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Rui Paixão est à l’origine du projet Kinski, un spectacle présenté à Lyon dans le cadre de la Saison France-Portugal 2022

Le clown n’a pas de personnalité propre. Il s’agit essentiellement de vous et de votre perspective. Il vous permet de donner une nouvelle image de vous-même.

Artiste de rue portugais à l’imagination débordante, Rui Paixão n’hésite pas à collaborer avec le public. Dans le cadre de la Saison France Portugal 2022, mise en oeuvre par l'Institut français pour la partie française, Les Subs à Lyon accueillent le spectacle Kinski, une « Walking Art Performance » créée en collaboration avec Cristóvão Neto. 

Mis à jour le 23/06/2022

5 min

Image
Rui Paixão
Crédits
© João Versos Roldão - RuiPaixão - KISNKI - Imaginarius - LowRes

Redonner vie au personnage du clown est un élément central de votre carrière. Comment vous êtes-vous pris pour y parvenir ? 

En toute franchise, je n’aime pas me définir en tant que clown. Les techniques de clown ne m’intéressent pas tellement. Je trouve bien plus intéressant d’étudier l’univers du clown et son image, l’aspect philosophique du clown en tant que représentation de ce que nous avons perdu en tant que société.  Je crois que le public a perdu sa capacité à comprendre le clown. Au cours de ces dernières années, j’ai pu constater que les visages du clown étaient davantage associés à Trump ou Bolsonaro, sans oublier les films du Joker et les nouvelles bandes dessinées. C’est comme si nous étions submergés d’images du clown. J’ai donc commencé à me demander pourquoi nous avions développé cette obsession à son égard. Selon moi, il existe une explication toute simple : il représente l’innocence que nous avons perdue en tant que communauté. Nous ne savons plus faire la différence entre le bien et le mal. Les clowns drôles ont disparu de notre société. 

Ce que je m’efforce de faire, c’est d’analyser les éléments clés du langage du clown, par exemple la métamorphose et le rire, et de les replacer dans la société moderne. J’essaie de comprendre pourquoi le clown se métamorphose. Cela lui donne-t-il tous les droits ? S’il s’agit d’une protestation, puis-je m’y prendre autrement et conserver l’innocence ? Le clown n’a pas de personnalité propre. Il s’agit essentiellement de vous et de votre perspective. Il vous permet de donner une nouvelle image de vous-même. 

 

Comment avez-vous rejoint le programme de la Saison France Portugal 2022 ? Comment est née votre collaboration avec Cristóvão Neto dans le cadre du projet Kinski ? 

Stéphane (Malfettes, le directeur des Subs) est très proche du monde du cirque moderne et a trouvé très intrigant le fait que le programme n’ait jamais intégré un clown. Il s’est dit que mon travail sur le clown se distinguait des autres et a décidé de venir me voir à Lisbonne. C’était une première pour moi, qui s’est soldée par une offre d’emploi. Nous partagions des visions très similaires et, pour la première fois, je me suis dit que je pourrais réellement faire ce que je voulais. Ce fut la première étape de ce projet. Quant à Cristóvão, il enseignait lorsque j’étais moi-même étudiant, mais nous ne nous étions jamais rencontrés. Lorsque j’ai commencé à imaginer les personnages que je souhaitais créer, je savais que j’allais recourir à des prothèses et à des perruques. Cristóvão fut la première personne que j’ai contactée pour m’aider à les créer, puis il est devenu une sorte de mentor. Son expérience des arts visuels contraste avec mon expérience des arts du spectacle. Il existe un vrai décalage entre nos deux mondes, mais je suis très enthousiaste à l’idée de trouver un moyen pour les réunir. Bien que je crée des personnages depuis 2015, je n’ai jamais réussi à collaborer convenablement avec d’autres personnes.  L’aide financière dont bénéficie ce projet m’a permis de le faire pour la première fois. 

KINSKI | Rui Paixão / Holy Clowns
KINSKI | Rui Paixão / Holy Clowns

L’histoire du Roi de Rats est des plus insolites avec un acteur sans emploi qui se retrouve obligé de vendre des dents de vampire pour survivre et qui finit par se transformer en rat. Pouvez-vous nous expliquer comment vous est venue l’idée de ce projet ? 

Tout d’abord, je me suis rendu à Lyon et j’ai passé une semaine aux Subs pour m’inspirer de l’endroit. Le nom de Klaus Kinski m’est venu à l’esprit et j’ai commencé à m’imaginer un acteur hautement controversé à la personnalité très complexe qui est prêt à tout. Au cours de mes recherches, j’ai découvert une chose très intéressante à propos de Nosferatu, le film dans lequel il a joué. Le réalisateur Werner Herzog explique que le film est une métaphore de la Seconde guerre mondiale et de l’invasion nazie, dans lequel les vampires et les rats font figure de symboles. Ensuite, j’ai pensé à Roger Ballen. Cristóvão et moi avions déjà étudié ses photographies lorsque nous l’avons rencontré à une exposition, où nous sommes tombés amoureux de son travail. Pour lui aussi, le rat est un symbole important. Dans son monde, ils vivent à l’écart de la société tout en étant des créateurs – il donne la possibilité aux rats d’être des artistes. J’ai donc commencé à imaginer une histoire autour de ces trois éléments – les artistes, les rats et les vampires – en m’inspirant de Klaus Kinski et de Roger Ballen. Le film « Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l’existence » du réalisateur suédois Roy Andersson m’a également servi de référence. Il met en scène deux hommes qui, malgré leurs plaisanteries, sont très déprimés. C’est en écrivant le texte que je me suis rendu compte que ma principale préoccupation était la précarité de l’artiste, un sujet tout à fait d’actualité au Portugal. Werner Herzog a voulu faire passer un message politique grâce à Nosferatu, et je m’efforce de faire passer le mien à ma façon. 

