Marianne Clévy
Récemment nommée à la direction de la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon (Centre national des écritures du spectacle), Marianne Clévy se remémore la richesse de son parcours avant de raconter l'accompagnement des auteurs et de partager son regard sur l'évolution de la langue française.
Mis à jour le 22/03/2021
5 min
Vous dirigez depuis octobre 2020 la Chartreuse, un lieu de résidence artistique à Villeneuve lez Avignon. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours ?
J'ai découvert le plaisir du théâtre grâce au conservatoire de Toulouse. C'est un genre disciplinaire qui m'a amené vers un parcours professionnel au plus près du texte depuis quarante ans. J'ai d'abord été comédienne avant de comprendre que mon tempérament était de raconter des histoires et de les mettre en scène. Si mon attrait pour le texte contemporain me provient de ma mère, musicienne, mon évolution artistique a été influencée par la période entourant la chute du mur de Berlin. De 1992 à 1998, j'ai vécu dans les Balkans, notamment en Bulgarie, où j'ai monté des spectacles en bulgare et en français. Après 1998, j'ai approfondi ma connaissance de la politique culturelle avant de devenir programmatrice puis directrice du festival "Corps de Textes" au Centre dramatique de Rouen et plus récemment directrice du festival "Terres de Paroles" en Normandie. En répondant à l'appel à candidatures de la Chartreuse, j'ai voulu m'intéresser à la question patrimoniale et au mot qui me plaît le plus : l'hospitalité.
En entamant cette nouvelle collaboration, vous souhaitez agrandir le public de la Chartreuse. De quelle manière imaginez-vous l'initiation à la dramaturgie des textes ?
Depuis le début de ma carrière, j'aime inventer des modes de rencontres entre le public et les artistes. Dans la région occitane, qui est mon premier territoire, nous mettons actuellement en place des comités de lecture. Pendant cinq mois, une quinzaine de pièces d'auteurs sont proposées à des lecteurs qui vont, ensuite, sélectionner un écrivain dramatique afin d'entendre une grande lecture et se rencontrer autour de l’œuvre. À l'automne, cette initiative mettra environ 100 à 150 personnes en jeu. On prétend que lire du théâtre est ennuyeux mais, au contraire, cela donne lieu à des débats passionnants. Quand les gens finissent par aller voir un spectacle, ils ne séparent plus les choses et sont capables de les goûter avec la matière qu'est le texte.
Vous héritez d’une convention de partenariat avec l’Institut français tournée vers les auteurs et autrices francophones, notamment le continent africain. Quel est votre regard sur ces écritures ?
C'est un regard empreint d’appétit et de curiosité, transmis par ma prédécesseur, Catherine Dan, mais qui doit encore s'affiner. J'ai envie de reconnaître une énergie, une génération d'hommes et de femmes qui écrivent. Il existe un énorme possible lorsqu'il s’invente de nouveaux codes comme au Cameroun ou en Guinée. C'est très intéressant de retirer la question de la référence et d'aller vers chaque artiste dans ce qu'il souhaite voir d'un théâtre d'aujourd'hui. L'écriture décodée contemporaine est d'une inventivité extraordinaire : chaque auteur peut obéir ou non à des codes d'écriture mais aussi trouver sa propre langue. Nous voulons accompagner cette quête d'univers et la réciprocité des échanges de textes. La Chartreuse a ainsi initié un programme de Résidences Parcours pour encadrer un auteur ou une autrice qui va rester plusieurs mois afin d'exploiter des réseaux différents.
Dans un environnement où la langue française semble de plus en plus fragilisée, quelle est votre opinion sur ses usages actuels et son évolution ?
Je pense que nous sommes aujourd'hui dans une relecture de la littérature et de la langue française, notamment par l'intermédiaire de sujets de société importants. Il me semble qu'elle demeure une très belle langue de résistance. J'ai souvent l'impression que défendre ou protéger ne nous amène qu'à révéler des fragilités même s'il faut les reconnaître. Il convient d'être vigilant et de faire attention à la muséographie, au rejet de ce qui évolue et se transforme. La Chartreuse effectue ce travail de mutation sans toutefois être dans la rupture. Faut-il donc défendre la langue française ou se dire que notre travail est d'accompagner les artistes ? Certes, c'est une langue qui provoque de l'affect mais il faut toujours se rappeler qui s'est chargé de la faire respecter et aimer.
Dans le cadre des résidences dans le contexte actuel, avez-vous envisagé des séquences en digital pour maintenir les liens avec les auteurs ?
Lorsque les résidences avec des auteurs étrangers n'ont pas pu se faire, nous nous sommes appuyés sur les méthodes digitales actuelles. Maintenant, les apports d'une résidence à la Chartreuse ne peuvent pas être remplacés par le numérique. Depuis un an, nous nous interrogeons sur ce qui représente la version toxique de la digitalisation mais je suis arrivée avec l'idée qu'il ne fallait jamais refuser un outil, un véhicule pour aller vers le plus grand nombre. Nous avons alors lancé la création d'un magazine web qui va paraître tous les six mois à partir du mois de septembre. Il prendra appui sur l'ensemble des rencontres qui se seront passées au printemps et à l'été. Ce sera une réflexion éditoriale avec des reportages et des vidéos. Parallèlement, je recherche une autre manière de partager de façon permanente ce qui s'écrit dans les murs de la Chartreuse.
À un moment où la culture est particulièrement touchée par la crise sanitaire, quelles sont les perspectives qui vous tiennent à cœur dans les prochains mois ?
Nous ne savons pas si nous pourrons accueillir du public cet été mais nous sommes certains de pouvoir faire travailler des artistes et des chercheurs. Dans ce cadre contraint, une quinzaine de résidents sont présents et tout se passe bien. Nous élaborons aujourd'hui un programme joyeux pour entendre des textes, créer un bivouac de comités de lecture ou recevoir le dernier Lauréat du Prix RFI. Toutes ces personnes sont en train de questionner le monde à travers l'écriture et, par rapport à d'autres lieux culturels, nous avons vraiment la sensation d'être en activité. Si nous pouvons ouvrir aux spectateurs, ce sera formidable mais, même dans un accès exclusif aux professionnels, nous profiterons également de cet endroit de recherche, de création et d'échange.
L'Institut français est en partenariat pour trois ans avec la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon, notamment pour l'accompagnement d'autrices et auteurs francophones. La Chartreuse est l'un des lieux référents mis en place dans le cadre du plan présidentiel pour la langue française et le plurilinguisme.