Penda Diouf

Publié le 15 octobre 2021

Penda Diouf
Penda Diouf © Christophe Pean

Penda Diouf est autrice de théâtre et cofondatrice du label Textes en liberté, qui favorise l’émergence de jeunes auteurs contemporains et une meilleure représentation de la diversité au théâtre. Elle fait lactualité avec Pistes, un texte de théâtre autobiographique, et Sœurs, une lecture-spectacle quelle interprète aux côtés de Marine Bachelot Nguyen et de Karima El Kharraze. 

Il est important pour moi d’aller dans des lycées partout en France, et de montrer qu’on peut être une jeune femme noire qui écrit des pièces de théâtre ou des livrets d’opéra.


Vous avez commencé à écrire et à publier très jeune, à l’âge de dix-neuf ans. Pourriez-vous revenir sur votre parcours ?

Jai commencé à écrire de la poésie vers quatorze ans : au fur et à mesure, je me suis mise à écrire des dialogues, et je me suis dit que ça ressemblait à du théâtre. Jai décidé daller au bout de ce projet et jai écrit une pièce qui sappelle Poussières, que jai envoyée à des comités de lecture. Jai alors obtenu la bourse dencouragement du Centre National du Théâtre, ce qui ma encouragée et poussée à écrire en parallèle de mes études et de mon travail de directrice de bibliothèque. Il y a deux ans, jai posé une disponibilité pour me consacrer entièrement à l’écriture. 

Revenons sur la création, en 2015, du label Jeunes textes en liberté, aux côtés dAnthony Thibault. Pourriez-vous nous partager la genèse de ce projet et son mode de fonctionnement ?

Jeunes textes en liberté a été créé à la suite dun débat sur la représentation de la diversité sur les plateaux de théâtre organisé à la Colline, qui venait clore une série dateliers consacrés à ce sujet qui s'appellent 1er acte. Le débat, modéré par Laure Adler, était assez houleux, et on ma par deux fois empêché de parler, ce qui ma heurtée. Jai senti un vrai décalage entre ce que linstitution essayait de mettre en place et le résultat dans la salle. Anthony Thibault, qui était assis à côté de moi, et que je ne connaissais pas, ma également interrompue à plusieurs reprises. Au bout dune heure passée à lever la main, je navais pas pu mexprimer. et J’étais donc très en colère, et j’ai qualifié Anthony Thibault de « blanc dominant colonialiste ». Cela lui a beaucoup déplu, mais le lendemain il ma écrit un mail très sensé en me proposant une rencontre dans un contexte moins houleux. En discutant, on sest rendu compte quon avait envie de défendre les mêmes choses : les auteurs et autrices contemporains bien sûr, mais surtout d’aborder cette question de la diversité pour que justement, la question ne se pose plus. On a donc mis en place un programme de lectures publiques, organisées autour dappels à textes. 

J’ai réfléchi à la sensation de courage dans ma vie,  et j’ai pensé à ce voyage en Namibie que j’avais fait seule il y a huit ans. (...) Je me suis donc posé la question : qu’est ce qui m’avait poussée à réaliser ce voyage ?


Votre actualité est liée à Pistes, un texte de théâtre publié en 2017 qui fait actuellement lobjet dune tournée. Pouvez-vous nous présenter cette œuvre et revenir sur la résonnance particulière du texte en Allemagne après la reconnaissance, cette année, du Génocide des Héréros et des Namas ?

Pistes est un texte issu dune commande de la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) sur le thème du courage, dans le cadre du projet Les Intrépides, qui vise à donner de la visibilité aux autrices. Cette thématique, et le fait que jallais devoir la porter au plateau à travers une lecture publique, mont donné envie d’écrire à la première personne. Jai réfléchi à la sensation de courage dans ma vie,  et jai pensé à ce voyage en Namibie que javais fait seule il y a huit ans. Pendant ce voyage, beaucoup de personnes que je rencontrais me disaient : « vous êtes une femme courageuse », sans doute parce quils n’étaient pas habitués à voir une femme noire voyager seule. Je me suis donc posé la question : quest ce qui mavait poussée à réaliser ce voyage ? Si l’élément déclencheur avait été ma découverte de la figure de Frankie Fredericks, un sprinteur namibien plusieurs fois médaillé aux Jeux Olympiques et aux championnats du monde, dans ce texte, jaborde aussi la question du génocide de 1875-1915, dont on a très peu entendu parler, même si la reconnaissance tardive de ce génocide par lAllemagne cette année en a fait reparler. Je fais dailleurs régulièrement des lectures de Pistes en Allemagne, qui est également traduit dans cette langue. Cest une histoire qui nest pas vraiment enseignée à l’école là-bas, et que beaucoup de personnes du public découvrent avec la pièce. LAllemagne a fait un énorme travail sur la Shoah, mais beaucoup moins sur la colonisation, même si ce débat commence à émerger dans la société allemande. 

Pistes a fait lobjet de lectures en public, notamment dans le réseau culturel français à l’étranger, mais est également interprétée sur scène par la comédienne Nanyadji Kagara. Est-ce important pour vous quun texte se déploie à travers plusieurs formes différentes ?

Effectivement, Pistes a connu beaucoup de formes : la première avec Aristide Tarnagda, où j’étais linterprète ; une deuxième avec Nanyadji Kagara ; une troisième à Berlin, avec une comédienne et un comédien allemands ; une quatrième mise au point par ma traductrice vers lallemand, Anne Bühler-Dietrich ; et enfin une cinquième qui va être créée au Théâtre Auditorium de Poitiers au mois de mars. Il sagit dune lecture musicale que je vais interpréter avec le musicien et romancier Blick Bassy, qui travaille beaucoup autour de la colonisation. Tout cela fait sens pour moi : lidée est de toucher des publics différents, dans différents endroits, avec différentes sensibilités.   


© LE TAP


Vous êtes en ce moment sur scène dans le cadre de Sœurs, une lecture-spectacle aux côtés des autrices de théâtre Marine Bachelot Nguyen et Karima El Kharraze.

Il sagit dune commande de la Compagnie Lumière d'août, qui regroupe des auteurs et autrices à Rennes. Marine Bachelot Nguyen, qui en fait partie, a participé à une des dernières éditions des Intrépides, dont le thème était « basta ». Elle a écrit un texte sur lhistoire des femmes de sa famille. Un festival lui a demandé den faire une version longue, mais elle a préféré nous proposer, à Karima El Kharraze et à moi, d’écrire aussi sur ce sujet et de partager la scène avec elle. Il y a beaucoup d’échos entre nos trois textes : nous sommes trois femmes du même âge, trois enfants de la colonisation avec un important engagement féministe. 

Vous aimez les immersions, la proximité avec des publics pour qui la culture nest pas une évidence. Quest-ce que ces nouvelles générations vous inspirent dans le rapport que vous avez à l’écriture ?

Jai commencé ma carrière en tant que bibliothécaire, en proximité directe avec le public. Il est important pour moi daller dans des lycées partout en France, et de montrer quon peut être une jeune femme noire qui écrit des pièces de théâtre ou des livrets dopéra. Cela peut peut-être ouvrir des perspectives pour des jeunes filles qui rêvent et qui nosent pas, qui pensent que ce nest pas pour elle. Cela mapporte aussi beaucoup, parce quils et elles sont autrement ancrés dans leur réalité : je nai plus quinze ans, et ce que cette génération vit est différent de ce que jai vécu. Il est important quils puissent sexprimer et raconter leur monde comme ils le vivent.   

L'Institut français et l'autrice

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L'Institut français accompagne le projet Pistes de l'autrice Penda Diouf. 

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