Omar Victor Diop
Photographe autodidacte, Omar Victor Diop naît à Dakar en 1980. Inspiré par l’art du portrait et plus particulièrement de l’autoportrait, il s’empare des codes de la photographie africaine de studio des années 1950 dans une approche contemporaine. Exposé pour la première fois en 2011 aux Rencontres de Bamako, il rencontre un succès fulgurant. Il conquiert Arles lors des Rencontres de la photographie l’année suivante, et signe en 2020 l’identité visuelle de la Saison Africa2020.
Mis à jour le 09/09/2020
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Vous avez d’abord fait des études de commerce en France, comment s’est opéré le changement de trajectoire vers la photographie ?
Tout a commencé parce que je m’ennuyais de ma vie professionnelle. Je travaillais alors dans un cabinet de conseil et le dimanche, je faisais des randonnées. Je me suis mis à faire des photographies, d’abord de paysages urbains puis en studio. À Ouakam (Dakar), j’avais à l’époque un appartement au rez-de-chaussée avec une petite cour, cela me permettait d’utiliser la lumière naturelle parce que je n’avais évidemment pas de matériel. Je photographiais les personnes qui passaient me voir chez moi et un jour, j’ai fait une série avec une amie mannequin. Je me suis mis à bricoler des tenues avec du matériel de récupération et à poster les images sur Facebook. C’est comme ça que des professionnels de l’image ont remarqué mes photos, et m’ont encouragé à postuler aux Rencontres de Bamako.
À peine deux mois après avoir commencé la photographie, vous avez exposé aux Rencontres de Bamako en 2011. Tout est allé très vite : racontez-nous vos premiers pas dans la photo.
On a pris mon travail au sérieux avant que je ne le fasse ! Après les Rencontres de Bamako, tout s’est enchaîné assez vite, surtout d’un point de vue médiatique. La première fois que j’ai vu ma photo dans un journal, c’était dans Libération et la même semaine j’étais dans Jeune Afrique et CNN. Je n’en revenais pas. J’avais un gros syndrome de l’imposteur, je me disais que tôt ou tard, je serai démasqué. J’ai passé des nuits blanches à regarder des tutoriels sur internet et à lire des livres sur la photographie pour les nuls. Il fallait que je me mette à niveau ! Je me souviens que j’avais des propositions de magazine pour des portraits. Je mettais mon matériel dans le coffre de ma voiture en allant au travail et je profitais de ma pause déjeuner pour aller sur les shootings. C’était sportif !
Votre première grande série « Le Studio des Vanités » (2012) rendait hommage aux portraitistes africains, tandis que « Diaspora » (2014) s’articulait autour d’auto-portraits. Comment expliquez-vous cette sensibilité à l’art du portrait ?
Si je savais peindre, je ne serais pas photographe. Ce qui m’intéresse, c’est de raconter les gens. Quand on shoote un portrait, d’une image à une autre, on a différentes versions d’une même personne. Mon moment préféré, c’est après la séance, quand je les édite, et que je choisis quelle interprétation de la personne je vais mettre en avant en y ajoutant mon « grain de sel ». Pour moi, le portrait est une façon de découvrir quelqu’un et de l’aider à se découvrir. C’est un prétexte pour raconter les gens qui m’entourent et font ma vie. La multitude de personnages que je rassemble dans une série, c’est ma façon de raconter mon monde.
Vous inscrivez-vous dans la lignée d’artistes tel que Seydou Keïta, grand portraitiste et photographe autodidacte ?
On m’a souvent comparé à Malik Sidibé et Seydou Keïta. J’avais déjà entendu leur nom, mais je n’avais pas fait le travail de recherche pour connaître leur travail. J’ai plutôt été influencé par le photographe de mon grand-père : Mama Casset, le Seydou Keïta sénégalais. Il est moins connu parce qu’une grande partie de son œuvre a brûlé ou disparu. C’était un portraitiste qui faisait des photographies exquises avec une grande qualité esthétique, du glamour des années 1960 à l’africaine. Son style est très similaire à celui de Seydou Keïta, on peut les confondre si on ne reconnaît pas les traits physiques des différentes ethnies de cette zone. Je me revendique de cet héritage, de tous ces grands portraitistes des grandes villes africaines, de Dakar à Kinshasa.
Comment avez-vous imaginé et conçu l'identité visuelle de la Saison Africa2020 ?
Je suis surtout intervenu dans le stylisme et la mise en scène. Je voulais que l’image dise « Afrique 2020 » sans que cela soit écrit. L’Afrique de 2020, c’est une Afrique qui peut se définir autrement, avec des couleurs pastel, qui n’a pas besoin d’être cantonnée au wax et aux cauris. Pour concevoir l’affiche, nous avons voulu un casting « sauvage », nous n’avons pas fait appel à une agence, les modèles ont été trouvés par le bouche-à-oreille ou via Instagram. On voulait que ce soit de « vraies gens ». Une fois le casting réalisé, on a tous écrit aux designers que l’on connaissait. C’était très organique, on a reçu des lookbooks par WhatsApp, échangé à 3h du matin le dimanche… On a shooté dans un studio photo dans un appartement à Paris, c’était très familial, j’avais l’impression d’être dans mon studio à Dakar.
Qu’est-ce que signifie « This is Africa » pour vous ?
Pour moi « This is Africa » illustre une volonté de s’approprier le temps présent. On ne veut plus vivre dans le passé ni dans un hypothétique futur. Pour moi « This is Africa » c’est s’arroger le droit en tant qu’Africain d’être de toutes les conversations, de tous les lieux et de tous les contextes. « Demain, l’Afrique » c’est un slogan pour hier.
Pour N’Goné Fall, Commissaire Générale, cette saison est « une invitation à regarder et comprendre le monde d’un point de vue africain ». Que souhaitez-vous transmettre par vos images ?
Donner envie. Mon objectif et mon attente par rapport à cette saison, c’est que les gens aient envie de faire leur devoir à la maison, qu’ils aient envie d’en savoir plus, de se renseigner sur internet, et pourquoi pas, de réaliser un séjour à Dakar !
Avant, je parlais dans mon coin. Avec la saison Africa2020, c’est comme si on m’avait mis un porte-voix entre les mains.
Initiée par Emmanuel Macron, le Président de la République française, la Saison Africa2020 se déroulera sur tout le territoire français (métropole et territoires ultra-marins) de décembre 2020 à juillet 2121. Elle sera dédiée aux 54 États du continent africain.
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