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Dyana Gaye et Valérie Osouf présentent Tigritudes, une anthologie du cinéma panafricain initiée dans le cadre de la Saison Africa2020

Depuis une dizaine d'années, nous remarquons en Afrique un renouveau créatif très fort avec des cinéastes pluridisciplinaires, praticiens d'arts visuels, plastiques et poétiques.

Cinéastes, Dyana Gaye et Valérie Osouf ont conçu Tigritudes, une anthologie de 126 films, qui voyage à travers la production d'un continent toujours peu diffusée. Elles reviennent sur la genèse de cet ambitieux projet, initié dans le cadre de la Saison Africa2020 mise en œuvre par l’Institut français, et évoquent une nouvelle génération prometteuse d'artistes. 

Une partie de l'anthologie est présentée depuis le 24 mai dans le cadre des manifestations OFF de la Biennale de Dakar et du Festival de Jazz de Saint-Louis, en partenariat avec les Instituts français de Dakar et de Saint-Louis. 

Mis à jour le 25/05/2022

5 min

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VOsouf © Pascal Schneider Forum des images
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Valérie Osouf - Dyana Gaye © Pascal Schneider, Forum des images

Toutes deux réalisatrices et scénaristes, vous vous intéressez particulièrement aux cinématographies africaines. Pouvez-vous nous raconter votre rencontre et la naissance de votre collaboration artistique ? 

Nous nous sommes rencontrées il y a vingt-cinq ans au Sénégal alors que nous préparions chacune notre premier film. Très tôt, nous avons partagé, grâce à cette amitié cinéphile, le désir de créer une manifestation autour des cinémas d'Afrique. L'appel à projets lancé dans le cadre de la Saison Africa2020 nous a permis de mettre en forme cette anthologie. Pourquoi les cinémas du continent africain restent aussi occultés et méconnus ? C'est une question qui ne nous a jamais quittées et il est important de savoir pourquoi il persiste une telle ignorance, un tel trouble autour de ces cinémas. Pour un pays comme la France, où les cinémas d'Asie et d'Amérique Latine sont largement diffusés, ce manque de visibilité demeure, à la fois, étonnant et décevant. 

 

Vous avez imaginé Tigritudes, une anthologie panafricaine de 126 films diffusée au Forum des images en janvier et février 2022, qui retrace soixante-six années d'histoire de cinéma. De quelle manière est né ce projet ?  

L'installation de l'écrivaine, chercheuse et historienne d'art, Zahia Rahmani, Sismographie des luttes, a été une grande source d'inspiration. C'est une œuvre qui circule dans le monde entier, dans laquelle elle a réuni un corpus de 1000 revues d'art non occidentales entre 1802 et la Chute du mur de Berlin, en 1989. Les voir se déployer de manière chronologique nous a semblé particulièrement intéressant afin d'observer la circulation des formes et des idées à l'échelle du monde. Nous avons donc repris ce fil chronologique pour Tigritudes. Il nous tenait à cœur d'inclure tous les cinémas du continent, dans leur pluralité géographique et linguistique, en incluant le Maghreb car les films réalisés au nord du continent sont souvent absents des festivals de cinéma dit « africain ». Nous voulions également que les diasporas soient représentées venant dialoguer avec la programmation continentale, et diffuser des films de tous formats et de tous genres, du documentaire à la fiction, en passant par l'expérimental et l'animation. 

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D. Gaye
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Dyana Gaye
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Notre seule véritable règle était de choisir uniquement des films que nous aimions. Il y avait une volonté de ne présenter que des œuvres qui nous touchaient d'une manière ou d'une autre.

Afin de marquer le début de ce cycle, vous avez mis en lumière l'année 1956, date de l’indépendance du Soudan. Pourquoi avez-vous fait ce choix et comment définit-il, à vos yeux, les enjeux de cette anthologie ? 

C'est quelque chose qui s'est imposé rapidement. Nous avons choisi cette date car elle marque le début d'une vague d'indépendances. Par le biais des œuvres choisies, un récit chronologique est finalement né. Chaque période raconte une circulation, un mouvement, et les résonances qui existent au sein des œuvres sont importantes à observer d'un point de vue chronologique. Cela permet de dégager des axes géopolitiques ou formels, comme les années 1970, qui ont représenté une décennie très créative sur le plan artistique dans le monde entier. On visualise également ce moment où des personnes sont parties se former dans les pays de l'Est, mais aussi aux États-Unis, avec des premiers films de pays indépendants. Ce parti-pris chronologique, plutôt que thématique, offre la possibilité de tirer de nombreux fils passionnants. 

 

Au cœur d'une cinématographie africaine très riche et diversifiée, comment avez-vous élaboré votre sélection ? Quelles sont les difficultés majeures auxquelles vous avez été confrontées ? 

Nous avions un socle commun et nous nous sommes mutuellement fait découvrir des films. Des œuvres et des cinéastes qui nous accompagnent se sont imposés naturellement, puis nous avons articulé cette sélection avec la singularité de cette chronologie. L'idée était de construire une séance par année afin qu'elle soit capable, à l'échelle d'une décennie, de présenter un spectre linguistique, géographique et formel. Notre seule véritable règle était de choisir uniquement des films que nous aimions. Il y avait une volonté de ne présenter que des œuvres qui nous touchaient d'une manière ou d'une autre. Dans le cas de réalisateurs très connus du continent, comme Ousmane Sembène, Souleymane Cissé ou Abderrahmane Sissako, nous avons souhaité montrer des films moins mis en lumière. La Cinémathèque Afrique a grandement contribué à cette entreprise et nous avons aussi fait appel à des relais pour avoir accès à des cinématographies ou des pays moins exposés. Cela a été précieux lors d'une période où la pandémie nous empêchait de voyager et où nous avons dû nous adapter avec le digital. 

