Carmen Posadas
L’écrivaine uruguayenne Carmen Posadas participera à la Nuit des Idées le 27 janvier 2022 à Madrid. Lauréate du Prix Planeta, autrice de quinze livres pour enfants et de douze romans traduits dans une trentaine de langues, elle revient sur son enfance nomade, les débuts de sa carrière littéraire et ses projets actuels.
Publié le 24/01/2022
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Née en Uruguay, vous habitez en Espagne depuis l’âge de douze ans. Mais, en tant que fille de diplomate, vous avez passé de longues périodes de votre jeunesse à Moscou, Londres et Buenos Aires. Pensez-vous que ces déplacements ont eu une influence sur votre création littéraire ?
Il existe deux types d'enfants de diplomates. Il y a ceux qui, ayant suivi leurs parents dans le monde entier, changeant souvent d'école, d'amis et de pays, appréhendent le changement et ne veulent plus bouger. Et puis il y a ceux qui ne peuvent plus s'arrêter de voyager et qui deviennent nomades. J'appartiens à cette catégorie. Ceci est inestimable pour un écrivain car vous réalisez qu'il n'y a pas qu’une seule réalité, mais des milliers de réalités différentes.
Parmi ces différentes langues et cultures, laquelle a le plus marquée votre écriture ?
Nous allions à une école anglaise en Uruguay. En arrivant à Madrid, je ne me suis pas vraiment adaptée à l'école espagnole, et j'ai été envoyé à un internat en Angleterre. Ce qui fait que ma façon d'écrire, ainsi que les sujets qui m'intéressent, sont très liés au monde anglo-saxon.
Y a-t-il un auteur qui vous a particulièrement influencée ?
Si je devais n'en citer qu'un, je choisirais Charles Dickens. Il a la qualité d’intéresser à la fois un public populaire et un public plus intellectuel : j'ai toujours voulu suivre cette ligne.
Selon vos propres mots, votre premier livre a été écrit en secret pour éviter d'être vue « comme une femme au foyer qui se dit autrice ». Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire à ce moment-là ?
Habituellement, les gens commencent par étudier, puis ils travaillent et ensuite ils se marient. J'ai commencé par me marier. Ce n'est que lorsque mes filles étaient déjà à l'école que j'ai commencé à réfléchir à ce que je voulais faire. J'avais toujours été une grande lectrice car mon père était amateur de littérature. Sa façon de communiquer avec nous, ses enfants, passait essentiellement par les livres. J'ai donc commencé à fréquenter un atelier d'écriture, mais je n'ai dit à personne que j'écrivais avant de publier mon premier livre. J’ai eu la chance de remporter avec ce livre un prix national de littérature pour enfants.
Comment s'est passée la transition ou le saut de l’écriture pour enfants à l'écriture pour adultes ?
J'ai commencé par la littérature pour enfants car, n’ayant pas fait d’études universitaires, je pensais que ce serait plus facile d'écrire pour les enfants. Même si cela me rassurait, il est en réalité très difficile d’écrire pour les enfants. Cela m’a cependant servi pour la suite de ma carrière. L'avantage est que si vous savez comment capter l'attention d'un enfant, vous pourrez aussi capter celle d'un adulte. J'utilise encore dans mes romans beaucoup d’astuces que j’ai apprises lorsque j'écrivais pour les enfants.
Pourriez-vous révéler certaines de ces astuces littéraires ?
Il y en a une que Hemingway appelait « le coup de poing dans l'estomac ». La première phrase doit provoquer un choc, le lecteur doit être surpris et vouloir en savoir plus. Une autre règle de la littérature pour enfants consiste à privilégier l'action à la philosophie. Vous ne pouvez pas commencer un livre par « c'était un matin, le soleil brillait et le petit oiseau chantait dans l'arbre... », car au bout de deux pages sur l’oiseau et les nuages, il ne vous reste plus un seul lecteur.
Quel impact a eu la reconnaissance croissante de votre travail ? L'avez-vous ressentie comme un encouragement, un poids, ou un tremplin vers une plus grande liberté ?
Heureusement, je n’ai pas eu un succès fulgurant au début de ma carrière, car je n'aurais pas su comment le gérer. Bien que j’aie commencé avec un prix national de littérature pour enfants, je n'ai pas obtenu le Prix Planeta (prix littéraire récompensant des romans en espagnol) pour mon premier livre. Cela m'aurait complètement bloquée.
Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets pour l'avenir ?
J'écris un autre roman en ce moment, et j'ai trois romans qui seront adaptés en films, produits par de grands studios aux États-Unis et en Espagne. De nombreuses adaptations seront probablement faites par rapport aux textes, je suis cependant très enthousiaste à l'idée de voir à l'écran ce que j'ai imaginé un jour.
Vous participerez à la prochaine édition de la Nuit des idées à Madrid, dont le thème est « (Re)construire ensemble ». Cet événement propose une réflexion sur les notions de résilience et de reconstruction des sociétés confrontées à des défis singuliers, les solidarités et les coopérations entre les individus, les groupes et les États. Comment ce thème résonne-t-il pour vous ?
Cela me semble très pertinent compte tenu de ce que nous traversons en ce moment. La seule chose que j'aimerais, c'est que toutes ces réflexions aient en quelque sorte un impact sur nous-mêmes. Il me semble que l'un des graves défauts de notre époque est que tout le monde parle des grands problèmes d’actualité, qu'il s'agisse du changement climatique ou des crises migratoires, mais ils se contentent de cette parole.Personne n'agit, ils pensent qu'en évoquant le problème ils font quelque chose d'utile, mais ce n'est pas le cas. La seule façon de changer le monde est de changer chacun d'entre nous.
Pour la Nuit des Idées, vous dialoguerez avec une autre écrivaine, la finlandaise Sofi Oksanen. Dans ses romans, les femmes occupent une place importante, par exemple lorsqu'il s'agit de parler des changements majeurs survenus dans les pays de l'ancienne Union soviétique. D'une certaine manière, vos points de vue convergent. Qu'attendez-vous de cette rencontre avec elle ?
Cela devrait être très intéressant pour moi car elle est née en 1977 et appartient à la génération de mes filles. Je suis curieuse de voir comment cette différence générationnelle peut engendrer une autre approche. Cela me nourrit toujours de me confronter à d'autres points de vue intelligents et différents du mien.
Dans le cadre de la Nuit des idées et de la Présidence française du Conseil de l'Union européenne, l'Institut français organise, avec la revue Le Grand Continent, 13 dialogues entre de grandes figures de la pensée européenne. Ces dialogues se tiendront dans les capitales européennes le soir de la Nuit des idées, le jeudi 27 janvier 2022. Carmen Posadas prendra part à cet évènement en échangeant, à Madrid, avec l'écrivaine finlandaise Sofi Oksanen.
Rendez-vous annuel consacré à la libre circulation des idées et des savoirs, la Nuit des Idées est coordonnée par l’Institut français.