Luar Maria
Chorégraphe brésilienne, Luar Maria développe un solo sur les relations entre le geste dansé et le geste dessiné. La danseuse nourrit ses réflexions par une riche carrière d’universitaire et de chercheuse en danse menée en parallèle de son travail de créatrice.
Mis à jour le 09/09/2020
5 min
Pouvez-vous nous raconter votre première rencontre avec la danse ?
Dans le milieu traditionnel de la danse, on dit souvent qu’on ne choisit pas la danse, que c’est la danse qui nous choisit. Mais pour moi, ça a plutôt été le contraire : j’ai vraiment choisi la danse comme mon principal moyen d’expression. C’est en 2006, en rejoignant une compagnie circassienne brésilienne, qui mêlait l’acrobatie à la danse, que j’ai fait mes premiers pas en tant que danseuse au travers de cours de danse contemporaine.
Vous êtes titulaire d'un doctorat en arts du spectacle à l'Université fédérale de l'État de Rio de Janeiro et à Paris 8, vous faites partie depuis 10 ans du collectif d’artistes brésiliens MIÚDA. Qu’apporte votre carrière universitaire à votre parcours d’artiste ?
Ce travail avec le collectif MIÚDA a été très important dans mon parcours. C’est avec eux que j’ai compris les questions qui me poussaient à créer et à chercher. L'université a eu une place capitale dans notre collectif, elle nous a permis de comprendre la création comme un geste de recherche et nous a concrètement donné la possibilité de créer avec un espace de répétition. Plus généralement, dans mon parcours, la théorie et la pratique ont toujours été très mélangées. Mon parcours universitaire a nourri mon parcours artistique, et mes interrogations d’artiste m’ont permis de développer ma recherche : je me considère comme artiste-chercheuse.
Vos travaux de recherche portaient sur la complémentarité entre la dramaturgie du théâtre et la danse contemporaine. Quelles réflexions avez-vous développées ?
Ma thèse m’a permis de découvrir que le concept de la dramaturgie pouvait m’aider à réfléchir sur ces problématiques, que le travail du sens est inhérent à la pratique dramaturgique du théâtre ou de la danse. Pendant toutes ces années de travail, de recherche académique comme de création, j’ai développé une pratique et une théorie autour d’une dramaturgie gestuelle, autour du sens du geste, de la puissance signifiante du geste. Dans ma thèse, j’ai situé ces problématiques dans une perspective historique beaucoup plus large. Dans mes créations, j’essaye de jouer avec cette complexité de condition d’intelligibilité du geste, de ses modulations qualitatives et de son rapport avec le public.
Votre projet de création s’intitule « Corps dessiné, corps déplacé » et mêle danse et
bande dessinée. Pourquoi ce choix ?
Mon intérêt pour les liens entre la danse et le dessin vient de loin, puisque j'ai aussi mené une licence en décors de théâtre lors de mes études universitaires. Ces réflexions sont nées d'auteurs et d'artistes croisés lors de mon parcours académique, comme le peintre allemand Paul Klee. Il disait : « Le dessin et la peinture sont des arts qui ne sont pas engagés à montrer le visible, mais à rendre visible ». Et cette problématique appartient énormément à la danse, tout comme à la bande dessinée contemporaine qui arrive à échapper à une dramaturgie proprement littéraire pour rendre visible ce qui ne l'est pas.
Dans mon travail, je veux penser les outils du dessin pour le corps en mouvement et je m’inspire aussi du geste du dessinateur. J’ai été frappée par le fait qu’un dessinateur ne construit pas son dessin de façon narrative, d’abord la tête, puis le cou, le corps, etc. Il commence par un trait en bas, puis en haut, et c’est uniquement à la fin que l’on comprend le dessin. Je réfléchis donc à comment composer un geste de cette manière. J’ai beaucoup d’auteurs contemporains français, notamment les récits entre la fable et le manifeste qui abordent la question politique par un récit très personnel, comme Persepolis de Marjane Satrapi (2000), L’Arabe du futur de Joann Sfar (2014) ou Les nouvelles de la Jungle de Lisa Mandel (2017).
Les questions migratoires sont l’une des thématiques centrales de votre projet. Comment cette question s’intègre-t-elle dans votre travail ?
Dans ma recherche gestuelle, je suis intéressée par l’expérience du déplacement. Qu’est-ce que ce déplacement produit en termes de sensations physiques et de détournements gestuels ? Quand une personne se déplace d’un pays à l’autre, pour des raisons politiques, économiques ou environnementales, elle apporte ses traditions, ses connaissances, ses croyances. Tout cela est structuré dans sa corporéité : cela se voit dans sa façon de bouger, sa relation avec l’autre, de percevoir le monde. Quand cette personne arrive dans un environnement culturel différent, elle apporte une partie de la culture corporelle du pays. Ce qui mène à considérer la question suivante : comment le corps peut-il parler de cette expérience de déplacement et d’adaptation ?
Comment le contexte actuel influence-t-il votre œuvre et votre pratique artistique ?
J’ai écrit le projet avant la crise sanitaire et l’expérience du confinement. Durant la quarantaine, j’ai été très touchée par la sensation de partage entre les dimensions internes et externes du mouvement. Normalement, on associe le mouvement au déplacement. Mais pendant le confinement, je ne me déplaçais pas. Pourtant la sensation du mouvement était extrêmement forte, liée à une autre qualité du mouvement, plus intérieure, profonde, rattachée au rythme de la pensée et des émotions que l’on a pu expérimenter à ce moment-là, comme la peur ou la fragilité. Mais tout cela fait beaucoup pour un seul solo. Je suis au moment où j’ai beaucoup de matériaux, et il faut en laisser quelques-uns de côté pour me concentrer sur ceux que je veux vraiment travailler.
Luar Maria bénéficie du soutien de l’Institut français du Brésil, elle est lauréate du programme Institut français Cité internationale des arts en 2020
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