Victoire Bidegain di Rosa & Manuela Júdice
Attendue en 2022, la Saison France-Portugal réunira à partir du 12 février des artistes, penseurs et scientifiques issus des deux pays autour de thématiques communes. Cette saison, qui s'inscrit dans la continuité des présidences portugaise et française du Conseil de l’Union européenne (présidence tournante exercée par le Portugal au 1er semestre 2021 et par la France au 1er semestre 2022), est l’occasion de partager ses espoirs en termes d’innovation et d’inclusion ou encore de repenser l’urgence écologique. À quelques mois des festivités, rencontre avec Victoire Bidegain di Rosa, commissaire générale pour la partie française, et Manuela Júdice, commissaire générale pour la partie portugaise.
Mis à jour le 09/05/2022
10 min
Quels sont les enjeux d’une Saison, et pourquoi commencera-t-elle en février 2022 ?
Victoire Bidegain di Rosa : Une Saison, c’est un exercice d’amitié entre deux pays, l’occasion de mettre en avant l’excellence dans tous les domaines des arts, du spectacle vivant, de la science, du sport, de la gastronomie ou encore de l’économie. Mais dans le cas particulier d’une saison croisée, et compte tenu de la proximité avec le Portugal, nous avons également profité de cette occasion pour construire ensemble des projets sur des sujets qui nous tiennent à cœur, comme l’égalité Femmes-Hommes, l’inclusion et la diversité, mais aussi l’océan. Une frontière commune qui contient à la fois tous les symptômes du réchauffement climatique, mais peut-être aussi les solutions. C’est beaucoup plus qu’une vitrine artistique !
Manuela Júdice : Organiser une Saison, c’est aussi une opération politique. La saison devait s’intégrer entre les deux présidences, portugaise puis française, du Conseil de l'Union européenne (la présidence portugaise s’est terminée en juillet 2021). C’est la pandémie qui a fait reporter l’ouverture de la Saison à 2022, pendant la Présidence Française de l’Union européenne.
Quel est votre rôle en tant que commissaires dans le cadre de cette Saison ?
Victoire Bidegain di Rosa : Le rôle de commissaire est à mon sens de donner une identité particulière à cette saison. Elle doit être le reflet de la relation, mais aussi des projets que la France et le Portugal veulent défendre pour l’avenir de l’Europe.
Manuela Júdice : Selon moi, le commissaire est un provocateur. Quelqu’un qui va vers les institutions culturelles, sociales ou scientifiques pour susciter l’envie d’échanger et de construire des projets dans différents domaines.
Victoire Bidegain di Rosa : Le Président de la Saison, Emmanuel Demarcy-Mota défend souvent l’idée que nous sommes “ensemble” et formons “une seule équipe”. Pour le cas d’une saison croisée, c’est “penser en double”. Cela oblige souvent à se mettre à la place de l’autre, à réfléchir à nos deux pays comme s’ils formaient un seul territoire. Avec Manuela, nous choisissons chaque détail ensemble, c’est un travail collectif.
Quelles sont vos ambitions pour cette Saison ?
Manuela Júdice : Pour nous, ce qui est important, c’est de laisser une marque, de donner envie de continuer à travailler, penser et construire ensemble. J’aimerais mettre à l’honneur les scientifiques et les artistes portugais, ainsi que le riche patrimoine culturel et gastronomique du Portugal. À l’inverse, j’aimerais que les Portugais comprennent que la France ne doit pas être réduite aux seuls atouts touristiques de Paris, qu’il y a beaucoup d’autres choses à voir, à discuter, à comprendre, à mettre en valeur…
Victoire Bidegain di Rosa : J’aimerais aussi que la Saison permette aux deux jeunesses de se rencontrer, qu’elles apprennent à se connaître et partagent leurs ambitions et espoirs communs.
Le lien entre la France et le Portugal est particulièrement fort, comment l’expliquez-vous ?
Manuela Júdice : Il y a d’abord une racine historique. La France a été, dans les années 1960 et 1970, un lieu d’accueil pour les Portugais qui cherchaient une vie meilleure et pour les opposants au régime de Salazar et Caetano. Après la révolution des Oeillets, nous avons vu des vagues de jeunes Français et des intellectuels curieux venir observer cette révolution “qui ne fait pas couler le sang” au Portugal.
Si la liaison entre les deux pays s’est un peu perdue avec l’entrée dans l’Union européenne, ces dix dernières années les choses ont évolué. On croise de nombreuses boulangeries et fromageries françaises un peu partout au Portugal ! Dans les milieux artistiques portugais, on s’intéresse aussi de plus en plus à la France.