 

Roger Ballen, dont le travail a partiellement inspiré le projet, avait semblait-il une vision assez négative de l’humanité. Partagez-vous son pessimisme ? 

Oui ! Pour la simple raison que je suis un artiste. Je crois que la communauté artistique s’efforce de créer ces visions utopiques pour le monde, même si elle sait pertinemment qu’elles resteront des utopies. Toutefois, croire en nos rêves, ne serait-ce qu’un instant, peut être une sorte de délivrance. Et une délivrance comique lorsqu’ils prennent la forme d’un clown. 

Rui Paixão - KISNKI © João Versos Roldão - Rui Paixão - KISNKI - Imaginarius - LowRes
Rui Paixão - KISNKI © João Versos Roldão - Rui Paixão - KISNKI - Imaginarius - LowRes
Rui Paixão - KISNKI © João Versos Roldão - Rui Paixão - KISNKI - Imaginarius - LowRes
Rui Paixão - KISNKI © João Versos Roldão - Rui Paixão - KISNKI - Imaginarius - LowRes
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Rui Paixão - KISNKI © João Versos Roldão - Rui Paixão - KISNKI - Imaginarius - LowRes
Rui Paixão - KISNKI © João Versos Roldão - Rui Paixão - KISNKI - Imaginarius - LowRes
Rui Paixão - KISNKI © João Versos Roldão - Rui Paixão - KISNKI - Imaginarius - LowRes
Rui Paixão - KISNKI © João Versos Roldão - Rui Paixão - KISNKI - Imaginarius - LowRes
Rui Paixão - KISNKI © João Versos Roldão - Rui Paixão - KISNKI - Imaginarius - LowRes

Vous utilisez l’expression « Walking Art Performance » pour décrire votre genre. Cela implique une part d’improvisation et d’interaction avec le public. Comment jugeriez-vous leur manière de réagir au fait de devenir partie intégrante du spectacle ? 

Les gens ne réagissent pas toujours de la même manière. Je suis fasciné de voir comment les personnes agissent et réagissent au fait que je leur impose un changement de la réalité.  En fin de compte, je leur donne l’opportunité de bousculer leur routine quotidienne avec quelque chose sans queue ni tête qui leur offre un moment de répit. 

 

Est-ce l’imprévisibilité d’une telle méthode de travail qui vous séduit en partie ? 

Effectivement, cela signifie qu’il faut créer en temps réel. Les gens peuvent me faire part de leurs réflexions à propos de la création. Je leur donne la première réplique, puis nous construisons tout ensemble. Je veux être sûr qu’ils sont avec moi et s’impliquent de manière active dans le processus de création, ce processus d’itinérance et de construction de ce que nous regardons. Je viens du théâtre mais, ces derniers temps, je suis très attiré par le monde du cirque, et je trouve que la manière dont le public assiste au spectacle est très intéressante – dans un cercle. Les spectateurs voient le même artiste sous différents angles, et j’essaie d’appliquer cela au théâtre. Si les personnages peuvent être vus sous différents angles, les possibilités sont bien plus nombreuses. Et c’est plus drôle ! 

 

Ce projet va réunir divers acteurs de la scène artistique lyonnaise : étudiants de l’École des Beaux-Arts, musiciens, artistes de rue et élèves de l’école danse. Avez-vous l’habitude de travailler en aussi étroite collaboration ? 

Oui, mais pas autant qu’avec ce projet. Ce qui m’intéresse, c’est de créer quelque chose permettant à différents artistes d’ajouter leur patte. Pour moi, il s’agit de la précarité des artistes au Portugal mais, pour quelqu’un d’autre, il pourra s’agir de tout autre chose. Les gens sont libres de filmer et de changer la perspective, puis de partager avec leur propre public. Nous n’avons plus cet ego artistique, c’est-à-dire l’idée que je suis le seul à posséder le spectacle. Lorsque je mets sur pied un spectacle, tout le monde participe à la création et tout le monde peut le modifier à sa guise. Et ça, c’est beau ! 

L'Institut français et le projet

Le spectacle Kinski est présentée en France dans le cadre de la Saison France-Portugal 2022, qui est mise en œuvre par I'Institut français pour la partie française. 

En savoir + sur la Saison France-Portugal 2022 

L'institut français, LAB