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Zineb Sedira évoque le Pavillon français de la Biennale internationale d’art contemporain de Venise en 2022

J'ai voulu raconter, mais aussi transmettre, l'expérience de mes parents à mes enfants pour leur faire connaître cette identité algérienne et française.

Sélectionnée comme prochaine locataire du Pavillon français lors de la Biennale de Venise (du 23 avril au 27 novembre 2022), Zineb Sedira évoque ce futur projet et la création de sa communauté artistique. Artiste visuelle entre photographies, vidéos et sculptures, elle interroge notamment la mémoire, le post-colonialisme, l’histoire de la relation entre la France et l’Algérie et sa transmission aux nouvelles générations. 

Le Pavillon français à la Biennale de Venise est produit par l’Institut français, en partenariat avec le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, et le ministère de la Culture.

Mis à jour le 22/04/2022

10 min

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Zineb Sedira
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Zineb Sedira © DR

Vous êtes née à Paris et avez effectué votre scolarité en France, avant de poursuivre vos études supérieures à Londres, à la Central St Martin's School of Art et à la Slade School of Art. De quelle manière est né ce désir de création artistique dans votre vie ? 

Lorsque j'étais enfant, je dessinais beaucoup et j'ai très tôt montré un intérêt pour l'art donc mes parents m'ont inscrite à des cours, notamment de poterie ou de création de marionnettes. Plus tard, en tant qu'adolescente et jeune adulte, le fait de vivre à Paris m'a permis d'être entourée d'amis artistes et musiciens, auprès desquels j'ai continué à m'intéresser à la création artistique. C'est quelque chose qui s'est fait naturellement depuis mon plus jeune âge. Quand je suis arrivée à Londres en 1986, je voulais surtout apprendre la langue et découvrir une nouvelle ville, mais, au fil du temps, j'ai suivi des cours du soir et mes professeurs m'ont encouragée à m'engager dans des études plus sérieuses. Je ne savais pas quoi choisir entre les arts appliqués et les Beaux-Arts mais, rapidement, on m'a conseillé d'aller vers la peinture et la sculpture. 

 

Désormais partagé entre Alger, Londres et Paris, vous êtes une artiste française à l’identité multiple. Votre travail mêle autobiographie, fiction et documentaire, dans un questionnement de la mémoire et de la transmission. À quel moment avez-vous souhaité vous emparer de cette thématique ? Vous êtes-vous inspirée des œuvres d'autres artistes ? 

Venant d'une famille d'origine algérienne, née pendant la colonisation, je me suis tout de suite intéressée aux questions post-coloniales. Pour moi, il était naturel d'utiliser l'histoire de mes parents pour parler des thèmes qui me touchaient. Quand je suis devenue mère au début des années 1990, j'ai voulu raconter, mais aussi transmettre, leur expérience à mes enfants et je me suis demandé comment leur faire connaître cette identité algérienne et française. À Londres, mes références étaient des artistes issus de l'immigration, souvent d'origine afro-caribéenne, indienne ou pakistanaise, que je rencontrais durant mes cours d'art. Avec eux, je pouvais comparer mon vécu au leur, mais aussi découvrir une histoire à la fois similaire et différente, où nos récits se rejoignaient. J'ai eu une chance inouïe de pouvoir travailler en Angleterre qui est reconnue pour son côté précurseur sur les théories post-coloniales. 

Mon travail est très autobiographique et, par extension, j'ai créé ma propre famille, ma propre communauté artistique.

Vos créations prennent, à la fois, la forme de photographies, de vidéos ou encore de sculptures. Comment choisissez-vous les supports de vos œuvres ? Sont-ils directement corrélés avec les sujets que vous abordez ? 

Les supports varient en fonction du sujet ou de la commande. Je suis tout de même une artiste qui est souvent commanditée afin de créer des œuvres pour des musées et j'ai, à ces occasions, la chance d'obtenir un budget. On peut également me donner un thème, même si cela reste plus rare. Ensuite, selon l'espace ou le thème, je choisis ma manière de l'aborder. Cela passe souvent par une vidéo, mais je réalise aussi des sculptures ou des installations. L'idée ne vient pas du support, elle est plutôt corrélée au lieu d'exposition. Par exemple, si je dispose d'un budget très large, je peux me permettre d'imaginer un film tourné en pellicule à la place du numérique, mais ce sont des choix qui dépendent des fonds alloués. 

 

Pouvez-vous nous parler de l'installation qui sera présentée dans le Pavillon français ? 

