Les « Lieux Infinis » d’Encore heureux à la Biennale de Venise
Pour la 16e biennale d’architecture de Venise, l’agence Encore heureux a choisi de présenter dix « Lieux Infinis » : des lieux qui se transforment, se réinventent et offrent des espaces d’échange. La Belle de mai à Marseille ou le Tri postal à Avignon comptent parmi ces lieux expérimentant de nouveaux modes de vie et de partage. Visite guidée.
Mis à jour le 26/02/2019
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« Des lieux pionniers qui explorent et expérimentent des processus collectifs pour habiter le monde et construire des communs. Des lieux ouverts, possibles, non-finis, qui instaurent des espaces de liberté où se cherchent des alternatives. Des lieux difficiles à définir car leur caractère principal est l’ouverture sur l’imprévu pour construire sans fin le possible à venir. » C’est ainsi que les trois architectes de l’agence Encore heureux, Nicola Delon, Julien Choppin et Sébastien Eymard, présentent leurs « Lieux infinis », exposés jusqu’au 28 novembre 2018 au sein du Pavillon français de la Biennale d’architecture de Venise, en réponse à la thématique de cette 16eédition : « Freespace ».
« Faire des lieux »
Du 6B à Saint-Denis à l’Hôtel Pasteur de Rennes, ces lieux infinis expérimentent toutes sortes de transition, qu’elle soit écologique, politique ou sociale. Ouverts aux transformations et aux modulations, ils se veulent également accueillants pour tous. Parmi eux, on trouve des lieux de culture, comme la Friche la Belle-de-Mai, ancienne usine de cigarettes devenue centre culturel à Marseille, ou le Centquatre-Paris, autrefois pompes funèbres, qui ouvre ses halles centrales à des pratiques libres (jongleurs, danseurs, comédiens, performeurs…). Mais aussi des lieux d’hospitalité pour les SDF ou les demandeurs d’asile, comme l’ancien Tri Postald’Avignon, devenu centre d’hébergement mixte, ou Les Grands Voisins à Paris, maternité parisienne désaffectée et transformée en quartier temporaire, qui fait coexister actions sociales, artistiques et économiques.
Tous ces « Lieux Infinis » s’inscrivent dans la réflexion architecturale de la Biennale, par leur volonté de réhabiliter ou de prolonger la vie d’un bâtiment presque toujours hors d’usage. Transformation de friches, de lieux délaissés, squats devenant peu à peu des institutions, ces lieux sont « in-finis » : ils prolongent leur existence, se transforment et évoluent en fonction des besoins et des désirs de ceux qui les investissent, les habitent. Pour Nicola Delon, Julien Choppin et Sébastien Eymard, l’architecte « ne se limite pas à construire des bâtiments mais cherche également à faire des lieux ».
Exposer le sensible
Le Pavillon français a lui-même été pensé comme un espace ouvert, hospitalier, en mouvement. Il a été transformé en un « pavillon-monde », associant exposition, paroles et rencontres. Dans l’espace central du Pavillon, les maquettes des dix « Lieux Infinis » sont présentées au milieu d’un « cabinet de curiosités », composé de fragments exposés, éléments choisis, objets prélevés, matériaux accrochés aux murs comme des petits bouts d’espaces qui auraient voyagé de la France à Venise, emportant avec eux un peu de l’âme des lieux : instruments de musique, chaise longue, brouette, costumes, etc. Ces petites madeleines de Proust architecturales sont accompagnées de 32 témoignages de ceux qui les habitent et les font vivre, illustrés de dessins réalisés par le dessinateur Jochen Gerner.
Les habitants des dix « Lieux Infinis » sont par ailleurs invités à Venise le temps de la Biennale pour y créer des événements et restituer un peu de leur vie et de leurs activités. Ainsi de La Ferme du Bonheur, zone franche associative située sur le flanc de l’Université Paris-X Nanterre, qui déplace ses équipes et« son terreau urbain fertile » à Venise pour rencontrer « le vivant local », entre agriculture écologique et poésie, ou des 30 habitants de La Convention, habitat partagé et auto-réhabilité à Auch, qui viennent à bord de leur « van solidaire » pour partager avec les Vénitiens leur expérience autour du vivre-ensemble à travers conférences, ateliers et chantier partagé.
Seconde vie pour le « Studio Venezia » de Xavier Veilhan
Pour la scénographie de ces Lieux Infinis, Encore Heureux a appliqué les principes mêmes d’une occupation temporaire et du recyclage de matériaux. Les panneaux de bois ont été récupérés du Studio Venezia de Xavier Veilhan, qui a occupé le Pavillon français de mai à novembre 2017 pour la Biennale d’art de Venise.
Car le réemploi des matériaux fait partie de l’ADN de l’agence : en 2014, Julien Choppin et Nicola Delon avaient été commissaires de l’exposition « Matière Grise – Matériau / Réemploi / Architecture », présentant au Pavillon de l’Arsenal à Paris 75 projets qui ont permis, de donner une seconde vie à des matériaux usés, en ayant recours à l’intelligence collective et la matière grise, plutôt qu’à de nouvelles matières premières. En 2015, à l’occasion de la COP21, l’agence avait réalisé, pour le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris, un « Pavillon circulaire », qui n’avait rien de rond mais dont le nom illustrait simplement le processus de fabrication, suivant les principes de l’économie circulaire. Dernièrement, Encore Heureux a conçu les « Ateliers Medicis », structure éphémère et démontable, en bois et toile, située à la frontière entre Clichy-sous-Bois et Montfermeil, en préfiguration de la future la Villa Médicis, annoncée pour 2024, qui sera un « lieu de résidence pour les artistes des banlieues du monde ».
Composée d’une vingtaine d’architectes, l’agence Encore heureux est aujourd’hui installée au Centquatre-Paris, un des dix « Lieux infinis » qu’elle a présentés à Venise. Une preuve supplémentaire que l’architecture peut déplacer, sinon des montagnes, au moins des bâtiments historiques.
Avec « Lieux Infinis », Encore Heureux représente la France à la 16e Biennale d’architecture de Venise, en 2018.
Le Pavillon français des Biennales internationales d’art et d’architecture de Venise est mis en œuvre par l’Institut français. En 2017, le Pavillon français avait accueilli Studio Venezia, de Xavier Veilhan.