Teddy Kossoko
Entrepreneur engagé, Teddy Kossoko est le fondateur de Masseka Game Studio. Classé par Forbes en 2018 parmi les 30 jeunes leaders qui veulent changer l’Afrique, il utilise les jeux vidéo pour faire découvrir les cultures africaines.
Mis à jour le 24/07/2020
2 min
Vous êtes né en Centrafrique il y a 25 ans. Vous êtes aujourd’hui installé à Toulouse où vous avez créé votre studio de jeu vidéo, le Masseka Game Studio. Comment en êtes-vous arrivé là ?
Après le baccalauréat, je me suis orienté dans l’informatique alors que ce secteur n’est clairement pas bien vu dans mon pays. Au début, mes parents y étaient opposés mais ont fini par accepter. J’ai intégré l’IUT informatique de Blagnac en 2012. Là-bas, je me suis rendu compte que les gens jouaient beaucoup aux jeux vidéo. Ils rentraient dans un univers et en ressortaient avec des connaissances sur des cultures. J’ai pu constater que les jeux vidéo avaient ce pouvoir et j’ai décidé que j’allais utiliser les puissances culturelles africaines pour apporter l’Afrique – ses richesses culturelles et historiques – au monde. Parallèlement à mes études, j’ai donc commencé à développer un premier jeu, Kissoro Tribal Game, inspiré du Kissoro, un jeu de plateau très populaire en Centrafrique et que l’on retrouve partout sur le continent africain.
Pour ce jeu et pour d’autres, inspirés des traditions orales africaines et adossés à l’histoire, vous avez travaillé avec des chercheurs du CNRS. Comment se déroule la collaboration ?
Les jeux vidéo sont un bon moyen de vulgariser les connaissances et de les partager avec le plus grand nombre ! Nous partageons cette vision avec le CNRS, qui met à notre disposition ses ressources documentaires et nous accompagne dans leur adaptation. De notre côté, nous faisons des choix entre l’historique et l’imaginaire. Pour beaucoup d’historiens, c’est une aberration de faire cohabiter tradition orale et histoire « réelle ». Pour nous, c’est toute une richesse.
Comment se compose votre équipe ?
Une partie de l’équipe est à Toulouse et une en Afrique. L’un de nos objectifs, c’est de bâtir un pont entre l’Afrique et l’Europe. Nous faisons en sorte de toujours avoir une équipe dans les pays où se situent nos jeux. Ce travail en équipe dans plusieurs pays permet à chacun de monter en compétences et de partager des ressources ainsi que des expériences.
Quel public visez-vous avant tout ?
Nous avons deux publics : l’un est Européen, l’autre Africain. Car aux yeux de beaucoup d’Occidentaux, l’Afrique n’a pas d’histoire. Mais c’est le cas aussi aux yeux de beaucoup d’Africains, qui méconnaissent leur propre histoire. Il faut « déprogrammer les cerveaux » et leur faire prendre conscience que leur histoire commence avant l’esclavage et la colonisation… La majorité des jeux que nous créons et éditons sont des jeux familiaux. Nous ciblons principalement l’Afrique et essentiellement le marché du mobile car 600 millions de smartphones sont en circulation sur le Continent, alors que le public africain a très peu de consoles et de PC gaming. Par ailleurs, il est plus facile de distribuer des jeux pour mobiles et le coût de développement est moins cher. Nos jeux sont « freemium », c’est-à-dire gratuits au téléchargement, avec certains contenus payants. Ce modèle fonctionne bien en Europe. Pour l’Afrique, nous développons un store d’applications destiné au marché africain, qui permettra de monétiser les contenus numériques sur ce territoire – les Africains n’ayant pas de carte de crédit, c’est plus difficile pour le moment.
Au-delà de vos propres créations, vous cherchez aussi à valoriser les initiatives des autres studios de jeux africains, à travers la plateforme que vous avez créée : africangamingnetworks.com…
Je me suis rendu compte qu’outre les difficultés de formation et de monétisation des jeux vidéo, le problème était aussi organisationnel. Nous avons des créateurs très actifs mais peu identifiés de ceux qui pourraient financer les projets. La plateforme vise en premier lieu à référencer les créateurs. Elle propose également une cartographie de l’écosystème du jeu vidéo en Afrique, et permet de sélectionner des talents à soutenir financièrement. La plateforme a également été pensée comme un outil de partage d’expériences, de mutualisation de templates de Business Plans et d’évaluation des jeux. Nous en sommes au début : 6 jeux sont référencés pour le moment.
L’Afrique et ses créateurs sont de plus en plus mis à l’honneur en Europe. On voit plusieurs programmes se développer à l’image du Digital Lab Africa (DLA), ou encore des évènements tels que la Paris Games Week. Quel tableau peut-on dresser de la création africaine en matière de jeu vidéo à l’heure actuelle ?
Nous sommes aux débuts de la création africaine en jeu vidéo. Nous avons des amateurs qui créent, mais la professionnalisation prendra du temps. Si le marché africain est en devenir, il faut d’abord résoudre les problèmes d’accès à internet et former les jeunes créateurs afin qu’ils puissent rejoindre le marché du jeu vidéo en proposant des jeux répondant aux critères internationaux.
La place des créateurs africains à l’échelle internationale est aujourd’hui infime, même si les initiatives déployées sont très bonnes. Le DLA, par exemple, fait venir de jeunes créateurs africains, les accompagne et les met en relation avec des sociétés qui ont une expertise, c’est fondamental. C’est l’après qui devient problématique : ces créateurs se retrouvent souvent seuls. Or on peut réussir à créer seul, mais on ne peut pas réussir à vendre seul. C’est ce que nous devons travailler pour occuper une plus grande place sur la scène internationale : la mise en place de solutions technologiques qui permettront aux créateurs de vivre de leur création.
Dans le contexte de la pandémie du Coronavirus Covid-19, l’Institut français souhaite continuer à vous proposer des portraits, rencontres avec des créateurs de toutes origines, œuvres, portfolios. Nous espérons que ces pages vous apporteront une respiration dans un quotidien confiné.
Masseka Game Studio fait partie de la sélection de Culturegamer.fr, plateforme de l’Institut français dédiée au jeu vidéo indépendant qui sortira en 2020.