En 2019, j'avais déjà montré au Jeu de Paume un projet autour du tiers-mondisme, mais aussi du militantisme et de la manière dont la culture pouvait être utilisée comme outil ou arme militante afin de défendre des idées anti-coloniales. Dans sa directe continuité, j'ai décidé de me concentrer sur la partie cinéma des années 1960/1970 et sur les coproductions entre l'Italie, la France et l'Algérie pour le film qui va être diffusé dans le Pavillon français. À cette époque, l'Algérie devait investir afin de développer la cinématographie algérienne puisqu'il n'y avait pas d'industrie. Donc l’État a injecté beaucoup d'argent dans la production de films pour développer la carrière de jeunes réalisateurs, tout en coproduisant des films avec des cinéastes français ou italiens (entre autres parce qu’il y a eu des coproductions avec beaucoup d’autres pays). Cette triangulaire entre la France, l'Italie et l'Algérie m'intéresse pour évoquer ces alliances, ces solidarités culturelles, intellectuelles et politiques entre les trois pays. 

 

Pour vous accompagner, vous avez choisi une équipe de commissaires, composée de collaborateurs de longue date comme Yasmina Reggad, Sam Bardaouil et Till Fellrath. Dans quelle mesure cette précieuse relation de confiance vous permet-elle d'organiser ensemble cette exposition ? 

Mon travail est très autobiographique et, par extension, j'ai créé ma propre famille, ma propre communauté artistique. Pour le projet de la Biennale, j'ai choisi de travailler avec beaucoup d'amis et de collaborateurs de longue date. Au moment de sélectionner les commissaires, il était évident pour moi d'inviter des personnes de confiance, avec qui je m'entends, et qui, intellectuellement, sont très avancés. J'étais certaine de pouvoir avoir de réelles conversations avec eux. Par exemple, Yasmina est une amie, mais elle connaît également très bien la scène algérienne et l'histoire coloniale et post-coloniale du pays. C'était important de travailler avec une commissaire qui puisse comprendre de quoi je parlais sans devoir faire énormément de recherches. Pour Sam Bardaouil et Till Fellrath, c'est exactement la même chose et ils ont déjà fait beaucoup d'expositions autour de ces thèmes-là. J'aime travailler dans la bonne humeur, d'autant plus que la Biennale de Venise est un projet extrêmement important, pour lequel j'ai besoin d'être accompagnée et rassurée par des personnes proches. 

En 2011, j'ai monté aria (Artist residency in Algiers), afin que les artistes viennent faire des recherches et développer des projets, tout en réalisant des échanges avec des artistes locaux.

Vous avez fondé, avec Yasmina Reggad, aria (Artist residency in Algiers), une résidence d'artistes à Alger, qui contribue au développement de la scène artistique contemporaine dans le pays. Comment accompagne-t-elle concrètement les artistes dans leur quotidien ? 

Au milieu des années 2000, j'avais accès à un appartement dans le centre d'Alger et, au fil du temps, beaucoup d'amis et de collègues artistes ou chercheurs sont venus y séjourner. Bon nombre d'entre eux étaient intéressés par la question post-coloniale mais restaient inquiets à l'idée de voyager là-bas. Il faut rappeler qu'après les années 1990, aussi appelée la décennie noire, l'Algérie avait très mauvaise presse et qu'elle ne connaissait pas le même engouement touristique que le Maroc ou la Tunisie. À chaque fois que j'allais à Alger, je leur proposais de venir, cela a commencé de manière totalement informelle. Sur place, ils rencontraient de jeunes artistes locaux, qui sortaient des Beaux-Arts mais n'avaient pas de visa et ne pouvaient pas voyager. En 2011, j'ai formalisé cette idée et monté aria afin que les artistes viennent faire des recherches et développer des projets, tout en réalisant des échanges avec des artistes locaux. 

 

Quelles sont vos aspirations pour cette installation à la Biennale d'art contemporain de Venise ? Espérez-vous de nouvelles collaborations à son terme ou bien avez-vous déjà d'autres projets en tête pour la suite ? 

Pour la suite, j'ai des projets d'expositions personnelles sur des œuvres déjà réalisées, qui ne sont pas de nouvelles commandes. J'ai également la perspective d'une création avec un musée aux États-Unis mais j'attends de savoir si les choses vont pouvoir se faire avec l'évolution de la crise sanitaire. Évidemment j'espère continuer à être invitée à des expositions personnelles ou collectives, même si la Biennale de Venise reste pour moi un des évènements les plus importants. En fonction des commandes, je tenterai probablement d'inclure une collaboration avec un artiste de choix, mais je n'ai pas encore d'idée sur son identité. J'ai surtout envie de continuer à travailler dans cette dynamique de famille, de communauté artistique et de partage, tout en ayant une carrière aussi riche qu’actuellement. 

L'Institut français et l'artiste

Zineb Sedira représentera la France lors de la 59ème Biennale internationale d’art de Venise 2022, du 23 avril au 27 novembre. Le Pavillon français est produit par l’Institut français, en partenariat avec le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, et le ministère de la Culture. En savoir + 

L'institut français, LAB