notamment des réalisateurs tels qu'Abdherramane Sissako, Souleymane Cissé et Cheik Fantamady Camara.

 

Vous vous êtes spécialisé dans la réalisation de documentaires. Comment choisissez-vous les thématiques que vous traitez ?

Au départ, je ne choisis pas des thématiques, mais plutôt des histoires qui me parlent, qui sont autour de moi. Je parle toujours de moi pour aller vers l'autre. Je sélectionne souvent des histoires qui me traumatisent : quand l'histoire me touche et que j'ai une place dans cette histoire, je décide de la mettre en scène pour la raconter au reste du Monde. C'est vraiment le récit qui s'impose à moi, en fonction des pensées, des traumatismes, mais aussi des questions afin de comprendre pourquoi les choses se déroulent de cette manière et pas autrement. À partir de cela, j'essaie de savoir comment on en est arrivé là et je tente d'en faire un film.

 

Début septembre, vous avez reçu le Prix coup de cœur de la Cinémathèque Afrique de l'Institut français, lors de Final Cut in Venice durant la Mostra de Venise, pour « Au cimetière de la pellicule ». Vous terminez actuellement la post-production de ce premier long métrage documentaire. De quelle manière est né ce projet ?

Lors de mon master 1 à Niamey au Niger, j'ai découvert que le premier film d'Afrique francophone noire était « Mouramani ». Je me suis alors posé des questions et j'ai entrepris des recherches sur ce court métrage. Je n'ai pas trouvé immédiatement de réponses car tout le monde parlait du film, mais personne ne l'avait jamais vu. Après j’ai rencontré Jeanne Cousin, qui travaillait sur un projet de cinéma en Guinée.  J’ai peu à peu compris qu'il me fallait chercher, autour du film, une approche créative, plus centrée sur mon parcours. Le projet évoque donc ce qu'est le cinéma pour moi et qu'est-ce que le cinéma en Guinée, mais aussi, plus généralement, le cinéma tout court. L'idée était, au final, d'aller à la recherche du film « Mouramani », tout en enquêtant sur ce qui fut le cinéma en Guinée, mais aussi ce que sont devenus les réalisateurs et les films.

 

« Au cimetière de la pellicule » a notamment reçu le soutien de l'Aide aux cinémas du monde, cogérée par l'Institut français et le CNC, en 2019. Trouver des partenaires et des financements est-il l'étape la plus difficile pour un jeune cinéaste ?

Bien sûr, d'autant plus que je vis dans un pays où il n'y a pas d'argent pour faire des films. Trouver des partenaires qui vont permettre de réaliser des rêves ou des idées reste très complexe dans un pays comme la Guinée ou un continent tel que l'Afrique. Avoir été sélectionné pour obtenir un financement de l'Aide aux cinémas du monde, c'est du haut niveau. Comme j'aime souvent le dire, c'est l'une des rares portes ouvertes pour accéder au cinéma. Au départ, plusieurs personnes pensaient que nous n'aurions jamais l'Aide aux cinémas du monde, mais j'étais confiant et je me disais qu'il fallait tenter sa chance. Un film, c'est une industrie pour laquelle beaucoup de partenaires travaillent donc, sans moyens, c'est encore plus compliqué.

Nos histoires se trouvent dans ces films, notre mémoire également.

Comme vous nous le disiez, avec « Au cimetière de la pellicule » vous partez à la recherche de « Mouramani » de Mamadou Touré, un film disparu qui a été tourné en 1953. Vous remettez ainsi en question la croyance qu'« Afrique sur Seine », réalisé par Paulin Soumanou Vieyra, Jacques Mélo Kane et Mamadou Sarr à Paris en 1955 serait le premier film d'Afrique subsaharienne. Pourriez-vous nous en dire plus sur vos connaissances à propos de « Mouramani » et notamment les conditions de tournage à l'époque ?

Avant de commencer ce film, « Mouramani » était perçu comme une sorte de mythe dans mon pays. Personne n'était capable de dire ce qu'il était, ni ce dont il parlait. Lors de mes recherches, j'ai trouvé deux résumés totalement différents : l'un, français, qui expliquait que « Mouramani » évoquait l'islamisation du peuple Mandinka, et une version anglaise, qui résumait le film par la relation entre un chien et son maître. J'ai ensuite retrouvé un monsieur qui m'a confirmé être certain que le film de Mamadou Touré parlait bien d'une relation entre un chien et son maître. J'ai également trouvé qu'il y avait trois personnages dans ce film et qu'il avait été tourné à Paris au Bois de Vincennes. En fouillant, j'ai finalement découvert que Mamadou Touré, son réalisateur, était un jeune de 23 ans, étudiant à Paris, qui avait l'ambition de faire un cinéma complètement noir, joué par des Noirs, filmé par des Noirs.

 

La question de la préservation des films est donc au cœur de ce projet. Imaginez-vous de nouvelles solutions à mettre en place pour sauvegarder le patrimoine cinématographique africain ?

De façon personnelle, il est difficile d'avoir une véritable action puisqu'il s'agit d'une volonté politique et institutionnelle. Il faut que des démarches soient engagées au niveau de nos états afin de pouvoir récupérer certains films conservés en France, numérisés ou non, mais aussi les archiver dans nos pays. Par exemple, la Cinémathèque Afrique de l'Institut français a beaucoup de films guinéens numérisés ou pas, mais ils doivent être vus en Guinée par l'intermédiaire des médiathèques et des cinémathèques. Nos histoires se trouvent dans ces films, notre mémoire également. Il est nécessaire qu'un système soit créé pour que la nouvelle génération puisse accéder à son patrimoine culturel et s'en inspirer pour faire d'autres films.

 

Quelles sont vos perspectives pour vos prochains films ? Avez-vous déjà des idées de thématiques à aborder ?

Dans un premier temps, je voudrais montrer ce film partout dans le monde, mais surtout en Guinée. J'aimerais le présenter dans des écoles, dans la communauté, dans tous les endroits où il y a une demande. Je suis très conscient que l'on connaît mal l'histoire récente de la Guinée. On a notamment l'impression que notre histoire s'arrête en 1958 avec l'indépendance et, de cette date à nos jours, les choses restent méconnues. Cela me donne envie de travailler sur des histoires de mémoire récentes de la Guinée afin de tracer un sillon, pour la nouvelle génération, dans lequel on pourra se mirer et voir ce que va devenir ce pays demain. En parallèle, je viens également de rencontrer des jeunes qui ont le même âge que moi et qui ambitionnent de travailler sur des projets de sensibilisation. Il y a de la violence dans nos quartiers, entre l'État et les jeunes, et les jeunes comprennent progressivement qu'il faut se préoccuper de l'avenir de nos enfants. Je réfléchis donc, avec eux, à un projet de film sur ce sujet.

L'Institut français

Thierno Souleymane Diallo a bénéficié du soutien de l'Aide aux Cinémas du monde en 2019. 

Cogérée par l'Institut français et le CNC, l'Aide aux cinémas du monde apporte son soutien à des cinéastes étrangers sur des projets de films en coproduction avec la France, qu’il s’agisse de longs métrages de fiction, d’animation ou de documentaires de création. 

En savoir + sur l’Aide aux cinémas du monde 

L'institut français, LAB