Marie Houdin
Marie Houdin présente le 28 janvier son solo Unexpected. Dans le cadre d’un projet de recherches chorégraphiques et de collectes video et sonores autour des danses sociales et traditionnelles issues des diasporas africaines et natives américaines et de la résilience des peuples, Marie Houdin s’est rendue en 2018 et 2019 à Cuba, au Sénégal et à la Nouvelle-Orléans.
Mis à jour le 22/01/2020
2 min
La filiation entre le hip-hop et les danses de la diaspora africaine est au cœur de votre recherche. Pourquoi ce sujet ?
J’ai eu envie de mieux comprendre l’histoire de ces danses qui sont si populaires en France alors qu’elles ont vu le jour à New York dans les années 1970. Je me suis donc intéressée aux communautés afro- et latino-américaines à cette époque. Ce qui m’a conduite à l’histoire des Afro-Américains et de la traite transatlantique, puis à ce travail de recherche et de collecte sur les danses sociales et traditionnelles, créolisées, nées en Afrique et aux Amériques.
Vous êtes donc allée successivement à Cuba, au Sénégal et à la Nouvelle-Orléans…
Difficile de témoigner si on n’a pas expérimenté soi-même ! Cela fait des années que je travaille, à travers ces danses afro-américaines et leur fonction sociale, sur les notions de résilience et de déracinement. Il fallait impérativement que j’aille à leur rencontre dans leur contexte d’origine, géographiquement parlant. J’ai vécu moi-même dans ces voyages un grand déracinement, mais tout en me sentant habitée. Où que l’on aille, on est finalement toujours l’étranger de quelqu’un et en même temps son écho.
Comment s’est fait le choix de ces trois destinations ?
Je me suis basée sur la carte de la traite transatlantique et de l’histoire coloniale française, tout en m’intéressant à des danses qui portent en elles une dimension à la fois sociale et rituelle, des danses qui transmettent une histoire et sont encore aujourd’hui très populaires, et qui continuent d’évoluer. Cette quête m’a conduite au sabar sénégalais, à la rumba cubaine et, enfin, au Buckjumping des second lines et aux danses des cultures des « Mardi gras Indians » de la Nouvelle-Orléans. Ces danses sont bien vivantes et imprévisibles. Et on ne les trouve nulle part ailleurs dans le monde dansées de la même façon que sur leur territoire.
La rumba cubaine, par exemple, est très représentative : c’est une culture fondamentalement créolisée. Héritée notamment à la fois du flamenco, une culture du colonisateur – lui-même né de résistance et de résilience en Espagne andalouse. Héritée également des cultures apportées par les esclaves africains, issus de différents peuples – Yoruba, Abomey, Congo, Arrarra –, la rumba cubaine a donné naissance à une variante congolaise. Rien qu’avec cet exemple, on observe ainsi la filiation d’un patrimoine immense fortement lié à la colonisation. Les Cubains sont d’ailleurs très fiers de leur rumba : elle montre qu’ils ont su se relever d’une histoire traumatique et créer leur propre culture, sans oublier d’où ils viennent.
Comment avez-vous travaillé sur place ?
Il y a eu tout un travail de préparation, en amont, grâce au réseau culturel français, pour prendre contact avec des passeurs de culture locaux. Une fois sur place, j’ai pu, grâce à eux, être introduite auprès d’autres personnes relais, qui ont elles-mêmes présenté mon projet auprès des danseurs. J’ai pu de ce fait filmer des manifestations populaires, communautaires et traditionnelles, certaines spontanées, d’autres prévues de longue date, ce qui m’a permis de prendre rendez-vous avec des danseurs, pour les interviewer.
