Eric Minh Cuong Castaing signe une collaboration avec le collectif ougandais Waka Starz
Publié le 12 juin 2023
Eric Minh Cuong Castaing et sa compagnie Shonen signent Waka👁, en collaboration avec le collectif ougandais Waka Starz. Un spectacle qui ouvre, grâce à la visioconférence, une fenêtre entre deux mondes qui entrent en dialogue par l’intermédiaire du chant et de la danse. Pour développer ce projet, Eric Minh Cuong Castaing s’est rendu en résidence en Ouganda, avec le soutien de l’Institut français – Danse Export.
Il a également été lauréat de la Villa Kujoyama, en duo avec Anne-Sophie Turion. Cette année, ils présenteront Hiku, le spectacle créé durant leur résidence au Japon, durant le Festival d'Automne à Paris.
Dans Waka👁️, il y a différents types d’images qui interviennent sur scènes, des films mixant kung fu, effets manga et satires politiques, des tutoriels musicaux réalisés en direct inspirés de TikTok.
Pourriez-vous nous parler de votre parcours, qui mêle cinéma, numérique et danse ?
Eric Minh Cuong Castaing : Basé à Marseille, je suis chorégraphe, artiste visuel, et directeur artistique de la compagnie Shonen, que j’ai fondée en 2008. J’ai d’abord commencé par travailler pendant dix ans dans le cinéma d’animation, tout en pratiquant la danse hip-hop. Je suis né dans le 93, et j’ai pratiqué cette danse de manière empirique dans des lieux non-consacrés comme des gares, des gymnases, toujours à travers une certaine idée de la relation à l’autre par la danse : tu me donnes un geste et je te réponds. J’ai ensuite rencontré des danses contemporaines, comme la danse-contact et la danse butô. J’ai ensuite décidé de croiser ces deux pratiques, notamment en réfléchissant au rapport entre la scène et les technologies, à l’aide de robots humanoïdes, de drones, d’installations vidéo. Le deuxième aspect important de ma compagnie aujourd’hui ce sont les pratiques in situ in socius, qui nous amènent à travailler avec des institutions en dehors du monde de l’art, comme des laboratoires de recherche, des hôpitaux, des instituts médico-éducatifs, des ONGs, ou tout simplement des artistes dont la pratique s’inscrit en dehors de nos modes de fonctionnement classiques. Ce sont souvent des cycles longs, d’environ trois ans par projet.
La première de votre prochain spectacle, Waka👁️, aura lieu au Théâtre de la Criée, à Marseille, le 23 juin prochain. C’est un « double-spectacle » qui va se dérouler en même temps en France et en Ouganda. Pouvez-vous nous en dire plus ?
« Waka », qui signifie maison en luganda sera associé à chaque fois au nom du théâtre où le spectacle sera joué. L’idée étant que les membres du collectif ougandais Waka Starz, originaires de la banlieue de Kampala, vont s’emparer de notre théâtre par le biais de la visioconférence. La chanteuse Rachael M. sera présente sur scène en France et interagira ainsi avec les autres membres du collectif, en ouvrant une fenêtre vers leur lieu de création musical et cinématographique.
Comment avez-vous découvert Rachael M. et les Waka Starz ? Pouvez-vous nous raconter leur parcours si atypique, et nous parler de la relation de travail que vous avez établie avec eux ?
C’est notre dramaturge, Marine Relinger, qui avait entendu parler d’eux à travers le père de cette fratrie, Isaac Nabwana, qui a le studio de cinéma Wakaliwood, et qui avait notamment exposé son travail au Palais de Tokyo et à la Documenta de Kassel. Ses enfants forment une nouvelle génération d’artistes qui sont baptisés les Waka Starz. Je les ai appelés il y a trois ans pour leur proposer une visioconférence, et quand nous nous sommes connectés, tout un village nous a fait un concert qui a ensuite donné lieu à une battle de danse entre eux et nous. Cette profusion de mouvements, cette relation qui se crée à distance était très émouvante, et soulevait aussi la question de la distance qui existe entre nos deux mondes. Tout cela faisait donc sujet. Cette création a ensuite évolué, et aujourd’hui c’est un seul en scène de Rachael M. qui se connecte à ses frères et sœurs.