Tigritudes — Bande annonce
Tigritudes — Bande annonce

Les cinémas d’Afrique restent toujours peu diffusés en France, mais aussi à l'international. Initiée dans le cadre de la Saison Africa2020, Tigritudes a aussi bénéficié comme vous le disiez du soutien de la Cinémathèque Afrique, qui a notamment donné accès à tous ses films numérisés pour le projet. Quel regard portez-vous sur ce fonds et ce qu’il peut apporter à la diffusion du cinéma africain ? 

Durant nos études, c'était un endroit que nous fréquentions régulièrement, qui nous a permis de voir des films et de découvrir une cinéphilie absente des écrans français. Pour Tigritudes, cela a été un lieu de ressource majeur, où nous avons été très aidées pour le visionnage d'un grand nombre de films. Aujourd'hui, c'est un espace de circulation et de mémoire qui est fragilisé, puisqu'il y a des films en péril, dont il ne reste presque plus aucun support. Certes, avec Internet et les plateformes, d'autres moyens de visionner les films existent, mais, sans la Cinémathèque Afrique, tout un pan du cinéma pourrait complètement disparaître. C'est vraiment une institution, un lieu très important de conservation, à soutenir fortement et à préserver. 

 

Une nouvelle génération de cinéastes africains émerge progressivement, malgré ces problématiques de diffusion. Comment observez-vous leur travail et quels sont, pour vous, les talents à découvrir ?  

Depuis une dizaine d'années, nous avons remarqué un renouveau créatif très fort avec des cinéastes pluridisciplinaires, praticiens d'arts visuels, plastiques et poétiques. Ils sont capables de proposer des narrations aussi audacieuses que passionnantes et leurs films ont été sélectionnés récemment dans des festivals internationaux. On pense, par exemple, à Lemohang Jeremiah Mosese, un cinéaste du Lesotho passionnant, dont nous avons montré L'Indomptable feu du printemps lors du prologue de Tigritudes durant la Saison Africa2020. Nous avons également diffusé son autre long métrage, Mother, I Am Suffocating. This Is My Last Film About You, en février dernier. Nous pensons également à Randa Maroufi (Maroc, Bab Sebta et Le park), à Inadelso Cossa (Mozambique, Karingana - Os Mortos nao Contam Estorias), à Moïse Togo (Mali, Gwacoulou et 75 000 $), ou encore au sénégalo-martiniquais Wally Fall, dont nous avons présenté le court-métrage Fouyé Zetwal au sein d’une séance archipélique… 

 

Comment envisagez-vous la suite pour Tigritudes ? On parle d’une itinérance sur le continent africain, d’un livre ou encore d’un site internet. 

Dès la conception du programme, nous avons toujours eu en tête ce projet d’itinérance. Il était indispensable, pour nous, que le programme puisse circuler le plus possible, notamment sur le continent africain. Les œuvres ont beau y être fabriquées, il y a, en miroir, une méconnaissance de leur propre cinématographie dans un certain nombre de pays du continent. Nous avons inauguré l’itinérance du cycle le 13 mai dernier à Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso, en partenariat avec Les Films du Djabadjah, avec des projections en plein air (décennie 90) dans différents quartiers. Ce sont les années 1970 de l’anthologie qui seront présentées à partir du 24 mai au Sénégal, en partenariat avec les Instituts français de Dakar et de Saint-Louis, le Labex PasP, dans le cadre des manifestations OFF de la Biennale de Dakar et du Festival de Jazz de Saint-Louis

À partir de l’automne, l’itinérance se développera plus largement sur le continent africain et nous envisageons la publication d’un livre. Nous réfléchissons parallèlement à un site de référence, qui permettrait aux jeunes cinéphiles d’avoir accès à toutes ces ressources. Il y a énormément de recherches que nous aimerions mettre en partage, tout en replaçant en perspective les rencontres transversales qui ont eu lieu pendant la présentation du cycle à Paris, au Forum des images. 

L'Institut français et le projet

Le cycle Tigritudes a été initié dans le cadre de la Saison Africa2020. Initiée par Emmanuel Macron, le Président de la République française, la Saison Africa2020 s'est déroulée sur tout le territoire français (métropole et territoires ultra-marins) de début décembre 2020 à septembre 2021. Elle était dédiée aux 54 États du continent africain. 

En savoir + sur la Saison Africa2020 

Voir le site de la Saison Africa2020 

 

Le projet bénéficie également du soutien de la Cinémathèque Afrique, gérée par l'Institut français. Créée en 1961 par le ministère de la Coopération, la Cinémathèque Afrique contribue à la conservation, la restauration, la numérisation, la promotion et la diffusion du cinéma africain dans le monde. Elle met à disposition des chercheurs et programmateurs un catalogue de plus de 1 700 titres, dont plus de 600 titres libres de droits pour une diffusion non commerciale. 

En savoir + sur la Cinémathèque Afrique 

L'institut français, LAB