Caroline Gillet
Journaliste et reporter, Caroline Gillet réalise des documentaires radiophoniques et audiovisuels. Depuis 2018, elle anime l'émission « Foule continentale » sur France Inter où elle met en lumière la richesse d'une jeunesse enthousiaste, subversive et engagée.
Mis à jour le 18/05/2021
5 min
Depuis le début de votre carrière de reporter, vous mettez en valeur la jeunesse et son regard sur le monde. D'où provient cette envie de lui donner la parole dans vos reportages ?
Quand j’ai commencé la radio, j’ai eu le sentiment qu’on entendait peu de jeunes de mon âge s’exprimer. Mes premiers documentaires radio, je les ai produits avec Aurélie Charon que j'ai rencontrée lors de mes études de journalisme. Nous avons d'abord suivi des jeunes vétérans de retour d’Irak dans leur dialogue avec des anciens du Vietnam aux États-Unis. Après cette série, les Printemps arabes ont commencé et nous avons proposé à France Inter d'interroger la jeunesse algérienne. Nous voulions comprendre leur héritage historique, leurs aspirations et mettre des images sur une réalité qui était dans l'actualité sans être abordée frontalement. C’était un luxe immense d’avoir de longs espaces radiophoniques pour explorer des récits complexes. Cette jeunesse pleine de revendications était porteuse d'un projet de société réjouissant : nous avons donc décidé de poursuivre ces séries sur la jeunesse à travers le monde.
Au cours de votre propre enfance, vous avez eu l'occasion de suivre vos parents à travers le monde. Ces voyages à l'étranger sont-ils, encore aujourd'hui, une source d'enrichissement pour votre travail ?
C'était une grande chance. J'avais sept ans lorsque nous sommes allés en République démocratique du Congo, puis en Indonésie et au Bangladesh. J'ai ensuite passé six années en Angleterre dans des pensionnats. Se retrouver en famille projetée dans des villes inconnues, et souvent entre le monde protégé des expatriés et le monde des locaux qui m’était inaccessible, m’a fait me poser beaucoup de questions. J’avais souvent la sensation d’avoir la chance de vivre des expériences marquantes, mais aussi la sensation que celles-ci m’échappaient. Le désir de les enregistrer pour pouvoir m’en souvenir, pour apprendre, pour changer est né comme cela. J’ai demandé des dictaphones à cassettes pour Noël et commencé à enregistrer des sons. Je pense que je garde de ces années une curiosité, une envie de rencontres, et de nouveaux liens.Une envie aussi d’apprendre à être bien partout, en restant sincère. A 25 ans, j'ai pu retourner au Bangladesh pour y réaliser des reportages et tenter de mieux comprendre ces lieux que j’avais traversés.
Depuis 2018, vous produisez et présentez l'émission « Foule continentale », consacrée à la jeunesse européenne, sur France Inter. Quel regard portez-vous sur son évolution au fil des années ?
C'est une émission qui a démarré en 2018 au moment des élections européennes. Quand on m’a confié ce projet, je me suis demandé comment aborder ces questions sans ennuyer et en évitant les écueils : être ni trop eurosceptique, ni « eurobéate ». Il reste, par ailleurs, difficile de parler des institutions européennes, qui peuvent sembler lointaines. Il y a donc un enjeu démocratique à les démystifier pour les rapprocher de nous. Je me suis dit qu’il fallait d’un côté, imaginer une émission de portraits pour laquelle l’Europe serait le cadre, le contexte, mais non le sujet, et en parallèle, expliquer une fois par mois ses institutions sans en avoir peur. L’émission suit donc les principes suivants : d’abord raconter des histoires fortes et singulières de jeunes du continent. Ensuite mettre en avant chez eux et elles, le lien entre l’intime et le politique à différentes échelles, accompagner l’auditeur en me mettant en scène de façon personnelle et décalée et enfin, une fois par mois, tenter d’entrer « par effraction » avec des collègues dans les lieux de pouvoir européens pour raconter comment ils fonctionnent (et aussi pour s’amuser un peu).
En pleine crise sanitaire, quels ont été les défis auxquels vous avez dû faire face afin de transformer l'émission ? Comment envisagez-vous l'avenir et les prochains épisodes ?