Ces interviews sont sensiblement les mêmes d’un continent à l’autre : je m’efforce de suivre un protocole que j’ai déterminé dans le cadre de mes recherches chorégraphiques, autour d’éléments fondamentaux qui lient ces danses entre elles tout en les distinguant. Les interviews se réalisent en deux temps : un temps de questions/réponses et une interview dansée. J’ai ré-invit’ certains de ces danseurs ensuite, pour faire ce que j’ai nommé des « dialogues dansés » , à trois danseurs. La plupart d’entre eux m’ont proposé de les suivre dans leurs spectacles, leurs cours de danse, leur famille. J’ai ainsi pu en filmer certains sur tout un parcours. Enfin, il y a eu, quand c’était possible, toute une collecte spontanée, au gré des rencontres, en fonction des codes de chaque pays.
Comment allez-vous exploiter cette immense quantité de vidéos et de sons que vous avez rapportés ?
Je vais les partager sur les réseaux sociaux d’abord, pour toucher un maximum de gens, sur un site internet dédié ensuite, que j’aimerais participatif, à terme. L’idée est de présenter un certain nombre d’improvisations sans montage, ou par des montages très simples, pour ne pas dénaturer la collecte par mon point de vue et en faire un vrai outil scientifique. Également pour placer la danse, et aussi l’humain au cœur du projet. Les montages viendront refléter l’approche chorégraphique que je propose à travers cette collecte. Cela s’inscrit également dans l’idée de poursuivre cette collecte, et qu’elle devienne participative.
Vous rejouez fin janvier un solo, Unexpected, créé en juin 2019. Ce travail chorégraphique s’est-il nourri de vos voyages ?
Pour ce solo – qui est mon premier, à 36 ans et après 15 ans de carrière ! –, j’ai voulu travailler la relation à l’autre, de l’individuel au commun, de l’intime au public. C’est au fond une traversée initiatique de ce que j’ai vécu. J’y mêle également la notion de relation entre mémoire personnelle et collective, entre une fille blanche née dans une petite ville française et des cultures de résilience et de résistance de communautés noires. Ces voyages et ces rencontres m’ont mis face à l’histoire du pays où j’ai grandi, la France, et face à mon rapport à l’ancestralité.
C’est un spectacle pour l’espace public. Dans l’espace de danse, je dialogue avec un musicien et j’y mêle des voix et des sons que j’ai collectés sur ces trois terres. Si je suis ainsi seule à danser sur le plateau, c’est aussi un duo, et qui se joue au cœur d’un cercle de spectateurs, par le cœur et pour le cœur, de l’individuel au commun, de l’intime au public.
Ce travail de collecte va-t-il conduire à d’autres projets ?
Oui, ce n’est qu’un début ! Plusieurs projets en cours s’en nourrissent déjà : un échange entre danseurs français et new-orléanais, “New Orleans fever”, avec des performances en mars 2020 à La Nouvelle-Orléans et en septembre en France, à Orléans, Lille et Rennes ; une création 2021 associant Sénégalaises, Françaises et une danseuse caribéenne ; des performances de danseurs de tous ces pays dans le cadre du festival Hip Opsession de Nantes… J’espère aussi retourner au Sénégal en 2020 pour y danser Unexpected et monter des stages de danse, et retourner à Cuba pour travailler avec le chorégraphe contemporain Yanoski Suarez et travailler avec des danseurs des ballets folkloriques notamment !
La collecte n’est pas non plus terminée. Je la commence en France, et je prévois de la poursuivre au Bénin et au Togo – pour étudier les danses vaudou, nées en Afrique puis diffusées aux Caraïbes et aux Amériques avec la colonisation – et aussi en Côte d’Ivoire, dans un premier temps. Je prévois de ne pas vivre les voyages seule cette fois-ci, mais avec à chaque fois un danseur que j’ai rencontré lors de mes voyages et avec qui je vivrai le périple.
Unexpected sera présenté à Bretagne en scène(s) le 28 janvier 2020 à 10h30 à Carhaix. Le travail de Marie Houdin a été soutenu par l’Institut français dans le cadre de ses partenariats avec la Ville de Rennes, Rennes Métropole et la Région Bretagne.
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