Les Waka Starz sont ouverts sur beaucoup de pratiques, comme le kung-fu ou le yoga, et font preuve d’une véritable capacité à s’approprier différents genres, à les transformer.
La dimension communautaire est très présente dans ce projet, à travers l’importance accordée à la fratrie, à la famille, au village. Comment avez-vous abordé cet aspect, vous qui venez de l’extérieur ?
Les Waka Starz ont l’habitude de travailler avec des artistes occidentaux. Leur père invite parfois des touristes blancs à tourner des films qui sont des remakes de séries B en forme de satire politique. Ses enfants ont déjà beaucoup voyagé, donc même si nous venons d’univers différents il existe une compréhension mutuelle des enjeux liés à la création contemporaine. Ils ont ainsi conscience de ce que leur pratique peut produire face à un public qui est différent du leur. Il y a eu également de ma part une véritable immersion dans leur pratique, pour comprendre le sens artistique de leurs chansons, de leurs films, avec beaucoup d'échanges pour qu’ils m’expliquent le rôle de chaque membre de la famille, le sens de chaque parole, etc. Les Waka Starz sont ouverts sur beaucoup de pratiques, comme le kung-fu ou le yoga, et font preuve d’une véritable capacité à s’approprier différents genres, à les transformer. Il a donc fallu trouver des échos, des points d’entente qui nous permettraient d’aboutir à un processus de travail et de répétitions à distance. J’ai également travaillé avec Rachael au plateau quand elle venait en France.
Vous êtes parti en résidence en Ouganda, avec le soutien de l’Institut français - Danse Export. Comment ce séjour a-t-il nourri le spectacle ?
Il était important de se rencontrer physiquement, contrairement à certains projets où je n’ai jamais pu me rendre sur place, par exemple à Gaza. On a pu danser ensemble, j’ai pu apprécier leur cycle de travail et visiter leur salle de cinéma, leur studio de montage. Je leur ai aussi présenté mon travail, où la fiction cinématographique se mêle à la danse, où je montre des corps et des espaces invisibilisés, pour essayer de voir comment cela pouvait résonner avec leur univers et avec leurs préoccupations politiques. La dénonciation de l’oppression qu’ils subissent chez eux, qu’il s’agisse par exemple de violence sur les enfants ou sur les femmes, est une composante importante de leur identité.
Votre pratique interroge aussi depuis longtemps la façon dont les nouvelles technologies changent notre rapport aux corps, à la perception. Est-ce que cet aspect sera également présent dans Waka👁️ ?
Chaque dispositif crée des modes de perception différents et des espaces d’autorisations formels singuliers. En ce moment, je travaille par exemple avec des robots de téléprésence sur un projet au Japon avec Anne-Sophie Turion, en collaboration avec des hikikomori qui interagissent depuis leur chambre. Ces personnes, qui vivent des formes d’empêchement social, peuvent ainsi circuler et agir par l’intermédiaire des robots, qui projettent de l'anthropomorphisme et favorisent un glissement entre l’humain et le non-humain. Tout cela crée des ambiguïtés et ouvre une réflexion sur ce qui peut remplacer le vivant sur la scène. Dans Waka👁️, il y a différents types d’images qui interviennent sur scènes, des films mixant kung fu, effets manga et satires politiques, des tutoriels musicaux réalisés en direct inspirés de TikTok. Tout cela permet de déconstruire un certain nombre de biais, sur ce que représentent souvent pour nous ces adolescents noirs vivant dans une réalité paupérisée ougandaise. Alors que sur scène apparait une liberté formelle rare, qui explose joyeusement nos codes et notre dispositif du théâtre occidental.
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