La circassienne Maroussia Diaz Verbeke présente son nouveau spectacle, créé avec le soutien de l'Institut français
Circassienne et metteuse en scène, Maroussia Diaz Verbeke s’apprête à présenter au public son nouveau spectacle, 23 fragments de ces derniers jours, créé en collaboration avec le collectif brésilien Instrumento de Ver et avec le soutien de l’Institut français. Une représentation est notamment prévue le mardi 24 mai au Théâtre Cinéma de Choisy-le-Roi.
Dans cette interview, elle évoque ce spectacle mais aussi le solo Circus Remix, que l’Institut français accompagne également.
Mis à jour le 30/05/2022
10 min

Pourriez-vous nous parler de votre parcours ? Comment êtes-vous arrivée au cirque ?
Ma rencontre avec le cirque s’est faite assez jeune, notamment à l’occasion de stages que je faisais enfant au Cirque Éphémère. C’était un univers qui me plaisait énormément, même si je ne pensais pas m’y consacrer au début. A 13 ans, j’ai vu mon premier spectacle de cirque « contemporain » : c’est comme ça que l’on appelle le courant qui s’est affranchi des codes du cirque classique. Ça a été une vraie révélation. Au-delà de la liberté que cela impliquait dans le rapport avec le corps, j’ai été impressionnée par la possibilité de jouer avec les codes, de proposer des formes hybrides. Depuis ma sortie d’école, il y a une douzaine d’années, je m’interroge beaucoup sur ce qui fait la particularité du langage du cirque, et en quoi ce n’est pas un théâtre comme un autre. Il y a six ans, j’ai monté une compagnie qui s’appelle le Troisième Cirque, dans l’idée de questionner ce qui pourrait constituer ce « troisième cirque », si on considère que le premier est le classique, et le second, le contemporain. Pendant cette période, j’ai travaillé en tant que metteuse en scène, dramaturge ou interprète sur cinq spectacles, dont le solo Circus Remix.
Vous vous présentez comme une « circographe », selon un terme que vous avez forgé vous-même. Pourriez-vous nous expliquer ce terme ?
J’ai osé inventer ce mot parce qu’il n’y a pas de terme spécifique pour dire la mise en scène dans le contexte du cirque. Cette absence est assez symptomatique, à mon avis, des questionnements qui le traversent actuellement. Dans le cirque, la pratique et la création sont très liées. Personnellement, j’occupe souvent une position extérieure pour créer un spectacle, en prenant la posture d’une metteuse en scène, même si je ne viens pas du tout du monde du théâtre. J’utilise en effet des idées et des réflexes qui sont liés avant tout au cirque. Parler de circographie permet ainsi d’attirer l’attention sur le fait qu’il y a une forme de mise en scène spécifique au cirque.
Dans votre spectacle Circus Remix, vous proposiez une véritable réflexion autour des codes du cirque, notamment à travers son rapport avec le langage. Quelle est la place de la parole dans votre travail ?
Le terme « circographe » renvoie en effet aussi à l’idée d’écriture et de composition. C’est un aspect qui m’intéresse énormément, notamment parce que la place de la parole au cirque est une question très complexe. En 1806, elle a été interdite en France et en Angleterre, pour que le cirque ne fasse pas concurrence au théâtre. C’était un espace trop libre, hors de contrôle, et la parole a été interdite justement pour que le cirque se sépare du texte. C’est dans ces conditions que le cirque a continué de se développer, sans répertoire classique. Et comme toujours, quand il y a des interdictions, il y a eu des formes de tricherie et de contournement. Ce qui explique bien certaines particularités du cirque classique : centralité du corps, absence de barrière linguistique (ce qui permet des tournées internationales), rôle des animaux, public transgénérationnel, configuration circulaire, etc. Tout cela est selon moi lié au fait que la parole n’est pas la matière première du cirque. Dans mon spectacle solo Circus Remix, j’ai travaillé sur cet aspect : pendant le spectacle, je ne parle pas. Mais grâce à un collage d’extraits radio et un système de pancartes, d’une certaine façon, je parle quand même. Je me place donc là dans la lignée d’autres formes de contournements de cette interdiction, comme par exemple le langage des clowns qui ne prononcent que les voyelles ou des onomatopées.
En 2020, vous avez travaillé avec le Groupe Acrobatique de Tanger autour du spectacle Fiq ! Est-ce important pour vous de décentrer notre regard sur le cirque, en faisant appel à d’autres traditions et à d’autres approches ?
Oui, ce sont des invitations qui sont toujours très stimulantes. Il existe au Maroc une tradition spécifique, liée à l’acrobatie traditionnelle arabe, qui travaille beaucoup sur la notion de cercle, de diagonale et de vitesse. Ce sont des acrobaties avec les jambes décalées et le corps désaxé, qui reposent souvent sur des portés et des pyramides. L’équipe que j’accompagnais a l’intention, depuis une dizaine d’années, de faire dialoguer ce savoir-faire avec d’autres pratiques plus contemporaines, personnelles, ou tout simplement décalées. L’idée était donc de se servir de la force et du potentiel de cette tradition, tout en explorant de nouvelles choses. C’est pourquoi la question de l’humour a été centrale dans ce travail.

Vous avez créé le spectacle 23 fragments de ces derniers jours avec le collectif brésilien Instrumento de Ver. Comment est née cette collaboration ?
Je connaissais déjà bien le Brésil, un pays avec lequel j’ai beaucoup d’affinités. Il y a une dizaine d’années, j’ai traversé l’Atlantique en bateau-stop et je suis arrivée au Brésil par hasard. Cela a été une rencontre très intense avec cette culture, ces paysages, et bien sûr, avec le Carnaval. C'est une pratique qui entretient beaucoup de liens avec le cirque, notamment dans le fait de renverser provisoirement l’ordre du monde. Quand la compagnie Instrumento de Ver m’a invitée, cela m’a donc tout de suite paru aller de soi.
Ce collectif est auteur du « Manifeste chosiste », qui glorifie les objets. Quelle est l’influence du manifeste sur le spectacle ?
Instrumento de Ver est un collectif à géométrie variable, basé depuis quinze ans à Brasilia. Notre complicité artistique est née d’un même rapport au décalage, à une forme de malice, à notre appétence commune pour les jeux de mots. L’intérêt qu’Instrumento de Ver porte aux objets est très intéressant pour moi, parce que le cirque en utilise beaucoup : il s’agit d’objets qui sont pensés et construits pour leur utilisation sur scène. Nous avons donc travaillé à partir de cette matière première, même s’il est difficile pour moi d’en dire beaucoup à l’heure actuelle, car nous sommes en pleine création, et le spectacle est encore en train de prendre forme.

L'Institut français a soutenu la création du spectacle 23 Fragments des ces derniers jours.
Circus Remix fait partie de La Collection, dispositif qui rassemble pour le réseau culturel français à l'étranger 90 propositions clés en main, légères en diffusion et modulables, dans les domaines des arts de la scène, des arts visuels et de l’architecture, de l’urbanisme et du paysage. Dans ce cadre, le spectacle fera l'objet d'une adaptation en Brésilien.
Circus Remix a été soutenu par Relance Export, programme accompagnant à l’international les projets d’artistes, de professionnels français ou basés en France (métropolitaine ou ultramarine) ou d’institutions des secteurs créatifs et culturels, qui ont été impactés par la crise sanitaire.