Lors du premier confinement, on était tous très choqués par ce qui nous arrivait, on avait besoin de se le raconter et j’ai été heureuse de recevoir des nouvelles de jeunes rencontrés ces dernières années à l’étranger. Ils me racontaient leur quotidien confiné. Garder un lien avec eux me tient à cœur : j'aime raconter des vies, savoir comment elles se déroulent sur le long terme en étant fidèle à ces personnes qui nous ont fait confiance. Grâce aux notes vocales WhatsApp, je me suis retrouvée à devoir restituer leur réel à distance. Ces enregistrements se sont révélés précieux, ils peuvent être intimes et créer une incroyable proximité. Quand l’émission a repris, nous avons choisi d’intégrer certains de ces sons aux récits. Chaque personne choisit ce qu'elle veut nous livrer de son quotidien. Je pense qu’il est préférable en tant que journaliste de pouvoir se rendre sur place pour appréhender une situation et la restituer, mais en cette période où les voyages sont si compliqués, ces mémos apportent quelque chose de très riche.
Dans Radio Live, la prolongation de vos séries radiophoniques sur scène, une communauté de jeunes gens engagés s'exprime dans un spectacle construit sur l'échange et la transmission. Comment concevez-vous ce mélange des genres entre radio, théâtre et création vidéo ? Quelles images gardez-vous de la tournée africaine réalisée il y a deux ans ?
Nous avons créé Radio Live en 2013 avec Aurélie Charon, afin d'instaurer un lien direct avec nos auditeurs et ainsi pouvoir sortir des écrans, des radios et des réseaux sociaux pour se rencontrer en chair et en os. Les jeunes que nous avions interviewés pour les séries radio, venaient de différents pays, avaient, certes, des réalités distinctes mais ils étaient animés par la même envie de réfléchir sur notre société et la manière dont elle fonctionne. Nous voulions donc qu’ils et elles puissent se rencontrer et échanger. On leur a proposé de les faire venir de partout dans le monde jusque dans des théâtres parisiens pour des soirées de rencontre face au public. Au-delà de leur témoignage sur scène, nous avons aussi imaginé une dimension visuelle avec l’illustratrice Amélie Bonnin qui dessine en direct. Entre dessins, vidéos, chansons et cartes de leurs quartiers, leurs portraits étaient esquissés sans occulter l'imaginaire, ce qui fait la force de la radio. Le projet a ensuite voyagé dans de nombreux pays, grâce notamment à l’Institut français.
En 2019, votre documentaire, Les mères intérieures, posait l'épineuse question du choix d'avoir (ou non) des enfants et des différentes manières de vivre sa maternité. Les témoignages recueillis ont-ils modifié votre vision des choses ?
Pour nombre de femmes, la question de la maternité se pose très jeune et le choix de ne pas en avoir est questionné sans cesse jusqu’à la ménopause. Ces sujets restent tabous et il est passionnant de voir tout ce qu'ils impliquent dans cet immense continent de non-dits. En suivant une amie qui avait eu un enfant après avoir longtemps dit qu'elle ne serait jamais mère, j'ai côtoyé plusieurs profils de femmes et autant d'expériences de la maternité. Dans un lieu unique, en Touraine, j'ai trouvé fascinant d'aborder des questions qui existent depuis la nuit des temps et se posent aujourd'hui de façon nouvelle. Cela m'enthousiasme de voir qu’il y a une grande diversité de types de famille possible et que l'on peut repenser notre manière de créer du lien en proposant des modèles différents à la société.
On remarque une grande diversité de questions sociétales, de thématiques mais aussi de formats dans vos réalisations. Quelles sont vos envies pour vos projets à venir ?
Ce sont des questions que je me pose actuellement. Les contraintes de l’année qui vient de s’écouler font que j’ai d’autant plus envie de créer de nouveaux échanges avec des personnes qui ont des savoir-faire que je n’ai pas, d’imaginer de nouvelles associations entre forme et contenu et de raconter d’autres histoires, via de nouveaux formats. Je trouve passionnant de voir certains journalistes et documentaristes essayer de répondre aux mêmes interrogations toute leur vie, en cherchant des manières innovantes de rentrer en contact avec ceux qui les écoutent. On a la responsabilité de se poser perpétuellement la question du journaliste, de sa place dans la société et de son interaction avec la jeune génération. Ces perspectives continuent de me transformer et je suis curieuse des formats qui finiront par émerger.
En 2021, Caroline Gillet a animé un dialogue, durant le live 24 heures de Nuit et d'idées, entre quatre jeunes Grecs et quatre jeunes Turcs, fruit d'une collaboration entre les Institut français d'Athènes et d'Ankara, autour de leur expérience de la pandémie et de leurs espoirs pour les années à venir.
Rendez-vous annuel consacré à la libre circulation des idées et des savoirs, la Nuit des Idées est coordonnée par l’Institut français.
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