Mia Rodriguez Sarmiento
Ingénieure, spécialiste de management culturel et de direction de postproduction audiovisuelle, la Colombienne Mia Rodriguez Sarmiento milite pour le développement international du secteur des réalités immersives. Elle était en mars en France, à l’occasion du Laval Virtual, salon international dédié à la réalité virtuelle.
Mis à jour le 10/05/2019
5 min

Mia Rodriguez Sarmiento travaille au sein du département Nouveaux Médias de Proimagénes Colombia, fonds mixte de promotion cinématographique, pendant du CNC français. Elle est également consultante en industries créatives pour le programme des nations unies pour le développement.
Quelle a été votre expérience du Laval Virtual ?
Absolument bouleversante. C'est émouvant et rare de se retrouver tous ensemble au même moment, au même endroit, à explorer, défricher, expérimenter un nouveau terrain, envisager des possibilités de coopération et de collaborations, et se poser ensemble des questions sur la technique, sur l'appropriation de la technologie, et surtout, sur l’humanité.
Connaissiez-vous déjà la création de réalité augmentée et de réalité virtuelle française ?
La France est leader dans l’exploration de nouveaux schémas de création : c'est un partenaire de choix pour les industries créatives. Chacun de mes voyages dans l’Hexagone me permet de découvrir des projets enthousiasmants. Un projet de cette édition du Laval Virtual m’a particulièrement marquée : Hanahana de Mélodie Mousset. Une immersion dans un espace surréaliste et sans limites, une expérience sublime traitée du point de vue de l’utilisateur, avec une bienveillance toute singulière. J'aurais aimé y rester ! J’en suis sortie apaisée pour toute la journée.
Quelle place occupe l'Amérique latine dans l'univers de la création et de l'innovation ?
L'Argentine et le Brésil sont en bonne position – devant la Colombie –, simplement du fait de leur taille et de leur tradition audiovisuelle – même si leur avenir reste incertain du fait des changements de gouvernements. La Colombie, de son côté, sort tout juste de 50 ans de guerre. C'est tout de même remarquable que, dans un pays où il n'y a jamais eu vraiment d’investissement financier en faveur de la culture, il existe un fonds pour le cinéma comme Proimagénes. Les pouvoirs publics ont renoué avec le cinéma en 2003, avec la « loi du cinéma » qui a permis l'éclosion de films colombiens. Aujourd’hui, de nombreux créateurs se tournent vers les réalités immersives. Paradoxalement, cette forme de création ressemble à un retour au 35 mm : on pose la caméra et on ne sait pas ce que cela va donner. Il faut être patient, attentif à l’ensemble de la production… On redécouvre l'amour pour la matière et le soin de la réflexion. Et ces films sont de plus en plus diffusés : rien qu'à Bogota, il y a cinq festivals différents qui permettent de découvrir la VR. Tout va très vite !
Avez-vous des projets de collaboration internationale ?
Proimagénes a conclu un accord exclusif avec le Canada pour le co-développement de webséries et d'autres projets médias numériques. Nous travaillons également à des accords internationaux entre la Colombie, le Canada et la France. Les exemples de collaboration entre la France et la Colombie existent bien sûr déjà. Notamment dans le secteur du film d'animation par le biais de la société de production colombienne Nocroma, qui a produit Lupus en 2016 en coproduction avec deux sociétés françaises, JPL Films et Ikki Films. Côté longs métrages, nous pourrions citer le travail de Jacques Toulemonde qui est né à Bogota au sein d'une famille française et dont le premier film sorti en 2015, Anna, est une co-production franco-colombienne.
Que pensez-vous du soutien français à la création culturelle ?
Dans mes échanges, j'ai toujours eu des interlocuteurs ouverts, attentifs, prêts à échanger, à développer un réseau. Il y a ici une vision assertive et bienveillante qui mène à profiter de la moindre opportunité pour être les premiers à faire bouger les choses. La France est à la fois un catalyseur de créativité et un catalyseur d'aventures créatives ! Cela en fait une destination de choix pour les créateurs, comme Carlos Franklin, Colombien installé à Paris et figure de référence dans le milieu de la VR. Il est aujourd’hui plus connu ici que dans son pays d’origine, ce qui représente un pont idéal pour développer des co-créations.
Pensez-vous que la langue puisse être un obstacle à la naissance de collaborations internationales ?
J'ai vu Les Falaises de V., une expérience entre théâtre et réalité virtuelle, de Laurent Bazin. Il y avait des sous-titres mais on s'est rendu compte que la langue importait finalement peu. En réalité immersive, il n'est pas nécessaire de toujours parler. Les émotions, les sensations ont leur propre langage, que tout le monde, quelle que soit sa langue, comprend. De nombreux projets ont recours plutôt à la musique. Le processus cognitif est plus accessible, ce qui permet d'explorer davantage. La réalité immersive a ça de beau qu’elle est universelle.
Comment voyez-vous l’avenir ?
C'est une envie et une vision très personnelles peut-être, mais je souhaiterais grandement voir se développer des laboratoires de recherche visant à mettre en place des expériences immersives accessibles à tous, quel que soit l'âge ou les moyens financiers. Cette accessibilité est essentielle si nous souhaitons désacraliser cette crainte de la technologique et de l’innovation pour les rendre plus positives dans l’imaginaire de tous.
Je suis très optimiste pour le futur : accessibilité, circulation, co-création. Les industries créatives, grâce aux réalités immersives, peuvent avoir un impact considérable sur tous les autres secteurs de l'industrie. Alors que nous sommes en pleine 4e révolution industrielle, nous avons de plus en plus besoin de soft skills, de s'ouvrir et d'apprendre à être plus créatif. La créativité, les arts et le design se mettent au service de la science, de la technique, des mathématiques, de l’économie, de la société... Nous pouvons faire beaucoup grâce aux industries créatives. Et j'en suis encore plus convaincue après mon passage en France !

Mia Rodriguez Sarmiento a participé, du 18 au 22 mars 2019, au Focus Réalités immersives organisé par l’Institut français.
Le Focus accueillait 28 professionnels du monde entier pour leur faire découvrir la création du secteur. En savoir + sur le Focus réalités immersives