Victoire Bidegain di Rosa : Le lien est ancien et aussi profondément ancré dans nos territoires. Toutes les villes moyennes françaises comptent au moins un bon restaurant portugais ou une association culturelle ou sportive portugaise.
Enfin, il ne faut pas oublier que France doit beaucoup aux Portugais. Ils ont largement contribué, par leur force de travail, au développement économique et à la construction des infrastructures de l’Hexagone.
Quel regard portent les Français sur la culture portugaise ? Et les Portugais sur la culture française ?
Victoire Bidegain di Rosa : Nous n’avons pas les mêmes objectifs avec cette saison. Le Portugal est très attractif d’un point de vue touristique, mais avec la Saison nous voulons montrer qu’il n’y a pas que les plages, que le Portugal est aussi une réserve incroyable de talents dans de nombreux domaines. La France, quant à elle, a une image plus patrimoniale, plus traditionnelle. La Saison permettra de changer le regard que les Portugais portent sur la France, de leur faire découvrir la modernité, la jeunesse française. Nous allons casser les préjugés !
Les projets proposés devaient répondre à certains critères et entrer dans différents thèmes (égalité de genre / parité, développement durable / océan, diversité et inclusion). Comment avez-vous choisi ces angles ?
Victoire Bidegain di Rosa : Nous voulions choisir des thèmes communs et éviter de faire de cette Saison qu’une simple vitrine artistique. Ce sont des thèmes qui s’invitent dans les débats des scientifiques et dans les œuvres des artistes d’aujourd’hui. Nous avons baptisé cette tonalité, “le sentiment océanique”, un fil rouge qui va marquer notre identité visuelle.
Vous avez déjà une idée de la programmation, des artistes exposés ?
Manuela Júdice : Au Portugal, nous allons organiser deux expositions O Esplendor de Gérard Fromanger (l’artiste est décédé en juin 2021) au Centre Culturel de Belém et l’Autoportrait de Nicolas Poussin au Museu Nacional de Arte Antiga à Lisbonne. Il y aura aussi la présentation d’une sélection de la collection Antoine de Galbert au Museu de Arte, Arquitectura e Tecnología (MAAT) de Lisbonne En France, nous aurons L’Arbre de Vie de la sculptrice Joana Vasconcelos à la Sainte-Chapelle de Vincennes et L’Âge d’or de la Renaissance portugaise au Louvre. Deux forums auront également lieu au mois de mars 2022, un sur les océans et un autre sur la parité. Il y aura des événements à Lisbonne, mais aussi à Porto, Coimbra, Guimarāes... En France, nous irons à Paris et également à Lyon, à Clermont-Ferrand et à Marseille.
Victoire Bidegain di Rosa : À Tours par exemple, il y aura une grande exposition de femmes artistes portugaises, à la Villa Tamaris à Hyères un panorama de la jeune photographie portugaise et une grande exposition de l’artiste photographe Manuela Marques au domaine de Kerguehennec en Bretagne.
Manuela Júdice : Nous avons déjà plus d’une centaine de projets approuvés. La difficulté, ce sera d’être partout !
Comment la programmation s’articulera-t-elle entre les deux pays, sur deux territoires différents ? Comment les œuvres et les artistes vont-ils dialoguer, notamment en cette période encore mouvementée ?
Manuela Júdice : Le dialogue a déjà commencé ! Les artistes s’invitent les uns chez les autres. Il y a également des résidences… Nous aurons des programmes entièrement croisés, comme la présentation du festival portugais d’art urbain Iminente à Marseille ou encore l’invitation du festival de textiles FITE de Lyon au festival Contextile de Guimarães.
Victoire Bidegain di Rosa : La Saison s’est construite dans une période exceptionnelle, pendant laquelle tous les acteurs culturels ou scientifiques de nos deux pays ont été très affectés, les calendriers chamboulés. Mais, même au pire de la crise, les artistes, les scientifiques, les villes, les théâtres, les bibliothèques, les professeurs, n’ont jamais cessé de préparer des projets, de recommencer à zéro, de dialoguer coûte que coûte avec leurs partenaires, de préparer l’après avec l’espoir que la Saison permette des retrouvailles.
Décidée en juillet 2018 par le Président de la République française et le Premier ministre portugais, M. António Costa, lors de la visite officielle de M. Emmanuel Macron à Lisbonne, la Saison France-Portugal se tiendra simultanément dans les deux pays entre mi-février et octobre 2022.
La mise en œuvre de la Saison France-Portugal a été confiée, pour la partie française, à l’Institut français, opérateur du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et du ministère de la Culture pour la politique culturelle extérieure de la France.
La Saison France-Portugal s'inscrit dans la continuité des présidences portugaise et française de l’Union européenne.
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