Mylène Benoit
La chorégraphe française Mylène Benoit et la marionnettiste allemande Julika Mayer ont créé Georges en 2018 à Avignon dans le cadre des Sujets à Vif. De cette pièce a germé l’idée d’un projet participatif, Moving through time, avec des enfants d’une école primaire et des personnes âgées d’une maison de retraite, en Slovénie. Une expérience puissante pour Mylène Benoit qui rêve de voir davantage de maisons de retraite reliées à des écoles et à des crèches.
Mis à jour le 10/05/2021
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Qu’est-ce qui vous a attirée dans l’idée d’intergénérationnalité pour le projet Moving through time ?
L’idée de l’intergénérationnalité m’est venue après la production de Georges : cette pièce met en scène des corps inertes, les marionnettes, que nous animons pour en faire des corps vivants capables de danser. Moving through time s’inscrit dans la continuité de cette réflexion autour de ce qui nous rend vivant. Aux marionnettes viennent cette fois s’ajouter des corps vivants : des corps en début de vie – des enfants – et des corps qui se savent à la fin de leur vie – des personnes âgées. Ensemble, ces corps posent, sous un autre angle, cette même question du vivant.
Aviez-vous déjà travaillé avec ces deux générations ? Qu’avez-vous l’impression de leur avoir apporté ?
Je travaille depuis plusieurs années en France avec des groupes d’une vingtaine de personnes, qui ont rassemblé des participants de 7 à 75 ans, pour le projet Votre danse.
Dans le cas de ce projet monté en Slovénie, je pense que les enfants sont ressortis de cette expérience avec une plus grande capacité d’écoute, et de gestion du temps et de l’espace. C’est valable également pour les personnes âgées. Une des participantes est venue nous voir à la fin du travail, bouleversée par ce qu’elle avait vécu : elle ne pensait pas, à son âge, pouvoir continuer à apprendre. Un monsieur qui avait eu il y a quelques années un AVC lui laissant des séquelles importantes, a retrouvé, durant les trois semaines de travail avec nous, non seulement des pans entiers de sa mémoire mais également un niveau de motricité qu’on ne lui avait pas vu depuis des années !
Quand on s’implique dans une création participative en tant qu’amateur, je crois qu’on ne mesure pas forcément l’ampleur du travail individuel et collectif nécessaire, ou la rigueur exigée. Inversement, faire écrire une chorégraphie, sur le plateau, à neuf personnes dont ce n’est pas le métier est une expérience essentielle pour nous.
Comment la pièce a-t-elle été reçue ?
Moving through time a été, dans un premier temps, présentée aux élèves de l’école primaire dans laquelle nous travaillions. La réception de la pièce a été extrêmement joyeuse, à l’image du public. Nous avons ensuite donné une représentation au sein de la maison de retraite. C’est ici que nous avons pu mesurer ce que ces trois semaines de travail avaient apporté à nos participants : ce projet les avait littéralement réanimés et la confrontation aux autres résidents nous a donné la mesure de cette transformation. Une quatrième représentation a eu lieu dans l’église déconsacrée qui jouxte le Théâtre de Marionnettes de Maribor. Tous les spectateurs ont été bouleversés. Car dans Moving through time circule, de manière omniprésente, la question de ce qui fait commun, et de ce qui nous tient vivant… Quel que soit notre âge.
Travailler en contexte slovène pose la question de la langue de travail… Comment avez-vous surmonté la barrière de la langue ?
Le projet s’est déroulé pour l’essentiel en anglais, les enfants étant tous bilingues ! Deux interprètes nous ont accompagnées pour traduire de l’anglais vers le slovène quand cela était nécessaire, essentiellement pour les personnes âgées. Ce trilinguisme a été pour moi l’une des dimensions les plus passionnantes du projet : j’ai vraiment eu la sensation qu’en nous engageant dans cette collaboration entre la France, l’Allemagne et la Slovénie, nous étions en train de donner corps à ce que l’Europe pourrait être.
Moving through time est-elle emblématique de votre approche pluridisciplinaire ?
Dans mon travail, chaque signe – objet, image, couleur, forme – participe d’une façon de penser l’espace scénique. Sur scène, je travaille plutôt autour de la présence humaine que d’une chorégraphie. Selon les projets, cette présence s’appuie sur des médias différents qui peuvent être la lumière, l’objet, la marionnette, ou encore la voix.
Dans Moving through time, nous avons recomposé un espace fictionnel dans lequel les corps des marionnettes avaient la possibilité d’être réanimés à travers un rituel chanté et dansé. L’articulation entre l’espace, le son, la présence de rituels destinés autant à des corps marionnettiques qu’à des corps humains étaient à l’image de cette pluridisciplinarité.
Comment s’opère le choix entre matériaux concrets (carton, chiffon notamment) et le virtuel, que vous combinez dans vos créations ?
J’ai étudié les arts visuels à Londres où j’ai particulièrement été formée à la pratique des médias contemporains. Au début des années 2000, à force de travailler sur la vidéo, je me suis rendu compte que les images produites par la société contemporaine informaient et transformaient le corps humain. Il m’est apparu que le seul moyen de mettre le corps au premier plan, de se rappeler à lui, était de travailler avec la danse.
Peu à peu, l’image visuelle a disparu de mes créations au profit d’un tissage de nouvelles images, plurisensorielles, convoquées par la lumière, le son, la marionnette, le texte, ou encore le chant. Cette polyphonie est le fondement de mon écriture chorégraphique : elle me permet de donner à voir de toutes les manières possibles ce que le corps humain a d’irréductible.
Le projet de Mylène Benoit bénéficie du soutien de l’Institut français dans le cadre de son partenariat avec la région Hauts-de-France.
L’Institut français s’associe aux collectivités territoriales pour le développement des échanges artistiques internationaux.
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Moving through time, de Mylène Benoit a également été soutenu dans le cadre du Fonds culturel franco-allemand 2019.
Piloté par l’Institut français pour sa partie française, ce fonds favorise la coopération culturelle franco-allemande à l’étranger en appuyant des projets menés en étroite collaboration avec les acteurs culturels locaux.