Moly Kane
Scénariste, réalisateur et producteur, Moly Kane œuvre pour la promotion du cinéma africain. Alors qu'il vient de clôturer, au mois de décembre, la deuxième édition du festival Dakar Court, le jeune Sénégalais confie son optimisme quant à l’avenir du cinéma africain.
Publié le 17/01/2020
2 min
Pourquoi avez-vous fondé le festival Dakar Court en 2018 ?
Dakar Court fait la promotion du court-métrage de fiction sénégalais et africain. Le festival est né d'un constat : ces dix dernières années, de nombreux courts-métrages ont été réalisés par de jeunes cinéastes sénégalais – même si, parmi eux, une dizaine seulement sortira sans doute du lot et décrochera une récompense au niveau international. Il n'est pas rare non plus que certains réalisateurs confirmés, qui ont fait des longs métrages, se tournent vers le court métrage au milieu de leur carrière. Or le court-métrage est délaissé par les producteurs qui considèrent qu'il n'y a pas d'économie autour de ces projets. Ce constat, je l’ai partagé avec mes proches, réalisateurs comme comédiens. Ils m'ont suivi sur le projet de festival.
Dakar Court propose des ateliers, des tables rondes, des rencontres professionnelles. Est-ce aussi important que les projections elles-mêmes ?
Ces rencontres permettent à de nombreux jeunes, en formation avec Talent Dakar, de discuter avec les réalisateurs, scénaristes et producteurs invités pour mieux connaître les institutions, identifier les différents métiers du cinéma et encore découvrir des ressources – notamment les fonds de la Cinémathèque Afrique – ou encore de mieux appréhender les questions de financements et les différentes aides existantes. C’est important de pouvoir rencontrer les experts pour poser des questions et obtenir des réponses !
Comment sélectionnez-vous les films ?
Suite à l’appel à candidatures lancé en février 2019, nous avons reçu 200 films d’Afrique et de la diaspora. Après une première présélection de 30 d’entre eux par un comité d’experts extérieurs, 11 films ont été retenus par un comité interne. Ils ont concouru pour les 5 prix du festival : le Prix de la distribution, qui récompense un film qui n’a pas de distributeur ; les Prix de la meilleure interprétation féminine et masculine ; le Prix national – réservé aux films sénégalais ; et le Grand Prix du Jury.
Quel bilan tirez-vous de cette deuxième édition ?
Un bilan très positif ! Le nombre de visiteurs a doublé entre la première et la deuxième édition, passant de 2500 à 4000 visiteurs. C'est extraordinaire. Tout le public n’a pas pu entrer dans les salles où étaient projetés les films en compétition, il y avait plus de monde dehors que dedans, certains étaient même assis par terre. Et on a pu constater que le public cinéphile était au rendez-vous pour les cérémonies d'ouverture et de clôture.
Le jury international était présidé par Euzhan Palcy, première femme à avoir décroché un César, en 1984, pour sa Rue Case-Nègre. À ses côtés, on trouvait Berni Goldblat, Selly Rabi Kane, Gora Seck et Olivier Barlet.
À travers ce festival, vous démontrez que le cinéma africain est riche, pourtant il apparaît encore souvent comme la branche pauvre de l’industrie cinématographique mondiale. Comment percevez-vous le cinéma africain aujourd’hui ?
Je suis convaincu que le cinéma africain se porte bien. C'est un jeune écolier qui vient de décrocher son certificat avec mention, ce qui signifie qu'il est sur la bonne route pour aller décrocher son brevet, voire son bac. Aujourd'hui, la technologie nous permet de faire des choses que les générations précédentes ne pouvaient pas faire, car c'était très onéreux. Aujourd’hui, il suffit d’une caméra et d'une carte SD.
Économiquement, l'Afrique ne compte pas beaucoup, c'est vrai, mais dans les années ou décennies à venir, ce sera le cas ! L’ouverture de nouvelles salles de cinéma, comme celles du complexe Pathé-Gaumont prévu pour 2020 à Dakar, est un très bon signe.
Vous êtes vous-même réalisateur. Quels cinéastes vous ont inspiré ?
Je pourrais citer Ousmane Sembene, considéré comme le père du cinéma africain : c'est le premier Africain à avoir reçu un prix, en 1963, pour Borom Sarret, au Festival de Tours, et aussi à avoir fait un film en couleur, Ceddo. Il est aussi à l’origine du FESPACO, à Ouagadougou.
Parmi les cinéastes encore vivants, que je suis de près, j’évoquerais Souleymane Cissé, et notamment son film Den Muso (La Jeune Fille, 1975), qui m'a beaucoup marqué, Alain Gomis, qui a eu l'Ours d'argent à Berlin pour Félicité (2017), Euzhan Palcy ou encore Raoul Peck.
Vous avez fondé Ciné Banlieue Dakar avec vos camarades et Abdel Aziz Boye, créé votre maison de production Babubu films et vous présidez également l'association Cinémarekk qui soutient Dakar Court. Où trouvez-vous la volonté de mener à bien tous ces projets de cinéma ?
Toute cette énergie vient de mon passé. Je suis né à Pikine, dans la banlieue de Dakar, où vivent 2 millions d'habitants. C'est un quartier pauvre économiquement mais on y trouve des hommes et des femmes de valeurs, qui se battent tous les jours pour l'économie du pays. Ma génération a été éduquée par nos parents, illettrés pour la plupart mais qui nous ont donné une éducation de valeur. Ils nous ont fait comprendre que dans la vie, il faut une force de résistance, de volonté, de courage pour déterminer son chemin. Moi, je l'ai eue par le biais de mes parents, de mes frères mais aussi de la communauté – car elle nous éduque aussi. De plus, je suis une personne en situation de handicap donc j'ai dû affronter le regard de l'autre, ce qui m'a beaucoup appris. Quand je m'engage sur un projet, je dis comme Obama : Yes, we can, je peux le faire. Sur tous les projets que j'entreprends, de l'association aux festivals, je donne mes nuits et mes jours. Si j'ai un conseil à donner aux jeunes, c'est qu'il faut faire des études. Le travail finit toujours par payer.
Le Dakar Court Festival est soutenu par l'Institut français.