Bady Dalloul
Né à Paris en 1986, l’artiste Franco-Syrien Bady Dalloul est le premier, et pour l’instant seul, artiste à avoir pu rejoindre la Villa Kujoyama, au Japon, pour y effectuer une résidence en 2021. Son travail s’articule autour d’un groupe de Syriens installés au Japon et s’intitule Mon Pays imaginaire.
Mis à jour le 09/05/2022
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Vous êtes lauréat 2021 du programme de résidences de l'Institut français à la Villa Kujoyama. Que représente pour vous cette résidence ?
C’est une grande opportunité pour moi de pouvoir faire mes recherches dans des conditions aussi exceptionnelles et sur une durée aussi confortable de quatre mois. Le fait de collaborer avec l’équipe de la Villa me permet de rencontrer des personnes rares et inspirantes. Mais aussi de peaufiner mon projet sur place, de mieux le comprendre au fil du séjour.
Vous êtes le seul artiste à avoir pu vous rendre en résidence au Japon. Comment s’est passée votre arrivée ?
Comme beaucoup de personnes, je n’avais pas eu l’occasion de voyager depuis le début de la pandémie. Découvrir un aéroport dans ce contexte, c’est très étrange, la notion de voyage en elle-même est très étrange. À notre arrivée, nous sommes emmenés de l’aéroport directement à notre lieu de résidence pour notre quatorzaine, sans distraction possible. Cette période tombe à pic parce qu’elle permet de se recentrer et de prendre toutes les dispositions nécessaires pour mener à bien son projet et le mettre sur de bons rails avant que la résidence ne commence. C’est comme une antichambre.
Pourquoi avoir appelé votre projet Mon Pays imaginaire ? Que souhaitez-vous raconter ?
Dans ce pays imaginaire, il y a une part que j’imagine, qui est dans ma tête, et une autre qui est à découvrir. Je vais faire un film sur l’arrivée de différentes personnes d’héritage levantin (Liban, Syrie, Jordanie, Palestine et Irak). Ces personnes, qui ont le même héritage que moi, ont fait le choix de venir vivre au Japon. C’est par leur point de vue que j’aimerais imaginer comment on peut recommencer sa vie au Japon.
Il y a peu d’étrangers au Japon. Je voudrais comprendre si leur histoire de migration est exceptionnelle ou s’ils la partagent avec d’autres personnes. Et si historiquement au Japon, il y a eu des migrations notables.
Pour réaliser vos œuvres, vous utilisez différents médiums : l’écriture, le dessin, la vidéo… Quels matériaux avez-vous décidé de travailler pendant cette résidence
On parle de migration, d’étrangers, de distance aussi. On pourrait développer ces notions à travers des documentaires de plusieurs heures. Le fait de réaliser un film va me permettre de recueillir le témoignage de ces personnes avec une approche moins explicative et plus visuelle. Faire un film permet de dire les choses sans être trop direct. Il y aura aussi du dessin et de l’écriture.
Quelle est la part autobiographique de cette proposition ?
Mes parents sont arrivés à Paris pour leurs études dans les années 1980. Je suis né à Paris en 1986. C’est une expérience personnelle que je retrouve chez les personnes que je rencontre au Japon. Comme une sorte d’histoire parallèle. Aller au Japon et écouter puis transmettre leur histoire me permet de comprendre le processus par lequel sont passés mes parents.
Comment avez-vous imaginé l’installation finale ?
Ce sera la réalisation du film et sa présentation dans le cadre d’expositions muséales. Il y aura probablement d’autres travaux annexes au film, notamment du dessin. Je garde en tête le projet que j’ai réalisé en 2019 au Nigéria grâce au généreux soutien de la fondation Kadist et du CCA Lagos pour l’exposition « Diaspora at Home » : j’’avais rencontré des membres de la communauté levantine et j’ai réalisé des costumes à partir de leur témoignage. Leur vie était écrite sur les costumes. C’est là que le dessin et l’écriture manuscrite interviennent, comme une trame. Le dessin est là pour mettre en exergue certains éléments importants de leur vie. Dans ma pratique, le dessin est là pour collecter les idées et les souvenirs, les mettre en image.
Vous êtes franco-syrien, comment est née cette « relation » avec le Japon ?
En 2015, alors que je quittais les Beaux-Arts de Paris, j’ai eu la chance d’être invité au Japon par un de mes anciens professeurs, le plasticien Jean-Luc Vilmouth. À partir de ce moment-là, le Japon est devenu comme une sorte de « clarificateur » à ma situation personnelle. Se retrouver aussi loin de chez moi, aussi loin de mes habitudes et de ma culture m’a permis de mener une réflexion plus profonde que si j’étais resté à l’endroit où j’ai grandi.
Ce projet s’inscrit dans le prolongement de travaux commencés en 2015 au Japon. Comment vont-ils dialoguer ?
En août 2015, lorsque je suis venu au Japon par l’entremise de Jean-Luc Vilmouth, j’ai visité la ville d’Hiroshima et son mémorial. J’ai été sidéré par le fait que la ville était aujourd’hui prospère. Bien sûr, le temps passe et les personnes et les lieux se reconstruisent. J’ai visité cet endroit au moment où le pays de mes parents vivait une des crises les plus graves de son histoire, le parallèle m’a semblé évident. Il m’a donné l’espoir qu’un jour cette région redevienne prospère, l’espoir qu’un jour ses habitants vivent paisiblement.
Cette rencontre avec Hiroshima a fait naître Scrapbook, une œuvre vidéo et un livre de collages qui faisaient dialoguer l’histoire d’une écolière japonaise irradiée par la bombe et ce qu’elle aurait pu voir du Japon et du Moyen-Orient contemporains, si elle était encore vivante aujourd’hui. Mon Pays imaginaire s’inscrit comme une sorte de prolongement. Les deux films sont les miroirs l'un de l'autre mais leurs approches sont différentes.
Quels sont vos futurs projets après la résidence ?
Les idées de projets ne manquent pas, c’est leur réalisation et leur exposition qui demandent une certaine patience dans ce contexte de pandémie. Pour le moment, tout est suspendu. Je vis le moment présent.
Bady Dalloul est lauréat 2021 de la Villa Kujoyama. Durant cette résidence, il travaille un projet intitulé Mon Pays imaginaire.
La Villa Kujoyama est un établissement artistique du réseau de coopération culturelle du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Relevant de l’Institut français du Japon, elle agit en coordination avec l’Institut français et bénéficie du soutien de la Fondation Bettencourt Schueller, qui en est le mécène principal.
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