Edwige Doumbia
Dans un pays – la Côte d'Ivoire – où les étudiants peinent à trouver une formation épanouissante qui ouvre des débouchés sur le marché du travail, la plateforme d'orientation et d'accompagnement Forem constitue un outil majeur. Sa directrice et fondatrice Edwige Doumbia revient sur les raisons qui l'ont conduite à créer ce site et réaffirme son impérieuse nécessité.
Mis à jour le 11/05/2021
5 min
Qu'est-ce que Forem et comment fonctionne ce site ?
Forem est une plateforme spécialisée dans l'orientation des élèves et étudiants de Côte d'Ivoire et d'ailleurs. Il s'agit d'abord d'un site d'information sur les métiers, les diplômes pour y accéder et les universités ou grandes écoles qui les délivrent. Mais la particularité de ce projet réside dans le fait que tout internaute qui se rend sur la plateforme a la possibilité, s'il le souhaite, d'échanger avec un conseiller-psychologue d'orientation.
De quel constat êtes-vous partie pour créer ce site ?
Durant mes études, j'ai été marquée par une expérience personnelle. J'avais un camarade de classe extrêmement intelligent qui ne savait absolument pas vers quel métier se tourner. Il suivait les cours mécaniquement, sans motivation. Or, en faisant des recherches pour l'aider, je me suis rendu compte que rien de ce que je pouvais trouver ne correspondait à une formation disponible en Côte d'Ivoire. Lorsque vous êtes étudiant en Afrique et que vous faites une recherche sur Internet pour vous orienter professionnellement, vous n'avez la plupart du temps accès qu'à une liste de diplômes délivrés dans les pays occidentaux. Or, les réalités de ces régions du monde ne sont pas forcément les nôtres, certains métiers existent en France, mais pas en Côte d'Ivoire. Cela génère de l'incertitude pour nos étudiants.
Et comment avez-vous mûri ce projet ?
J'ai participé au programme d'incubation et de mentorat AyadaLab, en 2019. Cette expérience m'a permis de bien concevoir, de bien poser le projet de Forem, mais aussi de récolter les fonds nécessaires afin d'élargir son influence. J'ai également participé au Social & Inclusive Business Camp (SIBC) de l'Agence Française de Développement (AFD) en 2020, ce qui m'a permis de consolider mes compétences en management et de diversifier mon réseau.
Quelles sont, selon vous, les clés d'une orientation professionnelle réussie ?
Je suis convaincue que l'élément fondamental est de bien se connaître soi-même. Savoir que l'on est timide, expansif ou méthodique peut nous aider à trouver le bon métier et à ainsi s’épanouir. L'autre enjeu est celui du poids de la tradition, du choix des parents. En Côte d'Ivoire, le phénomène de « suivisme » est très répandu. Si le fils du voisin est entré dans une filière, alors les parents vont y inscrire leur enfant sans se poser de questions. Ce sont souvent eux qui décident de la formation que leur fils ou leur fille intégrera. Il est très important que nos aînés comprennent qu'ils peuvent échanger avec leurs enfants et qu'ils doivent leur laisser un libre choix de métier. Forem œuvre à cela en organisant des journées « carrière » auxquelles les parents sont conviés pour mieux les sensibiliser à ce sujet. Je le répète souvent, mais c'est grâce à l'ouverture d'esprit de mes parents que j'ai pu m'épanouir dans le projet de Forem.
De ce point de vue, qu'apporte la rencontre avec un psychologue ?
L'orientation est un sujet bien plus complexe qu'on ne le pense. Elle doit se faire autant en fonction des compétences que de la personnalité et des ambitions de chaque élève. Grâce à des tests psychotechniques, le conseiller peut détecter tout cela et formuler un ensemble de propositions cohérentes à son interlocuteur. Malheureusement, dans notre région, ce moment de la vie pédagogique est souvent traité de manière lapidaire. Pour vous donner un ordre d'idée : en Côte d'Ivoire, actuellement, il y a seulement 1 500 conseillers d'orientation pour près de 5 millions d'élèves. Et, seuls les élèves en année d'examen peuvent obtenir un rendez-vous. Dans les classes intermédiaires, impossible de trouver un conseiller.
L'étudiant détient donc une partie des solutions, mais qu'en est-il de l'offre de formation ? Est-elle adaptée aux besoins des élèves ?
Pas du tout. De nombreuses formations proposées en Côte d'Ivoire n'offrent aucun débouché et vous obligent à retourner sur les bancs de l'école une fois le diplôme en poche. Je peux prendre l'exemple du BTS en douane qui n'aboutit à rien parce que le concours des douanes n'existe tout simplement plus. Il y a une forme de copier/coller dans l'offre. Si une formation marche dans un autre pays, alors on la propose sans même se demander si elle est adaptée au marché de l'emploi local. Un des atouts de Forem est justement de s'appuyer sur des études spécifiques, pour bien cibler les métiers les plus porteurs dans notre région.
Il semble que Forem attire des internautes au-delà de la Côte d'Ivoire, en Afrique, mais aussi en Europe ou aux États-Unis. Comment l'expliquez-vous ?
L'orientation reste un problème commun à tous les étudiants, partout dans le monde. C'est une des raisons pour lesquelles Forem est directement accessible en anglais, afin de toucher le plus grand nombre. Plus globalement, nous avons récemment fait un sondage sur les réseaux sociaux qui nous a permis de constater que de nombreuses personnes en Côte d'Ivoire et en Afrique exercent leur métier dans un but utilitaire, essentiellement pour avoir un revenu. Je crois que c'est un des problèmes qui freine le développement du continent et il me paraît important de contribuer à le résoudre.
Comment envisagez-vous l'évolution de ce site dans les prochaines années ?
Au départ, Forem n'était qu'une simple plateforme d'information. Avec le temps, nous nous positionnons de plus en plus comme un véritable cabinet d'orientation dont le but demeure social. Le prix des rendez-vous avec les conseillers-psychologues doit donc rester abordable. L'autre axe de développement se situe au niveau de la communication puisque nous allons distribuer, dans les prochains mois, un magazine dédié à l'orientation dans les établissements scolaires du pays. Ce magazine sera le premier du genre en Côte d'Ivoire et il sera totalement gratuit.
La plateforme Forem, fondée par Edwige Doumbia, a bénéficié du soutien du programme AyadaLab.
Initié et mené conjointement par le Goethe Institut et l’Institut français, AyadaLab est le premier programme franco-allemand de renforcement de compétences et d’incubation à destination des jeunes entrepreneurs d’Afrique de l’Ouest.